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Commentaire de texte : Combat de nègre et de chiens

Publié le 07/01/2012

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INTRODUCTION ET PROBLÉMATIQUE

Auteur d’un théâtre de révolte, Bernard-Marie Koltès fonde son œuvre sur des problèmes réels qui expriment la tragédie de la solitude. Lors d’une visite en Afrique, il voit la culture africaine écrasée par les Européens. En 1979, les cris des gardiens d’une citée en pleine brousse transformée en chantier de travaux publics et entourée de barbelés lui inspire Combat de nègre et de chiens. Koltès ne cherche cependant en rien à dénoncer quoi que ce soit et raconte simplement sa pièce comme une sorte de métaphore d’un aspect grave de la vie qui prend cours dans ce qu’il appelle un lieu du monde. Il fait de ce qu’il a vécu le témoignage d’un choc des cultures aux couleurs d’une tragédie moderne. On s’intéressera d’abord à la forme et à la portée tragique que donne Koltès à sa pièce ainsi qu’à la manière avec laquelle il rompt avec ce tragique pour replacer sa pièce dans un contexte contemporain. Puis on verra au travers du contenu de cette pièce comment Koltès illustre l’impossible compréhension de par le monde entre un homme et un autre par l’existence d’un fossé creusé par de simples différences de culture. 

PREMIÈRE PARTIE : UNE TRAGÉDIE MODERNE

C’est dans un décor de béton et d'acier étouffant de noirceur qu’intervient Alboury, un ouvrier noir, pour donner lieu à sa confrontation avec le chef de chantier blanc qu’est Horn, Son seul dessein : récupérer le corps de son frère, mort sur le chantier, assassiné et jeté dans un égout par un ingénieur. La pièce reprend par sa forme tous les fondements de la tragédie. Elle respecte les unités de temps, de lieu et d’action imposées par les règles de la tragédie classique de sorte que toute la pièce évolue dans un seul lieu clos et se déroule en l’espace d’une seule nuit. L’intrigue quant à elle ne connaît aucune divergence et ne donne cours à aucune action subsidiaire que celle de l’action principale. On y retrouve également la notion de fatalité : les personnages sont voués à se détruire entre eux, aucun espoir n’est permis. De plus même s’ils ne meurent pas, les autres personnages n’ont pas non plus d’issue heureuse et le sort des vivants n’est finalement pas plus enviable que celui des morts.

Les personnages eux-mêmes sont tragiques : ils incarnent le déchirement et les passions humaines poussées à leur extrême. On assiste là presque à une catharsis où le vieux Horn inspire le pathétique dans sa conviction que l'amour peut être acheté et que la mort et le chagrin peuvent être balayés par une poignée de billets. Dans un même ordre d’idées pour inspirer terreur et pitié, Alboury est déterminé et rien ne peut le convaincre de s’arrêter. « Souvent les petites gens veulent une petite chose, très simple ; (…) et même quand on les aurait tués, même morts, ils la voudraient encore. », ligne 17. Il transparaît comme une sorte d’Antigone moderne déterminé à réhabiliter l’honneur de son frère et prêt à ne renoncer pour rien au monde à son combat, quelque en soit l’issue.

Combat de nègre et de chiens est donc sans conteste une tragédie. Mais Koltès laisse de côté quelques règles de la tragédie classique, en particulier la règle de la bienséance, qui prohibe la représentation de la violence sur scène, et il rompt avec la tragédie antique dans sa représentation de personnages n’appartenant pas à un rang noble. Il place également cette tragédie dans un cadre actuel ce qui assure la modernité de sa représentation dans un tragique propre à celui d’une société non plus antique mais très contemporaine. Il permet ainsi de placer l’action dans une époque enclin au colonialisme qui ouvre la porte à toutes sortes de questions qui importent quant au choc culturel et au fossé présent entre les cultures africaine et européenne.

SECONDE PARTIE : LE FOSSÉ ENTRE L’EUROPE ET LA CULTURE AFRICAINE

Horn est incapable de comprendre la détermination qui brûle dans le cœur d’Alboury car il est imprégné d’a priori au sujet des Africains qu’il considère dépourvus de sentiments et il les perçoit comme n’accordant aucune importance à la mort. Horn estime « bien connaître les Africains, cette absence de valeur qu’ils donnent à la vie et à la mort », ligne 7, et il les croit dispensés de la capacité d’aimer comme il le fait remarquer par la question rhétorique : « c’est une affaire d’Européen, l’amour ? (…) J’ai souvent remarqué cette insensibilité. », ligne 10 et 12. Il n’y a pour lui rien de choquant dans le fait de se trouver face à une personne qu’il pense ne pas être doté de sentiments. Il ne le juge pas mais pour lui c’est un fait établi que les Noirs son privé de cette aptitude à éprouver de l’amour et il s’étonne qu’Alboury s’entête tant au sujet du corps de son frère, « pour une si petite chose » comme il le dit à la ligne 15. Il propose à Alboury un dédommagement pour indemniser la mort de Nouofia mais il se retrouve face à un Noir que l'argent ne peut corrompre et qui est venu chercher le corps de son frère.

Alboury développe une métaphore le long de toute sa tirade et donne lieu à une métaphore filée. Il décrit de quelle manière le colonialisme s’est mis à priver les siens de leur liberté comme un nuage aurait privé de la lumière et de la chaleur du soleil ceux qui en étaient baignés. « c’est un petit nuage qui nous suivra partout, toujours entre le soleil et nous » cite-t-il à la ligne 28 comme pour rappeler le poids de cette colonisation et les conséquences irréversibles qu’elle aura engendré. Il lui explique comment lui et son frère ont été là l’un pour l’autre, « nous gelions et nous nous réchauffions ensemble », ligne 31, un peu comme si c’était cette solidarité qui leur donnait le courage nécessaire pour survivre. Il raconte comment toutes ces victimes ont agi de la sorte plutôt que de subir chacun le colonialisme de leur côté jusqu’à ne former tous plus qu’un et comment ils ont réussi à se suffire à eux-mêmes. « le frissons qui saisissait un homme se répercutait d’un bord à l’autre du groupe » déclare-t-il en ligne 38, pour montrer à Horn combien finalement ils étaient soudés tellement ils au point que les souffrances des uns étaient aussi celles des autres tandis qu’ils voyaient « reculer les limites des terres encore chaudes sous le soleil », ligne 46, dans l’ombre de ce colonialisme toujours grandissant. Puis Alboury réclame une dernière fois le corps de son frère, insistant sur l’importance des corps même morts pour apporter un peu de chaleur aux vivants.

Horn interrompt la tirade d’Alboury par une réplique ignorante et cassante d’incompréhension, « Il est difficile de se comprendre, (…), il sera toujours difficile de cohabiter. », ligne 52, entrecoupée de didascalies décrivant les regards qu’ils se portent et le silence qui s’y mêle. Il fait preuve d’une véritable incapacité à comprendre la beauté de ce que dit Alboury, une représentation de l’incompréhension des européens à l’égard de la culture africaine.

CONCLUSION

Au travers de cette tragédie contemporaine à son époque, Koltès parvint ainsi faire de la violence stupide et aveugle de la modernité, du sacrifice des valeurs humaines et humanistes au profit de l'argent des thèmes récurrents de son œuvre.  La rencontre entre cet autochtone, guidé par des valeurs archaïques, et ces colons français arborant leur culture occidentale, préconisant l'argent comme remède à la peine et comme antidote universel, vire à un affrontement qui dévoile la grandeur du personnage d’Alboury et de son peuple résigné. L’ignorance de Horn est là aussi pour mettre en exergue le souci latent quelqu’en soit l’époque ou le contexte de la tolérance et de la compréhension de l’autre de par le monde.

 

 

 

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