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Comment distinguons-nous l'imaginaire du réel ?

Publié le 27/03/2004

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. L'image est un « état faible » : elle n'impressionne que légèrement, et la représentation qu'elle nous donne se réduit à quelques traits vagues. La distinction entre le réel et l'imaginaire résulterait donc d'une comparaison inconsciente entre la sensation et l'image. Une comparaison de ce genre interviendrait aussi pour distinguer les uns des autres les divers degrés de l'imaginaire et du réel. Il n'y a pas, en effet, entre le réel proprement dit - c'est-à-dire ce qui est l'objet d'une sensation actuelle, comme cette feuille - et l'imaginaire pur - c'est-à-dire une représentation qui ne devrait rien à la sensation - une séparation nette : on passe insensiblement du réel à l'imaginaire; le réel et l'imaginaire se compénètrent dans nos représentations. D'abord, entre le réel et l'imaginaire, il y a le souvenir : le souvenir, c'est de l'imaginaire, puisque l'objet qu'il représente n'est pas une donnée actuelle des sens; mais c'est en même temps du réel, puisqu'il résulte d'une sensation produite autrefois par cet objet. Ensuite, entre la perception et le souvenir, il n'y a pas une séparation bien nette : les souvenirs collaborent si activement à la perception qu'on a pu dire que « percevoir n'est guère qu'une occasion de se souvenir ». Quant à la distinction entre la mémoire et l'imagination, elle est encore plus artificielle : les éléments au moyen desquels se forment les images, ce sont les souvenirs, et nous savons qu'on passe insensiblement du témoignage critique au récit enjolivé et à la pure invention. C'est une comparaison rapide et inconsciente qui nous permettrait de discerner, d'abord la perception du souvenir, ensuite le souvenir des créations de notre imagination. La perception est plus vive et plus nette que le souvenir. Dans la perception, l'objet s'impose à nous avec une force beaucoup plus grande.

« II.

L'explication classique que nous venons d'exposer est confirmée par des observations vulgaires, d'où il semblebien résulter que lorsque la comparaison entre le réel et l'imaginaire est impossible, la distinction ne se fait plus.Ainsi, durant le sommeil, les sens étant comme assoupis et ne nous donnant pas de sensations nettes, nous faisonsune réalité des constructions de notre imagination : nous prenons pour réels des spectacles que nous contemplonsles yeux fermés, nous croyons courir alors que nous sommes paresseusement étendus sur notre lit.

L'inverse peut seproduire : il nous arrive, à certaines heures d'épuisement et de fatigue, d'enregistrer passivement les impressionsque les choses fout sur nous sans réagir mentalement, sans observer dans notre esprit ce déroulement ininterrompud'images qui, normalement, accompagne nos perceptions; dans ce cas, les objets qui frappent nos sens nouslaissent une impression d'irréel; il nous semble assister à un spectacle fantasmagorique : pour prendre conscience dela réalité des choses, il faut, semble-t-il, le contraste de la perception avec la représentation imaginaire.L'explication classique paraît donc fondée sur des faits : c'est bien une comparaison du réel et de l'imaginaire quinous permet de les distinguer, puisque, lorsque nous sommes réduits à l'une ou l'autre de ces représentations, nousles confondons.Mais, tout d'abord, est-il vrai que, dans le rêve, nous prenions pour du réel les images qui défilent dans notre espritP que, dans les états de perception passive que nous avons signalés, nous doutions de la réalité du spectaclecontemplé ?En fait, nous ne portons jamais, dans le rêve, de jugement de réalité : nous nous contentons de réagir auxreprésentations du moment comme si elles étaient réelles, mais sans affirmer qu'elles sont réelles.

Le mêmephénomène peut s'observer hors du rêve.

Ne nous arrive-t-il pas, au cours de la lecture d'un roman d'aventurespassionnant, de nous attacher à l'un des héros comme s'il était réel, de trembler pour lui et d'exulter lorsqu'il aéchappé à un traquenard ? A aucun moment, cependant, nous n'avons affirmé l'existence de ce beau spécimen del'humanité.

Dans le sommeil, il est encore plus facile de se laisser prendre sous le charme de l'imaginaire, puisquec'est la seule pâture qui reste à l'esprit; de se laisser envahir par l'émotion ou par la terreur, puisque rien ne nousrappelle que nous sommes dans l'imaginaire.

De l'effet que ces images du rêve ont sur nous, nous concluons quenous avons dû les confondre avec la réalité; mais leur action s'explique san6 ce jugement de réalité.Réciproquement, lorsque, devant un spectacle réel, nous restons mentalement inertes, sans réaction, nous sommesétonnés et, pour expliquer que nous ne réagissions pas, nous en venons à nous demander si ce spectacle n'est pasimaginaire.

Mais, dès le premier instant, il avait été perçu comme réel; à aucun instant d'ailleurs il n'est perçucomme imaginaire; c'est seulement l'anomalie de notre réaction qui fait naître un doute.En définitive, c'est du premier coup et sans comparaison que le réel est perçu comme réel et distingué del'imaginaire.L'opinion contraire, que nous avons exposée dans la première partie de ce travail, repose sur ce postulat que nousn'atteignons directement que nos représentations, par suite qu'il y a entre image et sensation une différence dedegré, non une différence de nature.L'identité de nature entre l'image et la sensation s'appuie sans doute sur quelques faits.

Image et sensation ontparfois des effets physiologiques analogues : l'image d'un bon plat « fait venir l'eau à la bouche »; la menace dechatouilles suffit à nous faire mettre en pelote.

Quand le violoniste termine son morceau en decrescendo, il est unmoment où nous hésitons à nous prononcer sur la nature de ce qui se passe en nous : est-ce une sensation ou lesouvenir des derniers sons de l'instrument ?Mais, nous l'avons dit, l'analogie constatée entre les effets de l'image et ceux de la sensation prouve bien unecertaine ressemblance entre ces deux faits psychiques : elle n'oblige pas à conclure à leur identité.En second lieu, lorsque l'excitant diminue progressivement et descend au-dessous du minimum sensible, ce que nousnous demandons durant un instant, ce n'est pas si nous entendons ou si nous nous souvenons, mais si nousentendons ou si nous n'entendons pas; l'erreur, lorsque erreur il y a, est une erreur de perception; elle ne consistepas à confondre une image avec une sensation.

D'ailleurs, si cette confusion était possible, elle devrait se produireconstamment.

Si l'image n'était qu'une sensation affaiblie, les images vives devraient faire passer pour irréelles lessensations faibles.

Or, nous le savons bien, il n'en est rien : lorsque, durant une insomnie, je revis une scèneorageuse de réunion publique, tandis qu'un léger souffle fait doucement frémir les feuilles des arbres sous mafenêtre, je n'hésite pas à considérer comme réel le léger bruissement que j'entends au dehors et comme imaginairele souvenir du vacarme assourdissant qui me revient à l'esprit.Nous ne sommes donc pas renfermés en nous-mêmes, n'ayant pour connaître le monde que des représentationssubjectives qu'il faudrait d'abord objectiver.

Ainsi que le pensent de nombreux psychologues contemporains, toutereprésentation est, en un sens, objective; toute conscience est conscience de quelque chose.

Mais il y adifférentes façons de poser les choses ou les objets.

La conscience les pose parfois comme existants et présents :c'est ce que nous appelons la perception.

Il y a souvenir lorsque l'objet est posé comme existant ou ayant existé,mais, en même temps, comme absent ou disparu.

Enfin, si l'objet est posé comme inexistant, nous avons l'imagementale. On n'a donc pas à se demander comment nous distinguons image et sensation.

L'expérience ou la réflexion sontnécessaires pour distinguer ce qui avait été tout d'abord confondu, comme, par exemple, les diverses notes d'unaccord.

Mais lorsqu'il n'y a jamais eu confusion, on n'a pas à se demander comment se fait la distinction : jedistingue le rouge du vert parce que je les vois différents.

Il n'en est pas autrement du réel el de l'imaginaire : nousles distinguons parce que nous les voyons, l'un réel, l'autre imaginaire.. »

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