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Le bonheur est-il une affaire privée ?

Publié le 26/10/2005

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Il n'y a que lui qui puisse savoir s'il est réellement satisfait de son existence.Si le bonheur suppose un accord, une harmonie sans faille entre un individu, son mode d'existence et le monde qui est le sien, seul cet individu peut simultanément vivre cet accord et en avoir conscience. [B. Sentiment et conditions du bonheur]Faut-il en déduire qu'il appartient aussi à la personne, et précisément parce qu'elle est seule juge de son bonheur éventuel, d'en définir aussi les conditions ? Faut-il admettre que le proverbe aurait raison, qui affirme que « chacun trouve son bonheur où il veut », ou « comme il peut » - ce qui semble assez différent. Si la volonté du bonheur paraît universelle (on imagine mal un homme cherchant systématiquement à être malheureux), le pouvoir d'y accéder peut ne pas être aussi bien partagé.De nombreux moralistes affirment que le bonheur ne réside ni dans la fortune ni dans ses marques extérieures, et qu'il est tout intérieur, dépendant avant tout de l'équilibre de l'esprit et de la capacité de se satisfaire de ce que l'on a, même si c'est peu. On veut bien les croire, mais on a malgré tout du mal à concevoir qu'un individu, par exemple d'une extrême pauvreté et souffrant d'une maladie douloureuse, ait quelque chance de se sentir heureux : la quiétude du corps, l'assurance de pouvoir se loger et se nourrir sans trop de difficultés paraissent des conditions nécessaires à tout bonheur. [C. Des inégalités sociales]De ce point de vue, il semble difficile de nier l'impact des conditions sociales d'existence sur la possibilité de connaître le bonheur.

« satisfactions peut-être futiles, mais dont l'activité est nécessaire aux premiers ! Non universalisable, l'épicurisme estcondamné par Kant comme fondé sur une subjectivité qui néglige par trop la présence des autres : il pose en fait leproblème de la possibilité d'un bonheur conçu comme une affaire tellement privée qu'il devient synonyme d'unégoïsme qui nous paraît en fait peu supportable. [B.

Une affaire « humaine » ?] La position d'Aristote semble d'abord plus « noble » : la vertu consistant pourun être à réaliser pleinement ce pour quoi il est le mieux apte, le bonheur del'homme est à chercher dans l'activité rationnelle, dans la théorie, qui n'esttoutefois possible que lorsque les satisfactions des besoins essentiels sontgaranties (par chance, il y a des esclaves pour nourrir les « théoriciens » !).Cette fois encore le bonheur des uns s'accompagne de son absence pour lesautres, mais on est au-delà de la subjectivité et de l'égoïsme strict : c'est enfonction de ce que demande la nature de l'homme en général que la vertu estdéfinissable en même temps que le bonheur.Cette référence aux caractères généraux de l'humanité se retrouve chez lesstoïciens, et plus nettement encore puisqu'ils sont les premiers à penserl'humanité comme une totalité.

Mais le bonheur se définit chez eux enfonction de principes métaphysiques (la réalité d'un Bien universel, le logosordonnant le monde) qui nous semblent amener l'homme, même heureux, àune trop grande passivité : acquiescer à tout ce qui survient est une nobleattitude, mais nous avons du mal à admettre que le bonheur puisse êtreatteint par un repli total sur une liberté tout intérieure, qui signifiepratiquement l'ignorance du monde. [C.

Intervention du social ?]Ce n'est qu'à partir du XVIII siècle que l'éventualité du bonheur est pensée en rapport avec les conditions sociales de l'existence : le bonheur n'est plus la sanction de la vertu, il se transforme enindice d'un accord entre l'individu, ses espoirs et son environnement social.

Est-ce suffisant pour le faire basculer ducôté des « affaires publiques » ou « politiques » ? Qu'un État définisse ce que doit être le bonheur n'a riend'enthousiasmant : ne risque-t-il pas de le réduire à l'équivalent de l'ancienne formule concernant « le pain et lesjeux » ? De plus, un bonheur ainsi officialisé dans ses formes, rendu commun et presque obligatoire, peut semblerfrustrant pour l'individu, qui n'y retrouvera pas le caractère singulier qui semble nécessaire pour que naissevéritablement le sentiment du bonheur.De l'État ou du social, on ne saurait ainsi attendre qu'une chose : qu'il s'efforce de garantir des possibilités d'accèsau bonheur égales pour tous.

Toute tentative pour aller au-delà risque d'aboutir à une sorte de totalitarisme et dedomestication évidemment excessive de l'individu.

L'histoire du XX siècle montre amplement que le pouvoir politiquele pire est aussi celui qui prétend imposer à ses sujets un bonheur qu'il a d'abord défini. [III - Une affaire privée, et difficile] [A.

Aucune société ne rend l'homme heureux]La divergence entre les exigences de l'organisation sociale et les espoirs individuels est, si l'on en croit Freud, d'unenature telle qu'aucune société n'est organisée pour rendre l'homme intégralement heureux.

Si le bonheur doitconsister en la satisfaction de toutes les pulsions de l'inconscient, l'homme est en effet condamné à ne jamais êtreheureux, puisque son intégration dans un corps social détermine nécessairement le refoulement de ses pulsions lesplus profondes, et donc sa frustration. [B.

L'aliénation]Mais le social est dangereux aussi en ce qu'il proposerait des satisfactions trompeuses.

Depuis Rousseau, et toutparticulièrement lorsqu'on a analysé la société dite « de consommation », philosophes et sociologues déplorentl'aliénation du sujet par les tentations que lui impose le monde marchand : la surenchère dans l'« avoir »,l'acquisition toujours renouvelable d'objets sans réelle valeur de satisfaction, finissent par occulter totalement l'«être » et son aptitude au bonheur.

L'homme moderne, s'il est bien, comme le dit Rousseau, « toujours hors de soi »,ignorerait la réalité du « privé ».

Dans de telles conditions, définir le bonheur comme « affaire privée » serait plusnostalgique que réaliste. [C.

Les conflits entre « affaires privées »]De plus, il va de soi que, même si l'on admet que le bonheur comme « affaire privée » reste concevable ou possible,on se heurte au problème de l'harmonisation des bonheurs individuels : comment garantir que la quête de l'un nevienne pas gêner celle d'un autre, ou la nier ? Il apparaît ainsi que le corps collectif, même si on ne doit pas enattendre un réglage des conduites susceptibles d'aboutir au bonheur, doit néanmoins se préoccuper d'interdire cellesqui pourraient avoir tendance à se considérer comme disposant de tous les droits au bonheur, et seules légitimes.On supporterait difficilement, même si l'exemple est caricatural, qu'un sadique atteigne à titre très privé son bonheur en massacrant ses partenaires, sans provoquer de réaction de la société...

Si l'on admet l'existence d'un « droit aubonheur » (non codifiable), on doit admettre aussi que ce droit, comme tous les autres, doit être équitablementpartagé entre tous : la liberté. »

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