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Comment conceptualiser philosophiquement l'idée de profondeur du monde ?

Publié le 22/02/2012

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Il se trouve chez chaque homme, et cela avec la plus absolue des nécessités et par ce fait même qu'il est homme, un processus intellectuel antéprédicatif. Activité discursive et médiate lorsqu'elle est rationnelle, il semblerait en effet que la pensée, parce qu'elle est déjà présupposée par l'émergence de ses propres raisons qui la justifieront a posteriori, soit d'abord si naturelle et spontanée à l'homme qu'il pense avant même d'avoir de bonnes raisons de le faire. Autrement dit: si tous les hommes ne seraient pas capables d'expliquer en un raisonnement logiquement organisé pourquoi ils pensent, il est indéniable que tous pensent, et doivent d'abord penser pour pouvoir ensuite décider de penser. La première chose que l'on trouve chez l'homme est une raison sans raison. Mais supposons qu'il en aille de la vie comme de la pensée - et l'une ne se construit-elle pas chaque fois comme en parallèle à l'autre? Il faudrait dire alors que l'on commence par vivre sans raison; et que même si cette raison de vivre est déjà préexistante en l'homme, même si l'essence précède l'existence, elle doit au moins être mise au jour pour prendre tout son sens. Toutes les justifications du monde et de la vie ne valent rien pour moi si je les ignore. L'objet de ce livre est donc de décrire ce processus d'appropriation, c'est-à-dire cette lutte sans merci, nécessaire à l'émergence du sens, à la justification de la vie. Nous avons tenté de le suivre dans chacun de ses mouvements. Cela nous a amené à la question fondamentale suivante, qui est par nécessité l'énigme centrale de la philosophie: qu'est-ce que le sens? Quand je dis qu'une « direction a un sens », que « cet énoncé est dénué de signification », que « ma vie a un sens », que signifié-je exactement? Problème fondamental de la philosophie, disons-nous, car toute la tâche et l'intérêt de la philosophie est de donner du sens. Sans cette fonction, la philosophie est autotélique, elle perd tout intérêt - elle n'a plus de sens. En sortant de ma pensée pré-rationnelle qui me dictait de manger et de boire sans se justifier, pour entrer dans ma pensée rationnelle, qui me demande: « pourquoi manger ou boire? », je suis projeté dans la philosophie, car il s'agit de justifier quelque chose. Cette logique est enfantine, donc implacable: toute justification rationnelle est donation de sens, toute justification rationnelle est philosophie, donc toute philosophie est donation de sens et toute donation de sens est philosophie. La question du sens est la première question, par la résolution de laquelle toutes les autres questions prennent leur sens. Définir ce qu'est le beau, c'est donner du sens à l'activité de l'artiste; définir les facultés de l'âme, c'est donner du sens à la pensée; étudier la perception, cela signifie se demander pourquoi l'on perçoit. La philosophie ne peut sortir de cette question du sens, elle la pose même en permanence; et l'on peut dire au final que ses multiples interrogations sur tous les thèmes envisageables ne sont que différentes formulations de la même question qu'elles impliquent toutes: à quoi bon? C'est une véritable « raison dans la philosophie » que l'on trouve, au sens où Hegel entendait qu'il y a une raison dans l'histoire: chaque philosophe concourt, mais sans toujours le vouloir, à établir le sens d'une certaine activité ou d'un domaine bien précis. A chaque nouvel ouvrage, qui justifie un nouveau secteur du monde, les philosophes font reculer le non-sens, font entrer un morceau de sens dans la connaissance humaine - ils justifient le domaine dont ils parlent. Merleau-Ponty, par exemple, contribue à justifier la perception, en ce sens qu'il ébauche une réponse à la question: « pourquoi percevoir? » (et non « pourquoi perçoit-on »!); les phénoménologues, de même, récusent l'érémitisme en donnant un sens à notre relation à Autrui (ils montrent pourquoi l'on ne peut pas se passer d'Autrui). Mais les secteurs du monde sont innombrables, car la réalité est infinie, et son intensité ne s'épuise pas. Ou, formulé autrement: un nombre infini d'ouvrages philosophiques justifiant chacun un domaine de la réalité ne justifierait pas la totalité de l'être. Doit-on alors désespérer de la signification humaine et dire que le nihiliste a raison, qui affirme que tout n'a pas de sens, c‘est-à-dire que rien n'en a? Nous ne pensons pas ainsi. On a accompli un pas de géant en philosophie, et pour ainsi dire le seul pas véritablement décisif, lorsqu'on a tenté de donner du sens à une zone de l'être sous laquelle se pouvaient subsumer plusieurs pans de la réalité - la seule zone de l'être qui, justifiée, donnerait à son tour leur justification aux multiples zones de l'être qu'elle contient, et même à la totalité de l'être. Nous parlons de l'homme. Justifié, l'homme justifierait tout - car il est absurde de parler d'aséité du sens, et tout ce qui a du sens n'en a jamais que par l'homme. Y a-t-on réussi? A-t-on réussi à donner son sens à l'homme, c'est-à-dire, d'une certaine manière, à clôturer la philosophie, ou tout au moins à la transformer en un simple loisir, en badinage, à lui faire quitter son statut de nécessité vitale? Il ne nous en semble pas ainsi - car de même que l'on n'a jamais vu personne se convertir après avoir pris connaissance de l'argument ontologique, de même personne n'a jamais trouvé un sens à son existence après avoir appris à « se libérer de la servitude des passions », ou bien après s'être rendu compte que « vivre, c'est faire vire l'absurde » car « cette révolte donne son prix à la vie ». L'action, entendue au sens de praxij, est le jugement dernier de toute spéculation: et l'action nous révèle chez les grands justificateurs de l'existence une pensée qui, pour être allée très loin, et peut-être plus loin que toute autre, a néanmoins raté son terme. Nous sera-t-il permis de franchir ce dernier pas qui, se trouvant au bout du chemin accompli par des géants de la pensée, serait également la justification de toute pensée et comme le cri qui, s'élevant dans le néant de l'être, signifierait: tout n'est pas en vain?

« 1.

Qu'est-ce que le sens? Quand on emploie le mot « sens », que dit-on? Quand je dis que « la vie a un sens » , qu'« une voiture roule dans un certain sens » , quand je parle de « caresser quelqu'un dans le sens du poil », dis-je deschoses différentes, ou tous ces emplois du mot « sens » ont-ils - le même sens? Je me contenterai de citer icil'excellente définition de Merleau-Ponty: « Derrière toutes les acceptions du mot sens, nous retrouvons la mêmenotion fondamentale d'un être orienté ou polarisé vers ce qu'il n'est pas.

» Tous ces emplois différents sont doncbien équivalents.

La vie a un sens lorsque l'on vit pour quelque chose; la voiture roule dans un sens lorsqu'elle roulevers quelque chose; le poil est orienté de sorte qu'il soit dirigé vers ma droite ou ma gauche.

On pourrait dire, si l'onavait le goût de la formule, que le sens n'est rien d'autre qu'un « être vers autre chose ».

Mais la clarté étant icid'une extrême nécessité, nous nous exprimerons ainsi, quoique que ce style nous répugne: Soit le signe => signifiant « existe pour ».Si A => A, alors A n'a pas de sens.

C'est l'autotélie.Si A => B, alors A a du sens, et B est ce que l'on appelle couramment une « fin ».

C'est l'hétérotélie. 2.

On a coutume de définir l'action ce que fait quelqu'un, avec son corps ou son esprit, et on ajoute parfois quecela vise à réaliser une intention préalable, un projet.

L'essence véritable de l'action est ici implicite.

Toute action,par nécessité, doit toujours déjà avoir un sens: une action qui n'aurait pas de sens, qui ne tendrait pas à fairequelque chose, c'est là une contradiction dans les termes.

Mais une question se pose ici, d'une nature peut-êtreinsoluble: est-ce l'action qui crée le but en se tendant vers lui, ou au contraire le but qui nécessite l'action parl'absence de sa réalisation? Par convention, nous considérerons toujours ce problème, que nous rencontreronsencore sous différentes formes, comme n'admettant aucune solution - peut-être même est-il vide de sens.

Quoi qu'ilen soit, dire que l'action est une tension vers un but n'épuise pas l'essence de l'action.

L'action, c'est d'abord ce quilie une chose à son but, c'est ce qui lie A à B, autrement dit c'est ce qui donne du sens.

Une voiture acquiert unsens - tout au moins un sens spatial concernant sa trajectoire - lorsqu'elle fait l'action de commencer à rouler versquelque chose - et en ce sens, on peut véritablement parler d‘action pour désigner le fonctionnement del'inanimé.

C'est l'action qui fait le lien entre la voiture et sa destination.

Nul besoin d'être un homme, un sujet - ouqu'on appelle cela comme on voudra - pour accomplir une action, car l'action se définit comme le fait de lier unechose à un but.

La phrase acquiert un sens lorsqu'elle accomplit l'action de tendre à signifier ce sens.

L'étoffe a unsens car elle a accompli l'action de se courber vers telle direction plutôt que vers telle autre.

Il ne faut voir là aucunanthropomorphisme.

Simplement une redéfinition de l'action.

Mais est-ce vraiment une redéfinition? La proposition «l'action est cela qui lie une chose à son but » n'est-elle pas déjà contenue dans la proposition « l'action, c'est lefaire »? Il semble bien en être ainsi, car tout faire est nécessairement le faire de quelqu'un ou quelque chose quitend à faire quelque chose.

Cela signifie que tout faire est toujours lien d'une chose à son but.

Cela signifieégalement que dire: « l'action, c'est le faire », c'est prononcer une tautologie stérile, comme on le fait depuis silongtemps.

La seule définition positive, car signifiante plutôt que tautologique, de l'action nous semble donc êtrecelle énoncée plus haut.

Que l'on torde encore un peu cette définition pour la placer sous un point de vue humain,et cela donne: l'action se définit pour un sujet comme le fait de se polariser lui-même vers un but, donc de sedonner un sens. II) L'excendance « La vie cherche un monde meilleur.[…] Nous sommes des êtres qui cherchent, la vie est sceptique - du grecexaminer, chercher - dès le départ.

Elle n'est jamais tout à fait satisfaite des conditions qui sont les siennes.

»Popper 1.

Quelle est la modalité fondamentale et pour ainsi dire l'essence la plus primaire de la vie humaine, celle avantlaquelle rien ne peut être d'authentiquement humain? L'excendance.

Qu'est-ce que l'excendance? Ce dont tous lesphilosophes ont toujours parlé, plus ou moins directement, et dont nous nous attacherons à esquisser la définition,qui passe ici par une courte exégèse.

L'exploration, ou plus exactement le survol de la tradition aura pour but etpour limite de bien circonscrire ce que nous entendons par ce terme.

Il s'agit également de montrer, pour qu'on voiebien que l'excendance dont nous parlons n'est pas une chimère, qu'elle a toujours attiré l'attention des philosophesles plus éloignés par la pensée les uns des autres.

Tout homme sait aussi bien que nous ce qu'est l'excendance;mais sans doute tous ne sont-ils pas conscients de ce savoir, sans doute cette connaissance se situe-t-elle à unstade préobjectif de leur être, quelque part dans ces limbes de la raison où la raison elle-même ne trouve plus sonchemin.

Seule l'analyse du c½ur peut alors être encore de quelque valeur.

Si donc il est vrai que, comme on a pu ledire, la tâche du philosophe est « d'exprimer clairement ce que les autres ressentent confusément », nous avonsquelque espoir de faire ici ½uvre utile. 2.

« La première chose que veuille un être vivant, c'est d'exprimer [auslassen] ses forces » écrit Nietzsche: et toutest résumé là, bien que l'analyse n'en soit point encore faite.

Quelles sont ces forces? Il s'agit d'abord de l'énergiepurement physique: le glucose ne doit pas s'accumuler dans nos muscles.

Le besoin d'agir procède donc avant toutd'une simple pulsion physiologique; quand « j'ai trop d'énergie », les jambes me démangent, mes bras frissonnent, etdes envies de hurler et de courir me prennent.

Après deux heures de sport, tout est rentré dans l'ordre.

Il fautd'abord dépenser ses forces pour avoir ensuite le droit de ne pas les dépenser.

Rester inactif est contre-nature pourun être vivant.

On a dit avec Bichat que « la vie est l'ensemble des fonctions qui résistent à la mort »; cettedéfinition nous semble réductrice.

La vie est l'ensemble des fonctions qui doivent justement fonctionner, c'est-à-direagir, faire, pour être.

La vie est action; vivre, c'est agir.

Mourir, c'est à la lettre arrêter d'agir: est mort tout ce quin'agit pas.

Bergson montre bien que le fameux élan vital n'est autre qu'une tension vers l'agir.

En effet, la. »

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