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Comment penser autrui ?

Publié le 25/03/2004

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b) Ayant établi ce caractère indubitable du «je pense» (en latin: cogito), Descartes - pour confirmer son dire - passe à une analyse de la perception. Lorsque je dis que je vois la même cire - que celle-ci soit solide ou liquéfiée après échauffement - c'est mon âme qui juge en réalité ce que je crois voir de mes yeux. De même, si je vois d'une fenêtre des hommes « qui passent dans la rue (...), je ne manque pas de dire que je vois des hommes (...): et cependant que vois-je de cette fenêtre sinon des chapeaux et des manteaux, qui peuvent couvrir des spectres ou des hommes feints qui ne se remuent que par ressorts ? mais je juge que ce sont de vrais hommes» (Descartes, Méditation II, 1641). * Le doute méthodique qui mène Descartes à remettre en cause l'existence même du monde extérieur permet de bien comprendre la distance qui me sépare d'autrui. Qu'est-ce qui me prouve, en effet, que je ne suis pas le seul être doué d'une véritable subjectivité, et que les autres ne sont pas tous des automates, ou même des rêves? * Si radicale et paranoïaque qu'une telle hypothèse puisse sembler, c'est bien souvent comme un automate - ou comme un objet, et non comme un sujet digne de ce nom - que je traite autrui lorsque je l'instrumentalise à mes propres fins ou que je le considère comme d'une dignité inférieure à la mienne. Difficultés de la connaissance d'autrui.

« SUPPLEMENT: C'est dans « Etre & Temps » qu' Heidegger est amené à analyser notre mode d'être quotidien et médiocre, qu'il caractérise par la « dictature du On », c'est-à-dire le fait que l'opinion publique, la façon commune de vivre ensemble, nous déchargent de touteresponsabilité et nous empêchent d'être nous-mêmes. Heidegger entreprend de remettre en chantier une question, celle que l'histoire de la philosophie aurait « oubliée » et recouverte : la question du sens de l'Etre .

Pour ce faire, il juge nécessaire d'expliciter ce qu'est l' « étant » pour qui une telle question se pose.

C'est-à-dire, pour l'exprimer grossièrement, ce qu'est l'homme, ou plus précisément ce qu' Heidegger nomme le « Dasein ». Selon Heidegger , nous ne sommes pas d'abord des sujets isolés, comme le suggérait Descartes , mais nous sommes toujours présents au monde, et par là même avec autrui.

L'être en commun,l'appartenance au monde sont donc des données originaires.

Loin qu'un sujet isolé et assuré delui-même vienne à la rencontre d'autrui : « Le monde est à chaque fois toujours déjà celui que je partage avec les autres.

Le monde du Dasein est un monde commun.

» En ce sens, la solitude et l'isolement sont des modes dérivés et secondaires de cette commune appartenance au monde. Mais, si l'on procède à l'analyse de ce qu'est le « Dasein » médiocre, immergé dans la quotidienneté , dans ses rapports les plus fréquents avec les autres, ce qui se révèle estprécisément le fait que « chacun est l'autre et nul n'est lui-même », c'est-à-dire que « dans le quotidien ce qui se révèle c'est un mode d'être inauthentique, une perte de soi. » Les analyses de la façon commune et habituelle d'être ensemble montrent que nous avons à subir une sorte de pression de la masse, du « on », qui manifeste en chacun de nous la possibilité de perdre ou de recouvrir ce que nous sommes, pour nous décharger de nos responsabilités et nospossibilités les plus propres, en nous réfugiant derrière l'opinion publique. « Dans la préoccupation pour ce qu'on a entrepris avec, pour, et contre les autres, se manifeste constamment le souci d'une différence vis-à-visdes autres.

» En ce sens, consciemment ou pas se manifeste en nous une sorte d'amour-propre, ou, si l'on veut, de « distance » à l'égard de l'autre.

C'est précisément ce type de préoccupation qui nous place, là encore le plus souvent à notre insu, « sous l'emprise d'autrui ».

Dans la mesure même où nous nous préoccupons du monde public, nous subissons son emprise : alors même que nous souhaitons faire preuve de distance, ce soucimanifeste notre dépendance non pas à l'égard de tel ou tel, d'un être déterminé, mais à l'égard du public, du « On ». « Dans l'utilisation de transports publics, dans l'emploi de l'information, tout ressemble à l'autre.

Nous nousréjouissons comme on se réjouit, nous voyons, nous lisons et nous jugeons de la littérature et de l'art comme onvoit et juge, plus encore nous nous indignons de ce dont on s'indigne. » Ce qui est bien sûr remarquable, c'est que ce « On » n'est littéralement personne, il n'est en aucune façon« quelqu'un », et là réside sa puissance.

Il ne s'agit pas de quiconque nous imposant quelque chose, il s'agit denotre propre alignement sur un mode d'être commun et essentiellement médiocre, dans lequel notre véritable « qui »se perd et se dilue.

« C'est dans cette non-imposition et cette imperceptibilité que le On déploie sa véritable dictature. » Vivre sous le règne du On, c'est d'abord se réfugier dans la médiocrité de l'anonymat, mais c'est par suite, bien plus,se refuser à toute responsabilité : « Comme le On prédonne tout jugement et toute décision, il ôte à chaque fois au Dasein toute la responsabilité.

LeOn ne court pour ainsi dire aucun risque à ce qu'on l'évoque constamment […] C'était toujours le On et pourtant onpeut dire que « nul » n'était là. » Ce nivellement, cette médiocrité et cette façon d'éviter toute originalité (« Tout ce qui est original est aussitôt aplati en passant pour du bien connu, tout ce qui a été conquis de haute lutte devient objet d'échange ») se révèlent au mieux dans les bavardages sur la mort. En effet, dans la mort, il en va du tout de mon existence : la mort est ce qui est absolument propre et mien.

Aussil'angoisse devant la mort est-elle en quelque sorte l'angoisse devant la liberté, devant notre être au monde.

Et s' « il est exclu de confondre l'angoisse de la mort avec la peur de décéder », c'est précisément que « l'angoisse de la mort est angoisse « devant » le pouvoir-être le plus propre, absolu, indépassable ». La capacité d'assumer la possibilité de la mort propre, et par suite de se découvrir comme être au monde , commejeté, librement, dans le monde, a donc partie liée avec la capacité du Dasein d'être soi. Or, précisément les bavardages du On à propos de la mort, là encore sombrent dans l'inauthenticité et lerecouvrement.

Il s'agit de camoufler cette mort qui est la mienne en événement, en bien connu. « Si jamais l'équivoque caractérise en propre le bavardage, c'est bien lorsqu'il prend la forme de ce parler sur lamort.

Le mourir, qui est essentiellement et irreprésentablement mien, est perverti en événement publiquementsurvenant. » Le discours du On transforme la mort en accident : « le On meurt, propage l'opinion que la mort frapperait pour ainsi. »

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