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Le bouc émissaire.

Publié le 27/04/2011

Extrait du document

   Les Anciens avaient eu là une extraordinaire intuition. Pour conjurer le malheur, ils offraient en sacrifice aux dieux une victime expiatoire. En chargeant cette malheureuse bête de tous les péchés de la Cité, ils allégeaient la culpabilité collective. Ce n'est pas un hasard, non plus, si le personnage du héros tragique avait un tel succès dans la dramaturgie : accusé d'être à l'origine des catastrophes qui frappaient ses concitoyens, il devait périr pour dissiper le drame. Souvent, il était même irresponsable, jouet lui-même de hasards funestes, comme Œdipe, ou de quelque machination divine. Comme si la conscience collective ne répugnait pas à choisir un innocent de préférence pour lui faire payer les crimes ou le confort des autres. Le mythe de Jésus-Christ participe de cette démarche : c'est un homme réputé bon, saint et fils d'une vierge, qui est désigné pour racheter les souffrances et les fautes de l'humanité. Le sacrifice de la fille d'Agamemnon, vierge et martyre, devait calmer le courroux des dieux, comme si la pureté drainait mieux les souillures. Comme si cette valeur même de la victime permettait de mieux atteindre le prix à payer fixé par le destin ou la divinité. Cette interprétation n'épuise naturellement pas ces mythes. Mais, enfin, rejeter ses erreurs et ses difficultés sur autrui, un concurrent, un voisin, une minorité interne ou une autre nation, une institution ou la nature, permet de mieux supporter une situation pénible. Attribuer nos échecs, privés ou publics, sportifs ou professionnels à la déloyauté de l'adversaire excuse nos propres carences. Dans Chariot Soldat, le héros de Chaplin tirait sur un caillou, qu'il rendait responsable de ses propres maladresses. N'est-ce pas ce que fait le racisme? Comme dit un humoriste « Pourquoi les Juifs, et pas les cyclistes? «.    Cette projection accusatrice sur autrui permet en outre de resserrer les rangs : la menace extérieure, réelle ou prétendue, restaure la fraternité. Nos modernes tribuns n'ont fait que reprendre une très vieille recette : il faut désigner un responsable extérieur, même innocent, à la vindicte des foules. Nommer le malheur, lui prêter visage, donne l'illusion de pouvoir le maîtriser. Cela réconforte le moi collectif et le moi individuel.    Et l'on comprend que, pour cette diversion, les marginaux soient bien placés, comme on dit en langage turfiste. Les étrangers sont moins protégés par les lois, les minoritaires, les différents sont déjà suspects. Ils forment d'excellents portemanteaux pour l'anxiété collective. Ce n'est pas un hasard si l'on a tué tant de sorcières et si peu de sorciers : les femmes, moins aptes à se défendre, cristallisent plus facilement les peurs et les ressentiments. En des temps plus récents, on a brûlé les victimes noires des lynchages, comme on a brûlé sous l'Inquisition. Le génocide des Juifs réalisé au tiers est le dernier avatar de ce bûcher permanent. Le mal extériorisé, incarné, est séparé de nous, rendu moins redoutable : on peut le manipuler, le traiter, le détruire par le feu. D faut noter ce dénominateur commun : le feu, qui purifie tout, y compris nous-mêmes... mais en brûlant autrui ; ce qui est plus économique.    Ce sont là des paroxysmes ; mais le même sens se retrouve dans d'autres conduites : on détruit en autrui ce que l'on voudrait détruire en soi-même : on lui impute pour cela nos propres péchés. Mais la véhémence de la plaidoirie, les protestations excessives sur notre virginale innocence, l'excès des noirceurs chez autrui nous trahissent autant que l'aveu. Trop, c'est trop. Le procès semble gagné à chaque coup. Ce n'est pas étonnant : la victime est vaincue par avance, et le public est solidaire de l'accusateur. Ces bûchers, de fagots ou de mots, sur lesquels rôtissent nos ennemis, ou désignés tels, entretiennent une bonne chaleur pour l'âme collective. Nous ne sommes plus les coupables, puisque d'autres le sont. Il est vrai aussi que nous n'en sommes pas totalement convaincus, puisque nous argumentons. Mais cet effort même, aveu furtif de nos propres carences, nous aide à nous purifier. En tout cas, ce bain de purification est plus convaincant de ce qu'il est pris en commun. Nous avons évoqué nos fautes ensemble, nous nous en sommes expliqués et nettoyés ensemble. Dorénavant, nous sommes tous purs, puisque nous participons d'une même pureté, qui nous dépasse et nous enveloppe, que nous avons puisée hors de nous, comme nous avons trouvé le mal hors de nous. Nous pouvons nous donner une auto-absolution réciproque.    Albert Memmi, Le racisme, Gallimard, 1982.    Dans une première partie, vous ferez de ce texte, à votre gré, un résumé suivant le fil du développement ou une analyse mettant en évidence la structure logique de la pensée.    Dans une seconde partie, intitulée discussion, vous dégagerez du texte un problème qui vous aura intéressé. Vous en préciserez les données et vous exposerez, en les justifiant, vos propres vues sur la question.

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