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Commentaire de texte de Cournot sur l'histoire

Publié le 26/07/2012

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« Les personnages appelés à figurer sur la scène de l'histoire (de l'histoire comme on l'entend d'ordinaire et comme on doit le plus souvent l'entendre), monarques, tribuns, législateurs, guerriers, diplomates, ont bien le rôle actif, interviennent bien à titre de causes efficientes dans la détermination de chaque événement pris à part. Ils gagnent ou perdent les batailles, ils fomentent ou répriment les révoltes, ils rédigent les lois et les traités, ils fabriquent et votent les constitutions. Et comme ils arrivent eux-mêmes sur la scène à la suite des combinaisons de la politique, il semble d'abord que la politique engendre et mène tout le reste. Cependant, l'histoire politique est de toutes les parties de l'histoire celle où il entre visiblement le plus de fortuit, d'accidentel et d'imprévu : de sorte que pour le philosophe « qui méprise le fait «, qui ne se soucie guère de l'accidentel et du fortuit, si brillant que soit le météore, si retentissante que soit l'explosion, l'histoire tout entière courrait risque d'être frappée du même dédain que les caprices de la politique, s'il n'y avait plus d'apparence que de réalité dans cette conduite de l'histoire par la politique, comme par une roue maîtresse, et s'il ne fallait distinguer entre le caprice humain, cause des événements, et la raison des événements qui finit par prévaloir sur les caprices de la fortune et des hommes. « Considérations sur la marche des idées et des événements dans les temps modernes. Livre 1er, Prolégomènes, Chapitre 1er: de l'étiologie historique et de la philosophie de l'histoire. (1872)

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« Toute l'histoire, si on veut la comprendre en effet globalement, se résumerait donc à l'histoire politique, le reste (les inventions techniques, les mentalités des peuples,les faits économiques fondamentaux ou conjoncturels, les évolutions du climat, les données sociologiques comme le taux de natalité, la croissance démographique,etc.) étant accessoire. Seconde partie : Toutefois, C introduit un facteur explicatif qui complique cette conception.

Il s'agit du hasard.

Qu'est-il pour l'auteur ?On nomme souvent hasard ce que, à la fois, on ne peut pas expliquer, ce qui est imprévu et imprévisible, ce qui est ponctuel.Parfois, aussi, le hasard désigne un fait sans cause.

C rejette carrément cette interprétation ; tout phénomène a une cause, des causes ; c'est-à-dire que tout ce quiarrive est déterminé à arriver par des phénomènes antécédents et qui le produisent. Mais, pour C, il y a une objectivité du hasard ou de la contingence, de l'accidentel, du fortuit, comme il dit dans le texte, si on entend par là un événement qui n'estpas directement prévisible, parce qu'il suppose un concours de plusieurs causes enchevêtrées, ou parce qu'il survient en dehors des conditions constantes desphénomènes. Juste avant le passage étudié, dans l'ouvrage dont celui-ci est tiré, C prenait des exemples : « Admettez que la chaleur solaire et la chaleur propre de la terre sedissipent graduellement, de manière qu'il doive venir un temps, à la vérité fort éloigné, où la terre cesserait de pouvoir nourrir des êtres vivants et vous aurez l'idéed'un phénomène déterminé en vertu de causes normales, régulières, essentiellement liées à la constitution du système qu'elles régissent.

Supposez au contraire,comme on se l'est quelquefois figuré, que, dans l'espace sans bornes et par-delà le système solaire, circule actuellement une comète destinée à rencontrer un jour laterre et à y détruire les espèces vivantes par maligne influence : ce sera l'exemple d'une cause accidentelle, et qui ne perdrait pas le caractère de cause accidentelle,quand même les astronomes seraient dès à présent en mesure de calculer l'époque de la rencontre.

On aura un autre exemple du même contraste, si l'on oppose auphénomène régulier des marées, dont les calculs se trouvent dans les éphémérides, l'accident de la débâcle d'un glacier ou d'un lac de montagnes ; et ce dernierphénomène n'en devrait pas moins être réputé accidentel, parce que les progrès de la météorologie et de la géognosie permettraient d'en assigner la date à l'avance, ouparce que les hommes pourraient se prémunir contre les désastres de l'inondation au moyen d'épaulements, de barrages ou de reboisements.

» C'est-à-dire que, pour la « mort » du soleil, on a un phénomène rattaché aux lois tout à fait universelles de la matière, tandis que le cas de la comète représente unphénomène isolé, qui peut pourtant être prévu.

C'est, dit C, un fait accidentel qui ne tient pas directement au fonctionnement du tout.

Idem s'agissant des marées,d'une part, et de l'effondrement local d'un glacier. Voici comment, d'une manière générale, C définit le hasard : « ce n'est point, comme on l'a tant répété, un fantôme créé pour nous déguiser à nous-mêmes notreignorance, ni une idée relative à l'état variable et toujours imparfait de nos connaissances, mais bien au contraire la notion d'un fait vrai en lui-même, et dont la véritépeut être dans certains cas établie par le raisonnement, ou plus ordinairement constatée par l'observation, comme celle de tout autre fait naturel.

Le fait naturel ainsiétabli ou constaté consiste dans l'indépendance mutuelle de plusieurs séries de causes et d'effets qui concourent accidentellement à produire tel phénomène, à amenertelle rencontre, à déterminer tel événement, lequel pour cette raison est qualifié de fortuit; et cette indépendance entre des chaînons particuliers n'exclut nullementl'idée d'une suspension commune de tous les chaînons à un même anneau primordial, par delà les limites, ou même en deçà des limites où nos raisonnements et nosobservations peuvent atteindre.

» Autrement dit, le hasard n'est pas qu'un mot que nous plaquons sur les événements que nous n'avons pas prévus et qui surgissent à l'improviste, et que, partant, noussupposons aussi avoir été en eux-mêmes imprévisibles.

Le hasard ne désigne pas non plus un effet sans cause (absurde), mais bien au contraire un fait qui, dans sonapparition, dépend d'une multitude de causes.

En somme, un fait complexe.

Et C va même jusqu'à supposer que celui-ci peut bien, en dernière instance, se rattacheraux lois générales des choses, mais sans que nous soyons en mesure de le connaître.

Toutefois, grâce aux statistiques et au calcul des probabilités, C estime quecertaines contingences peuvent être prévues : il prend l'exemple des phénomènes météorologiques temporaires et régionaux.

Il n'y a pas d'effet sans cause et tout, endéfinitive, se rapporte à des constantes universelles, mais selon des enchaînements causaux plus ou moins directs et compliqués.

Un fameux mathématicien, EmileBorel, a dit : « le hasard, ce sont les lois que nous ne connaissons pas.

» Or, C pense aussi que la même intrication de lois générales et d'événements ponctuels et accidentels existe dans l'histoire : « Les mêmes considérations sontapplicables dans l'ordre des faits historiques, explique-t-il avant le passage en jeu (…).

Les conditions de la société changent lentement le cours des siècles, en vertude causes intimes et générales dont on démêle l'action à travers tous les incidents de l'histoire ; et en même temps, de brusques secousses auxquelles on donne le nomde révolutions, déterminées par des causes locales et accidentelles, exercent çà et là des actions dont la sphère varie d'étendue (…).

Sans la distinction du nécessaireet du fortuit, de l'essentiel et de l'accidentel, on n'aurait même pas l'idée de la vraie nature de l'histoire.

» Certes, concède-t-il, si on attribue tout à la contingence, alors l'histoire ne nous donne plus rien à comprendre.

Elle se réduit à une suite d'accidents sans rapport lesuns avec les autres ; elle devient entièrement incohérente ; elle est, pour reprendre un mot célèbre de Shakespeare, « un récit conté par un idiot, plein de bruit et defureur, et qui ne signifie rien.

» Le philosophe soucieux de dégager les causes essentielles des faits eux-mêmes ne peut plus y trouver quoi que ce soit d'instructif, même s'il a sous les yeux desprodiges de volonté humaine, des hauts faits héroïques, des révolutions terribles, des batailles épiques… Sans la possibilité de dégager de l'histoire une causalitédéterminante, en fin de compte explicative, le récit historique n'est plus un savoir, mais une forme littéraire où sont consignés des entreprises humaines chaotiques,« sans queue ni tête ». Mais, en l'occurrence, C va distinguer une causalité secondaire, soumise au hasard, et qui est précisément l'histoire politique (les « caprices de la politique »), et la« raison des événements », c'est-à-dire les forces qui entraînent d'abord les événements au cours desquels, secondairement seulement, interviennent les « grandshommes ».

C dit, avant notre passage : « Si l'on tient à une parfaite exactitude de langage, il faudra dire que l'étiologie ou la philosophie de l'histoire s'enquiert de laraison des événements plutôt que de la cause des événements.

Car, l'idée de cause implique celle d'une action, d'une force douée de son énergie propre; et ce que lacritique historique doit mettre en évidence, ce sont le plus souvent des résistances passives, des conditions de structure et de forme qui prévalent à la longue et dansl'ensemble des événements sur les causes proprement dites, sur celles qui interviennent avec le mode d'activité qui leur est propre, dans la production de chaqueévénement en particulier.

»Cela signifie deux choses : d'une part, les « grands hommes » ne font que ce qu'il leur est possible de faire dans un contexte historique global qui détermine leschoses ; d'autre part, leurs actions elles-mêmes ne sont pas entièrement contrôlées.

En effet, le « caprice humain » renvoie à la part de contingence qui existe dans lecomportement des individus, dans leur manière de penser et d'agir.

« Quoique les hommes se flattent de leurs grandes actions, elles ne sont pas souvent les effets d'ungrand dessein, mais des effets du hasard » disait aussi La Rochefoucauld. Au « dernier moment », un acteur principal de l'histoire peut avoir des doutes, une faiblesse, perdre du temps, céder à une passion, etc.

Lorsque Robespierre, son frèreet un ami se réfugient à l'Hôtel de Ville de Paris après que la Convention eut voté le décret d'accusation contre l'orateur révolutionnaire, la Commune de Paris faitsonner le tocsin et s'apprête à l'insurrection pour les sauver.

Mais Robespierre tergiverse à donner l'ordre du soulèvement.

Affolés, les députés votent la mise hors-la-loi de celui-ci, ce qui équivaut à une mort sans procès.

La nuit avançant et l'ordre d'insurrection ne venant pas, les rangs de la Commune finissent par se clairsemer et,vers deux heures du matin, une troupe dirigée par Barras fait irruption dans l'Hôtel de Ville sans rencontrer beaucoup de résistance.

Robespierre sera guillotiné lelendemain, ce qui va déclencher la fin de la Terreur et le retour de la république bourgeoise, sous un régime corrompu qui sera lui-même détruit par Bonaparte. Cependant, C est du même avis que Montesquieu s'agissant de l'ordre des causes (« Ce n'est pas la fortune qui domine le monde...

Il y a des causes générales, soitmorales, soit physiques… ») : ce sont des forces extérieures aux désirs et aux desseins des hommes, y compris les principaux acteurs de l'histoire, qui conduisent les. »

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