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Boguet, Discours exécrable des sorciers (extrait)

Publié le 14/04/2013

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discours

Rédigés par des magistrats, les manuels de démonologie recensant les pratiques et savoir-faire des sorciers se multiplient au début de la Renaissance. Le Discours exécrable des sorciers (1602) d’Henry Boguet, grand juge de Saint-Claude en Jura, participe à bâtir le mythe de la sorcellerie par l’accumulation de descriptions saisissantes et effroyables. À ce titre, cet extrait évoque, dans un délire d’images d’un étonnant réalisme, toutes les horreurs du grand sabbat, la mystérieuse messe à rebours des sorcières.

Discours exécrable des sorciers, d’Henry Boguet

 

Les sorciers s'étant donc assemblés dans leur synagogue adorent en premier lieu Satan, qui apparaît tantôt sous la forme d'un grand homme noir, tantôt sous la forme d'un bouc, et pour lui faire plus grand hommage, ils lui offrent des chandelles qui rendent une flamme de couleur bleue, puis le baisent aux parties honteuses de derrière ; quelques-uns le baisent à l'épaule.

 

 

Peu après, ils dansent et font leurs danses en rond, dos contre dos. Les boiteux y vont plus volontiers que les autres, d'après Clauda Jamprost et Françoise Secretain, qui disaient que les boiteux incitaient les autres à sauter et à danser. Mais il y a encore des démons qui assistent à ces danses sous forme de boucs ou de moutons, comme l'ont reconnu les prénommées et plusieurs autres. Antoine Tornier a confessé que, lorsqu'elle dansait, un mouton noir la tenait par la main avec ses pieds qui étaient, comme elle disait, bien rudes et bien revêches.

 

 

Les hautbois ne manquent pas à ces ébats, car il y en a qui ont le devoir de remplir la tâche de ménestriers. Satan y joue le plus souvent de la flûte. Parfois les sorciers se contentent de chanter, mais ils disent leurs chansons pêle-mêle et avec une confusion telle qu'ils ne s'entendent pas les uns les autres. Quelquefois, mais rarement, ils dansent deux à deux, parfois séparés et toujours dans une grande confusion.

 

 

Les danses finies, les sorciers viennent à s'accoupler. Le fils n'épargne pas la mère, ni le frère la sœur, ni le père la fille : les incestes y sont communs. Et ainsi, les Perses estimaient que pour être bon sorcier et magicien, il fallait naître de la mère et du fils.

 

 

Je laisse à penser si l'on n'y exerce pas toutes les autres espèces de lubricité du monde. Mais ce qui est encore plus étrange, c'est que Satan se met tantôt en incube pour les femmes et en succube pour les hommes. Georges Gandillon et Antoine Gandillon l'ont reconnu et avant eux Antoine Tornier, Jacquema Paget et plusieurs autres.

 

 

Les sorciers, après s'être vautrés parmi les plaisirs immondes de la chair, célèbrent un banquet et festoient. Leurs banquets sont composés de plusieurs sortes d'aliments, selon les lieux et les qualités des gens. De plus, la table est couverte de beurre, de fromages et de chair. Clauda Jamguillaume, Jacquema Paget et quelques autres disaient qu'il y avait une grande chaudière sur le feu, dans laquelle chacun allait prendre de la chair.

 

 

On y boit aussi tantôt du vin, tantôt de l'eau. Antoine Tornier dit qu'il y avait bien du vin dans un gobelet de bois, les autres ne parlent pas d'eau.

 

 

Mais il n'y a jamais de sel. La raison en est simple, il représente l'immortalité, ce que le Diable a extrêmement en haine. Dieu a demandé que l'on mette du sel dans tous les sacrifices et oblations qui Lui seraient consacrés ; c'est ainsi qu'on s'en sert au baptême, qui est un antidote souverain contre la puissance du Diable. L'on peut encore ajouter que, comme le sel est une marque de sagesse, Dieu, par un secret jugement, ne permet pas que l'on en use au sabbat, afin de prouver aux sorciers que tout ce qu'ils font n'est que pure folie.

 

 

Certains ont écrit aussi que l'on ne s'y servait point de pain, mais Christofle, du village d'Aranthon, a rapporté le contraire et dit qu'elle avait mangé au sabbat du pain, de la chair et du fromage.

 

 

Cependant, tous les sorciers reconnaissent que les aliments qu'ils mangent au sabbat n'ont aucun goût et que la chair n'est autre que de la chair de cheval.

 

 

Ils ajoutent presque tous que, lorsqu'ils sortent de table, ils sont aussi affamés que quand ils y entrent. Clauda Vuillat, du village de Mirebeau, disait que ce qu'on mangeait au sabbat n'était que du vent. Christofle d'Aranthon disait aussi qu'il lui semblait qu'elle ne mangeait rien. Il s'avère que le Diable est toujours trompeur, puisqu'il repaît les siens de vent au lieu d'aliments solides, comme s'ils étaient des caméléons. J'ai lu que des comtes sorciers, à son exemple, traitaient leurs hôtes de telle façon qu'ils sortaient toujours affamés du festin. Toutefois, il faut croire le plus souvent que l'on mange vraiment au sabbat.

 

 

Le banquet achevé, on rend compte à Satan de ce que l'on a fait depuis la dernière assemblée : les plus appréciés sont ceux qui ont fait mourir le plus de personnes et de bêtes, qui ont baillé le plus de maladies, qui ont gâté le plus de fruits, bref, qui ont commis le plus de méchancetés et d'abominations. Ceux qui se sont comportés un peu plus humainement sont sifflés et conspués par tous, on les met à l'écart, et le plus souvent leur maître les bat et les maltraite, de là est venu ce proverbe commun qui a cours chez eux : Fais du pis que tu pourras et le Diable ne saura que te demander plus.

 

 

C'est en cela que Satan se ligue avec ses suppôts contre le ciel et qu'il conspire à la ruine du genre humain : il fait de nouveau renoncer ces misérables à Dieu, au chrême et au baptême ; il leur fait renouveler le serment solennel qu'ils ont fait de ne jamais parler de Dieu, de la Vierge Marie ni des saints et saintes, si ce n'est par moquerie et dérision ; il leur fait abandonner leur part de paradis ; il leur fait promettre qu'ils le tiendront au contraire à jamais pour leur seul maître et qu'ils lui seront toujours fidèles ; il les exhorte ensuite à faire le plus mal qu'ils pourront, à nuire à leurs voisins, à les rendre malades, à faire mourir leur bétail, à se venger de leurs ennemis, à perdre et à gâter les fruits de la terre, et leur taille de la poudre et de la graisse propres à cela. C'est du moins ce qu'il leur fait croire.

 

 

Il leur fait encore jurer bien solennellement qu'ils ne s'accuseront point les uns les autres, qu'ils ne rapporteront rien de ce qu'il se sera passé entre eux, comme Jacquema Paget l'a confessé, ce qui l'amenait à ne rien dire contre Antoine Tornier. Les juges doivent y être bien attentifs.

 

 

Les sorciers, en sixième lieu, font la grêle ; je dirai plus tard comment elle se fait.

 

 

Quelquefois encore, on dit la messe au sabbat. Mais je ne puis écrire sans horreur la façon avec laquelle on la célèbre, car celui qui officie est revêtu d'une chasuble noire sans croix ; après avoir mis de l'eau dans le calice, il tourne le dos à l'autel, puis élève un rond de rave noire en guise d'hostie. Alors tous les sorciers crient à haute voix : « Maître, aide-nous. «

 

 

Le Diable, pour faire de l'eau bénite, pisse dans un trou par terre ; les assistants sont aspergés de son urine, au moyen d'un goupillon noir, par celui qui officie.

 

 

Finalement Satan, prenant l'aspect d'un bouc, se consume en feu et se réduit en cendres que les sorciers recueillent et cachent, pour servir à l'exécution de leurs desseins pernicieux et abominables.

 

 

Avant que de clore ce chapitre, je désire que l'on remarque que le Diable se fait singe en tout du Dieu vivant. Car dans quel but se fait-il adorer, sinon pour l'imiter ? Et ces danses ne sont-elles pas à l'exemple des anciens Hébreux, qui sautaient en signe d'allégresse à chaque fois qu'ils offraient quelque chose à Dieu, ou bien qu'ils lui chantaient ses louanges ? […]

 

 

Source : Boguet (Henry), Discours exécrable des sorciers, 1602.

 

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