BLONDEL: EXTRAIT DE LETTRES PHILOSOPHIQUES (publication posthume Aubier)

Entre la croyance et la science, il m'a paru qu'il y a un point de jonction, perpétuelle, c'est l'action : en elle, les deux ordres qu'on avait superposés juxtaposés, opposés, se composent dans une mutuelle compénétration. En faisant voir comment les vérités les plus positives sont extraites de l'action, je me prépare à extraire de l'action les vérités en apparence transcendantes qui y sont déjà immanentes. D'une part, en effet, je montre que la connaissance, dans toute l'étendue de la série, est un dérivé de l'action où elle trouve sa justification et sa réalité. D'autre part, je montre que notre action humaine implique tous ces besoins religieux qu'on nous présentait comme extérieurs à nous ou comme chimériques.    Coextensifs, ils rentrent dans la morale naturelle elle-même dont la notion n'est pas complète si l'on ne va pas jusqu'où je suis allé : je ne l'ai pas restreinte ou compromise, je l'ai élargie et développée. Ce que l'homme fait n'est qu'une portion, sans doute, de ce qui se fait en lui ; mais cette portion est coextensive au tout ; voilà pourquoi j'étudie ce qui semble dépasser le rôle propre de l'homme, sans sortir du rôle de la philosophie, parce que je ne sors pas de notre action humaine. Si je parle du surnaturel, c'est encore un cri de la nature, un appel de la conscience morale et une exigence de la raison que je fais entendre. Voilà pourquoi j'étudie ce qui semble dépasser son rôle propre sans sortir du domaine de la raison, simplement en suivant l'évolution continue des idées scientifiques, morales et religieuses ; j'arrive ainsi à faire jaillir de la conscience, au-dedans, ce qui semblait, à l'origine de ce mouvement, imposé du dehors. Nos actes enferment dans leur constitution naturelle tout ce que le surnaturel peut y être. Aussi, lorsque je parle de ce qui est supérieur à la science ou à la raison, est-ce encore au nom de la raison et par un besoin de la nature.