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commentaire parade de rimbaud

Publié le 03/12/2012

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rimbaud
Illuminations de Rimbaud « Parade « 1. Le texte du poème. Parade Des drôles très solides. Plusieurs ont exploité vos mondes. Sans besoins, et peu pressés de mettre en ?uvre leurs brillantes facultés et leur expérience de vos consciences. Quels hommes mûrs ! Des yeux hébétés à la façon d'une nuit d'été, rouges et noirs, tricolores, d'acier piqué d'étoiles d'or ; des faciès déformés, plombés, blêmis, incendiés, des enrouements folâtres ! La démarche cruelle des oripeaux ! - Il y a quelques jeunes, - comment regarderaient-ils Chérubin ? - pourvus de voix effrayantes et de quelques ressources dangereuses. On les envoie prendre du dos en ville, affublés d'un luxe dégoûtant. Ô le plus violent Paradis de la grimace enragée ! Pas de comparaison avec vos Fakirs et les autres bouffonneries scéniques. Dans des costumes improvisés avec le goût du mauvais rêve ils jouent des complaintes, des tragédies de malandrins et de demi-dieux spirituels comme l'histoire ou les religions ne l'ont jamais été. Chinois, Hottentots, bohémiens, niais, hyènes, Molochs, vieilles démences, démons sinistres, ils mêlent les tours populaires, maternels, avec les poses et les tendresses bestiales. Ils interpréteraient des pièces nouvelles et des chansons « bonnes filles «. Maîtres jongleurs, ils transforment le lieu et les personnes et usent de la comédie magnétique. Les yeux flambent, le sang chante, les os s'élargissent, les larmes et des filets rouges ruissellent. Leur raillerie ou leur terreur dure une minute, ou des mois entiers. J'ai seul la clef de cette parade sauvage. 2. Le commentaire linéaire du texte. Premier paragraphe. Des drôles très solides... Cette phrase nominale est déconcertante car au seuil de la lecture, les personnages sont indéfinis (« des «) alors que leur caractère est précisé (« très solides «). Le même procédé est utilisé avec l'indéfini « plusieurs « et les qualificatifs précis (« peu pressés «). Sans besoins,... Les phrases sont détachées de leur contexte, employées dans l'absolu : « sans besoins « de quoi... ? Vos mondes...vos consciences... On sent qu'un point de vue est esquissé dès le début. Le narrateur et récitant du poème semble donner son avis, par le moyen : - des adverbes modalisateurs : « très solides «, « peu pressés «. - des connotations : « brillantes facultés «. - une adresse aux lecteurs : « vos «. Ce jeu avec le lecteur sert de fil conducteur. Nous avons deux raisons de nous sentir concernés : de qui parle-t-il ? Et pourquoi parle-t-il de nous ? Il fait un lien entre ces hommes et nous, mais s'exclut de tous. Quels hommes mûrs... Une critique est faite de ces drôles, inquiétants et amusants, dont on peut se moquer. On note le double sens des mots « drôles « et « mûrs «, le premier signifiant à la fois étranges ou amusants ; le second, sages ou vieux. « leurs brillantes facultés « est ironique : ils sont vus comme des exploiteurs, paresseux et manipulateurs. Des yeux hébétés... Rimbaud fait une description carnavalesque de ces personnages par : - le grossissement de la focalisation, qui va du détail au plan d'ensemble : yeux, visage, démarche. - l'impression de désordre causée par l'énumération de « des « (« des drôles « ; « des yeux « ; « des faciès «, « des enrouements «) : le lecteur est plongé dans une foule bigarrée, et des êtres ou des parties d'êtres surgissent de nulle part comme dans un cauchemar. A la façon d'une nuit d'été... A la relecture de ces lignes, on s'aperçoit qu'il ne s'agit pas de comprendre le sens des mots mais le sens qui naît de leur association. Par exemple, la comparaison « à la façon d' « nous laisse perplexe et nous fait douter, alors qu'elle devrait nous aider à mieux approcher la réalité décrite. Sur un détail de style, Rimbaud nous égare, brouille les pistes qu'on croit qu'il nous donne. Mais nous pouvons retrouver une voie par la poésie. Rimbaud décrit des matières (l'acier), des couleurs (le rouge, le noir, l'argent). Plombés, blêmis, incendiés... Les participes passés adjectivés signalent eux aussi la triple répartition des couleurs : l'argent (« plombés «), le blanc (« blêmis «), le rouge et le noir, voire l'or (« incendiés «). Ces couleurs baroques et le fait d'assister à une alchimie inversée (on passe des « étoiles d'or « aux « faciès plombés «) nous permettent de tenter une interprétation : les hommes ont choisi la laideur plutôt que la beauté, la dureté plutôt que la douceur, le matérialisme plutôt que l'idéal et la poésie. Ces êtres sont décrits tels qu'ils auraient pu être et tels qu'ils ne sont pas ; ils sont un crépuscule d'été, à la fois sombre et chaleureux. Le sujet que Rimbaud décrit - des hommes vils - a contaminé sa poésie, violente et excessive. La démarche cruelle des oripeaux ! ... Rimbaud multiplie les images confuses. C'est par elles qu'il veut nous faire sentir les choses. Les oripeaux marchent-ils vraiment, même personnifiés (« cruelle «) ou sont-ils une métonymie pour désigner les drôles ? Quoi qu'il en soit, on remarquera que l'auteur leur refuse l'humanité : - leurs habits les cachent. - ces habits renvoient eux-mêmes à des personnages masqués et flous. On a l'impression d'une scène d'invasion où ces hommes manifestent leur fierté nationale. La « parade « est polysémique : défilé militaire, fréquent lors de la fête nationale, elle est aussi défilé des artistes ; le maquillage tricolore de ces hommes se confond d'ailleurs avec celui des clowns. Il y a quelques jeunes,... Réinterprétons le tableau de l'auteur. Ces drôles sont solides, à la fois puissants et sanguins. Les jeunes hommes de leur communauté sont virils, et exaltent leur virilité, en étant peut-être armés. Ils sont le contraire de Chérubin (personnage de jeune homme délicat du Mariage de Figaro de Beaumarchais, souvent joué par une femme). Rimbaud semble décrire des hommes enrichis par les conquêtes ou la spéculation. Sa raillerie se fait sentir sur l'italique du mot « luxe « mais plus encore dans le fait que l'expression « affublés d'un luxe dégoûtant « effémine ceux qui se croient virils. « Prendre du dos « est une parodie des expressions « prendre du ventre « et « faire le gros dos «, ce qu'on fait, en se pavanant, c'est-à-dire en paradant, c'est-à-dire en étalant son luxe « dégouttant «. Deuxième paragraphe. Ô le plus violent Paradis... La parade est l'occasion de découvrir un Paradis perdu qu'annonçait déjà le retour de l'or à l'état de plomb. La violence enragée de ces hommes est masquée par leur apparence, que le poète dévoile. Aux grimaces des faciès déformés correspond une poésie qui défigure elle aussi les formes anciennes, pour dire et révéler. Pas de comparaison... Conformément à son principe, Rimbaud veut que le lecteur ait une approche poétique et non arraisonnante de ses propos. A la ligne 4, il propose une comparaison déroutante : au moment même où il semble en faire une, même négative (« Pas de comparaison avec... «), c'est pour nous dire que ces réalités n'ont rien à voir avec ce qu'il décrit. Il faudrait, pour comprendre cette nouvelle réalité, retenir l'image ou l'idée d'une grimace continue, protéiforme. Dans des costumes... Que retenir dans ce deuxième paragraphe ? Le champ lexical du théâtre est manifeste, avec les costumes, les rôles et la comédie. C'est un spectacle de rue. Ces hommes, par leur hypocrisie (en grec, hypocritès veut dire acteur), ont déplacé le théâtre et le jeu dans la rue. Le vocabulaire est encore celui de la foire, d'un spectacle grotesque et vulgaire. Chinois, Hottentots, bohémiens... Cette énumération de gens différents crée une confusion : ces noms sont- ils des appositions qui caractérisent les drôles ou sont-ils les types de rôles qu'ils interprètent ? L'ambiguïté de la syntaxe les fait se confondre, ce qui a aussi un sens : par des traits outranciers et une apparence mensongère, ces hommes essaient d'avoir de l'influence dans la société. On pensera à la proximité qui existe entre ces drôles et à ce que Rimbaud a imaginé être un temps dans « L'éclair « (Une Saison en enfer) : un acteur, un paresseux, un bandit (« fainéantons, feignons «, écrivait-il en 1873). Lui-même se mettait en scène, dans ce poème, en « hyène «, et on observe ici l'animalité des drôles avec les expressions « enragée «, « tendresses bestiales « et « parade sauvage «. Ils interpréteraient... A deux reprises dans le poème, le conditionnel est utilisé. La première fois, « Comment regarderaient-ils Chérubin ? « sous-entend la réponse « Mal, assurément « ou « De travers «. C'est une question rhétorique. La seconde fois, « Ils interpréteraient « pourrait être l'équivalent de « Ils seraient capables, ils iraient jusqu'à... «, signe que ces hommes sont prêts à tout pour se faire une place dans la société. En même temps, « Ils interpréteraient « signifie qu'ils le feraient...s'ils existaient, le conditionnel étant le mode du doute. Est-on dans un rêve ? Celui de l'auteur ? Où est-on d'abord ? Est-ce une parade dans un paradis violent, dans un au-delà ? Est-ce au contraire l'enfer sur terre qui est décrit ? Ils transforment le lieu... L'espace est transfiguré par le jeu des drôles (c'est un théâtre qui nous transporte dans des géographies lointaines ; de même, le temps est archaïque et vague, et ce n'est pas un hasard si « Parade « se situe au début du recueil, après les poèmes « Après le Déluge «, « Enfance «, « Conte « et avant « Antique «) mais l'espace poétique ne fait-il pas lui- même l'objet d'un jeu de la part du poète ? Les yeux flambent... La dernière image est conforme aux principes de Rimbaud. Il saisit le lecteur par des sensations - la vue (« yeux «), le toucher (« ruissellent «), l'ouïe (« chantent «) - qui communiquent entre elles : « le sang chante « est une synesthésie de la vue et de l'ouïe. La scène est exclusivement rouge (« flambent «, « sang «, « filets rouges «) dans ce qui doit être le dénouement grandiloquent de la pièce que jouent les drôles. Mais il s'agit aussi du dénouement du poème, où la violence est accrue, par contamination du sujet. Leur raillerie ou leur terreur... On revient au point de départ : les drôles sont-ils amusants (« raillerie «) ou font-ils peur (« terreur «) ? Il y a une deuxième ambiguïté qui concerne le temps : leurs effets durent-ils longtemps ou retombent-ils tout de suite ? Il y a une troisième ambiguïté, sur « leur raillerie « : s'agit-il, par cette expression, d'évoquer leur jeu lui-même ou les effets produits par le jeu ? Rimbaud emploie trop d'alternatives (« ou...ou «) alors que les mots font référence à une réalité précise, censée être connue. Il mine véritablement le sens. Troisième paragraphe. J'ai seul la clef... Le troisième paragraphe est constitué de cette unique phrase, qui se détache du reste. C'est la première fois que le « je «, dont on devinait partout la présence, se montre explicitement. Il est renforcé par « seul «. C'est aussi la seule référence explicite au titre (« cette parade «), même si les jeux de mots ou les situations décrites évoquaient déjà la polysémie du titre. Notons que l'expression « cette parade « peut renvoyer à ce qu'il vient de décrire (le contenu) et à ce qu'il a écrit lui-même, qui est une « parade «, une mise en scène tapageuse. Les sonorités répétitives de cette dernière phrase semblent d'ailleurs créer une intimité entre le sens et lui : J'ai seul la clef de cette parade sauvage [é] [s] [l] [l][a] [l][é] [s] [a][a] [s] [a] Pourquoi avoir montré les choses pour nous refuser tout à coup leur sens ? En même temps, cela signifie qu'il y a un sens caché et d'une certaine façon, avons-nous attendu la fin du poème pour en conclure à son caractère énigmatique ? Rimbaud aiguise notre envie d'interpréter, au lieu de l'émousser. Ne tombe-t-on pas aussi dans une évidence ? Le « je « de l'auteur sort de l'histoire et s'en dit l'inventeur. N'est-ce pas compris dans la définition du « créateur « ? Ce qui est moins habituel, c'est que ce dernier le fasse remarquer, par ce défi, cette parade au lecteur. « la clef « est polysémique. C'est la clef du chef d'orchestre qui fait « chant(er) « tout ce « sang «. La musicalité de la clef se fait par ailleurs entendre dans les douze syllabes qui composent la phrase, qui est un alexandrin, un vers blanc dans ce poème en prose. C'est aussi la clef de l'énigme du poème. C'est la clef qui fait se mouvoir les marionnettes, les jouets mécaniques qu'agite l'auteur. C'est enfin la clef du Paradis-Parade, Rimbaud étant un double du Créateur, un maître en illusions et fantasmagories. Conclusion. Nous conclurons sur trois points. 1) Le poème en prose est constitué de trois paragraphes. Les deux premiers nous font entrer de force dans un monde. Le dernier nous en fait sortir brutalement, nous coupant de tout ce qui avait été mis en place. Si l'on observe la distribution circulaire des thèmes, on s'aperçoit d'un jeu interne particulier, sous forme de chiasme, dont voici le schéma : Parade (l'auteur donne ce titre pour présenter son poème) « Des drôles « (amusants ou terrifiants) « Solides « Rouges sont les yeux. THEÂTRE (« Chérubin « : un rôle que les drôles n'aiment pas et ne jouent pas). THEÂTRE (énumération des rôles qu'ils jouent). Rouge est le sang. Liquides (« sang «, « larmes «, « ruissellent «) Des drôles (« raillerie ou terreur «) « parade « (l'auteur a présenté son poème). 2) Qui sont les drôles ? Ils sont peut-être la société occidentale caricaturée à travers la parade militaire, ou ses bourgeois, avec leur esprit de conquête coloniale et leur soif d'argent. 3) Une poésie nouvelle. Il s'agit de comprendre par d'autres moyens : allusions, connotations, composition secrète -mais qui est pourtant là, sous nos yeux -. Une place importante est faite au corps, aux gestes, comme révélateurs des êtres, derrière le masque social.

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