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cernent graduel d'une science particulière, et ils trouvent là récompense et approbation.

Publié le 23/10/2012

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cernent graduel d'une science particulière, et ils trouvent là récompense et approbation. Mais la génération suivante ne peut plus goûter leurs oeuvres : celles-ci doivent céder la place à d'autres, qui ne font pas non plus défaut. Le génie, au contraire, traverse son temps, comme la comète croise les orbites des planètes, de sa course excentrique et étrangère à cette marche bien réglée qui se peut embrasser d'un seul coup d'oeil. Aussi ne peut-il concourir au développement régulier de la civilisation déjà existante ; mais, semblable à l'imperator romain qui, se vouant à la mort, lançait son javelot dans les rangs ennemis, il jette ses oeuvres bien loin en avant sur la route où le temps seul viendra plus tard les ramasser. Le talent a la force de créer ce qui dépasse la faculté de production, mais non la faculté de perception des autres hommes ; aussi trouve-t-il dès le premier moment des gens pour l'apprécier. L'oeuvre du génie dépasse au contraire non seulement la faculté de production, mais encore la faculté de perception des autres hommes ; aussi les autres ne le comprennent-ils pas tout d'abord. Le talent, c'est le tireur qui atteint un but que les autres ne peuvent toucher ; le génie, c'est celui qui atteint un but que les autres ne peuvent même pas voir : ils n'apprennent donc à le connaître qu'indirectement, c'est-à-dire tard, et ils s'en rapportent alors même à la parole d'autrui. Aussi Goethe dit-il dans son Épître didactique : « L'imitation est innée en nous ; mais nous ne reconnaissons pas sans peine ce qu'il nous faut imiter. L'excellent se rencontre rarement ; il est apprécié plus rarement encore. « Et Chamfort : « Il en est de la valeur des hommes comme de celle des diamants qui, à une certaine mesure de grosseur, de pureté, de perfection, ont un prix fixe et marqué, mais qui, par delà cette mesure, restent sans prix, et ne trouvent point d'acheteurs. «... — Une conséquence de cette reconnaissance tardive des oeuvres de génie, c'est qu'elles sont rarement goûtées par les contemporains, c'est-à-dire dans toute la fraîcheur de coloris que leur prêtent l'actualité et le moment présent : elles sont comme les figues et les dattes, qu'on aime mieux manger desséchées que fraîches. (Monde, III, 198-203.) 3. ENFANCE ET GÉNIE J'ai encore à ajouter ici une remarque spéciale sur le caractère enfantin du génie, c'est-à-dire sur une certaine ressemblance qui existe entre le génie et l'enfance. — Chez l'enfant, en effet, comme chez le génie, le système nerveux et cérébral a une prédominance marquée ; car son développement précède de beaucoup celui du reste de l'organisme, si bien que, dès la septième aimée, le cerveau a atteint tout son volume et toute sa masse. De là ces paroles de Bichat : « Dans l'enfance le système nerveux, comparé au musculaire, est proportionnellement plus considérable que dans tous les âges suivants, tandis que, par la suite, la plupart des autres systèmes prédominent sur celui-ci. On sait que, pour bien voir les nerfs, on choisit toujours les enfants. « (De la vie et de la mort, art. 8, § 6.) Le développement le plus tardif, au contraire, est celui du système génital ; c'est seulement au seuil de l'âge viril que l'irritabilité, la reproduction et la fonction génitale sont dans toute leur vigueur, et elles l'emportent alors, en règle générale, sur la fonction cérébrale. De là viennent l'intelligence, la sagesse, la curiosité et la facilité d'esprit de la plupart des enfants : ils ont en somme plus de disposition et d'aptitude que les adultes à toute occupation théorique ; par suite de la marche de développement indiquée, ils ont plus d'intellect que de volonté, c'est-à-dire que de penchant, de désir, de passion. Car intellect et cerveau ne sont qu'un, de même que le système génital ne fait qu'un avec le plus violent de tous les désirs : aussi l'ai-je nommé le foyer du vouloir. C'est justement parce que la fatale activité de ce système sommeille encore, alors que celle du cerveau est déjà tout éveillée, que l'enfance est le temps de l'innocence et du bonheur, le paradis de la vie, l'Eden perdu, vers lequel, durant tout le reste de notre vie, nous tournons les yeux avec regret. Ce qui fait ce bonheur, c'est que pendant l'enfance notre existence entière réside bien plus dans le connaître que dans le vouloir ; et cet état trouve encore un soutien extérieur dans la nouveauté de toutes les choses pour nous. De là ces couleurs si fraîches, cet éclat magique et irrésistible dont le monde, à l'aurore de la vie, nous apparaît revêtu. Les faibles désirs, les penchants indécis et les minces soucis de l'enfance sont un bien léger contrepoids à cette prédominance de l'activité intellectuelle. Ainsi s'explique le regard des enfants, regard innocent et clair qui nous ranime et atteint parfois chez quelques-uns cette expression élevée et contemplative dont Raphaël a ennobli ces têtes d'anges. Les facultés intellectuelles se développent donc bien plus tôt que les besoins qu'elles sont destinées à servir ; et ici la nature procède, comme partout, avec une convenance parfaite. Car en ce temps où l'intelligence domine, l'homme amasse une grande provision de connaissances pour les besoins futurs, à lui encore inconnus. De là l'incessante activité de son intellect, son avidité à saisir tous les phénomènes, le soin qu'il apporte à y réfléchir et à les entasser en vue de l'avenir, semblable à l'abeille qui recueille bien plus de miel qu'elle n'en peut dépenser, en prévision des besoins futurs. Ce que l'homme acquiert en vues et en connaissances de toutes sortes jusqu'à l'entrée de l'adolescence dépasse, dans son ensemble, tout ce qu'il pourra apprendre plus tard, si savant qu'il devienne : car c'est là le fondement de toutes les connaissances humaines. — Jusqu'à la même époque la plasticité domine aussi dans le corps de l'enfant : plus tard, son œuvre une fois terminée, elle reporte ses forces par un déplacement sur le système génital ; avec la puberté paraît ainsi l'instinct sexuel et peu à peu s'affirme la prépondérance de la volonté. A l'enfance surtout théorique et désireuse d'apprendre, succède alors l'inquiète jeunesse, tantôt orageuse, tantôt sombre ; puis plus tard l'âge viril à la fois violent et sérieux. C'est précisément parce que cet instinct, gros de malheurs, manque encore à l'enfant que sa volonté est si modérée, subordonnée à la connaissance, d'où naît ce caractère d'innocence, d'intelligence et de raison, qui est le privilège de l'enfance. — Sur quoi repose cette ressemblance de l'enfance avec le génie, j'ai maintenant à peine besoin de le dire : c'est dans l'excès des facultés de connaissance sur les besoins de la volonté, et dans la prédominance de l'activité purement intellectuelle qui en résulte. En réalité, tout enfant est dans une certaine mesure un génie, et tout génie est en quelque façon un enfant. Leur parenté se montre tout d'abord dans la naïveté et la sublime -tmplicité qui est un trait essentiel du vrai génie ; elle se

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