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COMMINES (1445-1511). Derniers moments de Louis XI.

Publié le 22/06/2011

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Philippe de Commines fut d'abord attaché à la personne de Charles le Téméraire, duc de Bourgogne. Puis il passa au service du roi de France, Louis XI, dont il devint le confident. Aussi a-t-il pu nous donner, dans ses Mémoires (composés de 8 livres) les détails les plus précis sur la politique et sur la vie privée de Louis XI. La valeur de Commines est surtout dans les réflexions très profondes qu'il a faites sur les événements de son temps. C'est déjà un philosophe de l'histoire; par là, il est supérieur à Froissart, dont il n'a pas les qualités artistiques.

Derniers moments de Louis XI.

Ledit seigneur, vers la fin de ses jours, fit clore, tout à l'entour de sa maison du Plessis-lès-Tours, de gros barreaux de fer, en forme de grosses grilles; et aux quatre coins de la maison, quatre moineaux de fer, bons et grands et épais. Lesdites grilles étaient contre le mur, du côté de la place, de l'autre part du fossé (car il était à fond de cuve, et il fit mettre plusieurs broches de fer, maçonnées dedans le mur, qui avaient chacune trois ou quatre pointes, et les fit mettre fort près l'une de l'autre. Et davantage ordonna dix arbalétriers dedans lesdits fossés pour tirer à ceux qui en approcheraient avant que la porte fût ouverte; et entendait qu'ils couchassent auxdits fossés e se retirassent auxdits moineaux de fer. Il entendait bien que cette fortification ne suffisait point contre grand nombre de gens, ni une armée; mais de cela il n'avait point de peur, mais craignait que quelque seigneur ou plusieurs ne fissent une emprise de prendre la place, demi par amour et demi par force, avec quelque peu d'intelligence, et que ceux-là prissent l'autorité et le fissent vivre comme homme sans sens et indigne de gouverner. La porte du Plessis ne s'ouvrait qu'il ne fût huit heures du matin, ni ne baissait le pont jusques à ladite heure, et lors y entraient les officiers. Et les capitaines des gai des mettaient les portiers ordinaires, et puis ordonnaient leur guet d'archers, tant à la porte que parmi la cour, comme en une place de frontière étroitement gardée; et nul n'y entrait que par le guichet et que ce ne fût su du roi, exceptés quelques maîtres d'hôtel et gens de cette sorte, qui n'allaient point devers lui. Est-il donc possible de tenir roi, pour le garder honnêtement, en plus étroite prison que lui-même se tenait? Les cages où il avait tenu les autres avaient quelque huit pieds en carré : et lui, qui était si grand roi, avait une bien petite cour de château à se promener. Encore n'y venait-il guère, mais se tenait en la galerie, sans partir de là, sinon que par les chambres allait à la messe, sans passer par ladite cour. Voudrait-on dire que ce roi ne souffrit pas aussi bien que les autres, qui ainsi s'enfermait et se faisait garder, qui était en peur de ses enfants et de tous ses prochains parents, qui changeait et muait de jour en jour ses serviteurs et nourris, et qui ne tenaient biens ni honneur que de lui, et en nul d'eux ne se osait fier, et se enchaînait de si étranges chaînes et clôtures? Si le lieu était plus grand que d'une prison commune, aussi était-il plus grand que prisonniers communs. On pourrait dire que d'autres ont été plus suspectionneux que lui ; maie ce n'a pas été de notre temps, ni par aventure homme si sage que lui, ni ayant si bons sujets. Et avaient ceux-là, par aventure, été cruels et tyrans; mais celui-ci n'a fait mal à nul qui ne lui ait fait quelque offense : je ne dis pas tous de qualité de mort. Je n'ai point dit ce que dessus pour seulement parler des suspections de notre roi, mais pour dire que la patience qu'il a portée en ses passions, semblables de celles qu'il a fait porter aux autres, je le répute à punition que Notre-Seigneur lui a donnée en ce monde pour en avoir moins en l'autre, tant ès choses dont j'ai parlé, comme en ses maladies bien grandes et douloureuses pour lui, et qu'il craignait beaucoup avant qu'elles lui advinssent ; et aussi afin que ceux qui viendront après lui soient un peu plus piteux au peuple, et moins âpres à punir qu'il n'avait été, combien que je ne lui veuille donner charge, ni dire d'avoir vu un meilleur prince : car, se il pressait ses sujets, toutes fois il n'eût point souffert que un autre l'eût fait, ni privé, ni étrange. Après tant de pleurs, et de suspections et douleurs, Notre-Seigneur fit miracle sur lui, et le guérit tant de l'âme que du corps, comme toujours a accoutumé en faisant ses miracles : car il l'ôta de ce misérable monde en grande santé de sens et d'entendement, en bonne mémoire, ayant reçu tous ses sacrements, sans souffrir douleurs que l'on connût, mais toujours parlant jusques à une patenôtre avant sa mort. Ordonna de sa sépulture, et qui il voulait qui l'accompagnât par le chemin; et disait qu'il n'espérait à mourir que au samedi, et que Notre Dame lui procurerait cette grâce, en qui toujours avait eu fiance et grande dévotion et priait, et aussi au samedi en suivant fût enterré. Et tout ainsi lui advint ; car il décéda le samedi, pénultième d'août, l'an mil quatre cent quatre-vingt et trois, à huit heures au soir, audit lieu du Plessis, où il avait pris la maladie le lundi de devant. Notre Seigneur le veuille avoir reçu en son royaume de paradis!

(Livre VI, chap. II.)

QUESTIONS D'EXAMEN

I. — L'ensemble. — Nature du morceau : une description suivie de réflexions. — Description de Plessis-lès-Tours. — En quoi consistait la clôture de la maison (insister sur la minutieuse description de cette redoutable clôture); L'auteur nous fait-il pénétrer à l'intérieur de la demeure royale ? (un simple mot de la cour et de la galerie); Nous montre-t-il l'hôte de la maison? dans quelle attitude ? A quel mobile obéissait Louis XI en prenant toutes les précautions dont parle Commines ? (préciser sa crainte); A quoi ressemblait sa maison ? (place de frontière étroitement gardée); A qui pouvait-il être comparé, à Plessis-lès-Tours ? Commines est-il indulgent ou sévère pour lui ? (Justifiez votre opinion); Quelle impression générale vous laisse cette lecture ?

II. — L'analyse du morceau. — Quelles sont les différentes parties du morceau? a) Description des moyens de défense ordonnés par Louis XI; — b) réflexions de l'auteur, — relatives particulièrement à deux points; — (les préciser); Pourquoi Louis XI fit-il exécuter autant d'ouvrages de défense autour de sa maison ? De qui se défiait-il surtout ? De quelle sorte de cages est-il parlé? Citez les noms de quelques personnages qui furent enfermés dans ces cages par ordre de Louis XI; Quel contraste est marqué par Commines dans le deuxième alinéa?

III. — Les expressions. — Dirait-on aujourd'hui : ... dedans lesdits fossés, — ... ses prochains parents? Comment dirait-on ? Les expressions lesdits et auxdits ne sont-elles pas encore parfois employées? Par qui? Dans quelle sorte d'écrits ? Expliquez les expressions suivantes : leur guet d'archers, — quelque huit pieds en carré; Quel est le sens de entendre, dans cette phrase : Il entendait bien que cette fortification...?

IV. — La grammaire. — Écrirait-on aujourd'hui exceptés avec un s, dans ce membre de phrase : exceptés quelques maîtres d'hôtel...? (formuler la règle); Indiquez quelques mots de la même famille que clore; Quels sont les pronoms contenus dans la dernière phrase du morceau? (fonction de chacun d'eux).

Rédaction. — De quelle manière vivait Louis XI à Plessis-lès-Tours ? — Réflexions.

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