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Chanson de gestes. La Mort de Roland. Chanson de Roland, Laisse CCVI

Publié le 06/07/2011

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MATIÈRE. — Traduisez le morceau suivant en français moderne. Dégagez l'intérêt de cette scène, intérêt historique et humain. Quels sont les sentiments exprimés par le héros féodal, à l'heure de la mort? Caractériser, par des observations précises, sobres et rapides, l'art du trouvère qui a écrit ce passage. Vous tâcherez de présenter toutes ces observations sous la forme d'une dissertation suivie.

Li cuens Rollanz se jut desoz un pin, Envers Espaigne en at tornét son vis, De plusors choses a remember li prist : De tantes terres comme li ber conquist, De dolce France, des hommes de son lign, De Charlemaigne, son seignor, quil nodrit ; Ne poetmuder n'en plort et ne sospirt. Mais lui medisme ne volt mètre en oblit, Claimet sa colpe, si priet Deu mercit : « Veire paterne, qui onques ne mentis, Saint Lazaron de mort resurrexis, Et Daniel des leons guaresis, Guaris de mei l'anme de toz perilz Por les pechiez que en ma vide fis ! « Son destre guant a Deu en porofrit, Sainz Gabriel de sa main li at pris. Desor son braz teneitle chief enclin, Jointes ses mains est alez a sa fin. Deus litramist son ange le chérubin, Et avoec lui Saint Michiel del Péril; Ensemble od els sainz Gabriel i vint, L'anme del Conte portent en paredis.

(Chanson de Roland, Laisse CCVI, vers 2375-2396, édition classique, Glédat, p. 88-89.)

Conseils pratiques. - Suivez très docilement les « matières « aussi complaisantes. N'ajoutez rien, ne retranchez rien. C'est de la prudence la plus élémentaire. Si l'on vous dit : « traduisez en français moderne «, gardez-vous bien d'étaler le peu que vous pouvez avoir appris de grammaire historique. Pas de science étymologique, qui serait déplacée. Pas de remarques de syntaxe, puisqu'il n'en est pas question dans la matière. Ne saisissez pas cette occasion de montrer tout ce que vous savez (ou tout ce que vous ne savez pas) sur notre vieille langue. Vous le voyez d'ailleurs dès le premier coup d'œil : ce n'est pas tant sur la valeur du style et de la versification que sur celle des idées qu'on vous demande de porter votre effort. Quelques observations « précises, sobres et rapides « vous suffiront pour montrer « l'art du trouvère «. Vous n'ignorez pas, vous ne devez pas ignorer que le trouvère du Roland n'a rien de ces aèdes harmonieux dont le génie, à la fois vigoureux et souple, chantait à la Grèce naissante les exploits d'Achille ou les aventures d'Ulysse. C'est donc avant tout « l'intérêt historique et humain « de la scène, c'est le portrait du « héros féodal « que vous aurez à dégager dans votre explication. L'instant est bien choisi : Roland, avant de mourir, fait devant nous son examen de conscience.

« Le comte Roland se coucha sous un pin,Vers l'Espagne il a tourné son visage,De plusieurs choses il se prit à se souvenir :De-tant de terres que le baron conquit,De douce France, des hommes de son lignage,De Charlemagne son seigneur qui l'éleva,11 ne peut s'empêcher d'en pleurer et d'en soupirer :Mais lui-même il ne voulut pas se mettre en oubli,Il bat sa coulpe et demande à Dieu merci :« Vraie puissance paternelle qui jamais ne mentis,Qui de la mort ressuscitas Saint Lazare,Et des lions Daniel garantis,Garantis mon âme de tous périlsPour les péchés que je fis en ma vie! »Il offrit à Dieu son gant droit,Et de sa main Saint Gabriel le lui a pris.Dessus son bras il tenait la tête penchée,Les mains jointes il est allé à sa fin.Dieu lui envoya son ange chérubin,Et avec lui Saint Michel du Péril ;Ensemble avec eux Saint Gabriel y vint : Ils portent l'âme du Comte en Paradis. 2° Explication : ILa « Mort de Roland » est la fin de la deuxième partie de la Chanson (La Trahison — La Bataille — La Vengeance).Du champ de bataille, où tous les chevaliers français sont tombés, les païens ont fui.

Roland est seul.

Son agoniecommence.

Il se couche à terre, met sous lui son olifant et son épée, et tourne son visage vers l'ennemi.Le guerrier est face à face avec la mort.

Il ne veut pas l'affronter sans jeter un regard sur lui-même.

Il revit enquelques minutes les souvenirs de son existence vaillante.

Quels sont ces souvenirs? Quel est la psychologie duhéros féodal du 11e siècle? C'est le premier intérêt de ce passage, et c'est aussi un intérêt humain, car l'homme vanous apparaître derrière le chrétien et le guerrier. IIVoici d'abord le preux qui meurt en pleine gloire.

Que de terres il a conquises ! L'orgueil chevaleresque du capitaines'affirme, et pourtant il y a une tristesse au fond de ce sentiment; c'est un adieu à tout un passé de bravoure, etplus ce passé a été admirable, plus à) cette heure le regret est poignant.Après le sentiment de l'honneur chevaleresque, vient celui de l'honneur national.

Il s'exprime sous une triple forme :amour pour la terre française, pour les compagnons d'armes, pour l'Empereur.

Roland a parlé ailleurs de la gloire de lapatrie; à présent, il se souvient de sa « douceur ».

Vision rapide, remplacée par une autre plus concrète : celle deshommes de son lignage.

Parce que le ton général est attendri, nous voyons ici plutôt un adieu triste aux amis, auxproches, aux parents ; il faut y voir surtout, chez ce modèle du seigneur féodal, le sentiment de la solidarité quil'unit à la « lignée »., le sentiment de l'honneur familial et des devoirs qu'il impose.

Remarquons-le : si le trouvèreavait voulu indiquer à ses auditeurs cette idée que Roland pleurait sur ses affections les plus tendres, il lui aurait étéfacile de mêler à ses souvenirs celui d'Aude la belle.

Roland meurt en guerrier, sans songer un instant à ce qui n'estpas de son devoir de soldat et de chrétien.Et le sentiment le plus fort est celui de la fidélité au suzerain, à Charles dont le baron est le vassal, d'autant plusfidèle qu'il lui doit sa « nourriture », c'est-à-dire qu'il lui doit d'être ce qu'il est.

Tous les preux, tous les soldats ontla même conception de leur dette envers leur Empereur surnaturel.

Au- dessus de Charlemagne, il n'y a que Dieu, etl'Empereur est en communication avec lui, il est son représentant sur la terre.Le seigneur a fini son examen de conscience.

L'homme se montre à nous par ces pleurs, par ces gémissements dontles héros de cette époque ne rougissent pas.

Ces grands enfants se pâment, se roulent à terre, sanglotent,soupirent.

Plus tard, l'héroïsme se fera impassible.

Il sera moins humain.

Le fier Roland verse des larmes qui lerapprochent de nous, et il nous émeut sans que s'affaiblisse notre admiration.Le chrétien songe alors à lui-même.

Il faut, pour le conteur, que ce soit là l'impression définitive: au-dessus delàvaillance, du dévouement, le héros du 11e siècle place la foi catholique.

Roland invoque la puissance paternelle deDieu, à laquelle on n'a jamais recours en vain, puisqu'elle a pu ressusciter Lazare et préserver Daniel des lions :miracles choisis par le poète parce qu'ils frappaient le plus vivement l'imagination populaire.

A cette puissanceinfinie, Roland demande de délivrer son âme de tous les périls qui peuvent la menacer à cause de ses péchés.

C'estun acte de contrition simple, naïf, touchant.Humilité plus touchante encore : ce n'est pas le chrétien seul qui s'incline, c'est le seigneur qui présente son gant àDieu, qui lui livre sa personne entière par cet hommage féodal.

Le suzerain acceptera ce symbole de dévouementabsolu.

Saint Gabriel, intermédiaire entre Dieu et les hommes, le reçoit : vassal de Charlemagne représentant deDieu, Roland devient vassal de Dieu lui-même.

Il peut mourir en paix; il meurt en chrétien, les mains jointes.Le merveilleux n'est ni factice ni froid.

L'intervention de Gabriel n'est même pas un « miracle », pour ces temps de foi. »

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