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LE BONHEUR DE LA CONTEMPLATION (Aristote)

Publié le 06/02/2011

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aristote

L'indépendance caractérise tout particulièrement la vie contemplative. Certes le sage, le juste, comme tous les autres hommes, ont besoin de ce qui est indispensable à la vie ; et même, si munis qu'ils soient d'une façon suffisante de ces biens extérieurs, il leur faut encore autre chose : le juste a besoin de gens à l'endroit de qui et avec qui il pourra manifester son sens de la justice ; il en va de même de l'homme tempérant et de l'homme courageux et de tous les autres représentants des vertus morales ; mais le sage, même abandonné à lui seul, peut encore se livrer à la contemplation et plus sa sagesse est grande, mieux il s'y consacre. Sans doute le ferait-il d'une façon supérieure encore, s'il associait d'autres personnes à sa contemplation ; quoi qu'il en soit, il est à un suprême degré l'homme qui ne relève que de lui-même. En outre, cette existence est-elle la seule qu'on puisse aimer pour elle-même : elle n'a pas d'autre résultat que la contemplation, tandis que par l'existence pratique en dehors même de l'action nous aboutissons toujours à un résultat plus ou moins important. Ajoutons encore que le bonheur parfait consiste également dans le loisir. Nous ne nous privons de loisirs qu'en vue d'en obtenir et c'est pour vivre en paix que nous faisons la guerre. Pour les vertus pratiques, leur activité se déploie dans l'ordre de la politique et de la guerre. Les actes qui s'y rapportent nous privent, semble-t-il, de loisirs, ceux qui sont nécessités par la guerre tout particulièrement. Car nul ne fait ni ne prépare la guerre dans la seule intention de faire la guerre. On passerait, en effet, pour un criminel accompli, si l'on semait la haine entre les amis, afin de provoquer des combats et des massacres. D'autre part, la vie de l'homme politique se trouve elle aussi dépourvue de loisirs et, outre les soins de l'administration, il lui faut acquérir le pouvoir, les honneurs et, pour lui du moins, et pour ses concitoyens un bonheur différent du bonheur de l'ensemble de la société politique, et qu'évidemment nous recherchons tous comme tel. Si donc, parmi les actions conformes à la vertu, celles que nous consacrons à la politique et à la guerre tiennent une grande place par leur éclat et leur importance ; si, en revanche, elles supposent l'absence de loisirs ; si elles poursuivent un but différent et ne sont pas recherchées pour elles-mêmes, l'activité de l'esprit à l'opposé semble l'emporter sur les précédentes, en raison de son caractère contemplatif. Bien plus, elle ne poursuit aucun but extérieur à elle-même ; elle comporte un plaisir qui lui est propre et qui est parfait, puisqu'il accroît encore son activité. Bien plus, la possibilité de se suffire à soi-même, le loisir, l'absence de fatigue, dans la mesure où elle est réalisable pour l'homme, bref tous les biens qui sont dévolus à l'homme au comble du bonheur semblent résulter de l'exercice de cette activité. Elle constituera réellement le bonheur parfait, si elle se prolonge pendant toute la durée de sa vie. Car rien ne saurait être imparfait dans les conditions du bonheur. Une telle existence, toutefois, pourrait être au-dessus de la condition humaine. L'homme ne vit plus alors en tant qu'homme, mais en tant qu'il possède quelque caractère divin ; et, autant ce caractère divin l'emporte sur ce qui est composé, autant cette activité excellera par rapport à celle qui résulte de toutes les autres vertus. Si donc l'esprit, par rapport à l'homme, est un attribut divin, une existence conforme à l'esprit sera, par rapport à la vie humaine, véritablement divine. Il ne faut donc pas écouter les gens qui nous conseillent, sous prétexte que nous sommes des hommes, de ne songer qu'aux choses humaines et, sous prétexte que nous sommes mortels, de renoncer aux choses immortelles. Mais, dans la mesure du possible, nous devons nous rendre immortels et tout faire pour vivre conformément à la partie la plus excellente de nous-mêmes, car le principe divin, si faible qu'il soit par ses dimensions, l'emporte, et de beaucoup, sur toute autre chose par sa puissance et sa valeur.    Éthique à Nicomaque, trad. Voilquin, Garnier.

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