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La compétence technique peut-elle fonder l'autorité politique ?

Publié le 02/04/2005

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L'origine de notre erreur ne réside-t-elle pas dans la mécompréhension de ce que signifie réellement l' « autorité politique », et par conséquent dans l'incapacité d'analyser ce qui pourrait être son fondement ?   - Nous avons en effet confondu l'autorité politique avec l' « art de gouverner » ou la « science politique ». Or, la qualité du prince n'est pas de maîtriser une technique quelconque, mais réside dans quelque chose de bien plus difficile à déterminer, que Machiavel appelait virtù (Le Prince), c'est-à-dire une sorte de capacité instinctive à saisir le cours des événements et à affronter la fortuna (destin, hasard). Cette sorte de « ruse » ne s'apprend pas, contrairement à un savoir technique qui peut faire l'objet d'une pédagogie.   - Affirmer que la compétence technique fonde l'autorité politique, c'est en fait se résigner à être gouverné par une technocratie médiocre ne possédant aucun projet politique digne de ce nom. Si les écoles et les concours permettent la constitution d'une classe de fonctionnaires loyaux et efficaces, l'autorité de ceux-ci n'est que de nature bureaucratique, et non pas réellement politique (cf. Max Weber, typologie du charisme dans Economie et société tome II, et Le Savant et la politique, La Découverte, 2003, pp.180-185). Nonobstant son caractère antidémocratique (critique de Bourdieu de la « reproduction des élites »), la bureaucratie doit elle-même être gouvernée par une autorité politique supérieure. Selon Weber, la qualité d'un « chef » politique réside plutôt dans son caractère passionné, c'est-à-dire dans le fait d'être animé par une « cause » qui anime ses actes politiques, tendant ceux-ci vers une fin déterminée (avoir une « vision d'avenir »).

Platon s’interrogeait sur les compétences requises pour être un bon politique, s’attachant ainsi à déterminer ce qu’était, en propre, l’art politique. Ainsi, dès ses origines,  la philosophie politique affirme que celui qui a les prétentions de diriger la cité doit d’abord posséder une techne spécifique. Mais de quelle nature doit-elle être ? Celle-ci serait-elle la même à toutes les époques ? Pour Machiavel, la qualité essentielle du prince n’est pas la possession d’une technique particulière, qui serait l’art de gouverner, mais plutôt de faire preuve de virtù, un mélange d’habileté, de ruse et de force. Mais ne doit-on pas considérer, avec Auguste Comte, qu’il s’agit là d’une définition dépassée de la politique ? L’ « âge du positivisme «, marqué par l’avènement des sciences modernes et la toute-puissance de la technique, ne nous oblige-t-il pas à fonder l’autorité politique sur la compétence technique ?

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« cruellement défaut à l'Italie.

D'autre part, Machiavel balaye toute différence entre histoire sacrée et histoire profane : ainsi comme il avait précédemment éliminé toute différence essentielle entre un législateur sacré commeMoise et un législateur profane, comme Thèsée ou Lycurgue , Machiavel place-t-il ici la Providence et la Fortune sur le même plan.La formule ici éclaire le double projet de Machiavel dans notre passage. Il s'agit tout d'abord de récuser la notion de hasard pour restaurer les droits de l'action politique efficace.

Ainsi lit-onque l'on peut soumettre la fortune, qui n'est donc qu'une puissance imaginaire.

Elle n'est pas une puissanceimpossible à maîtriser qui s'imposerait à nous malgré nos actes et nos volontés, un destin, mais quelque chose quenous pouvons diriger.Mais d'autre part, l'idée de l'audace nécessaire à l'action politique, les notions de lutte et de violence tendent àmontrer qu'il n'y a pas de modèle précis de l'action politique, que celle-ci contient toujours une part irréductibled'aventure, de risque.Aussi Machiavel se bat-il sur deux fronts ; : contre l'idée irrationnelle de fortune ou de destin qui pousse au désespoir et contre l'illusion inverse d'une possibilité de totale maîtrise de l'action.Pour remplir son premier objectif, Machiavel compare la fortune aux fleuves en crue « qui, lorsqu'ils se courroucent, inondent les plaines, renversent les arbres et les édifices […] chacun fuit devant eux, tout le monde cède à leurfureur ».

La métaphore rend bien compte de l'idée d'une force naturelle déchaînée et irrésistible, devant laquelle il est vain de lutter.

Mais : « il n'en reste pas moins que les hommes, quand les temps sont calmes, y peuvent pourvoir par digues et par levées. » Autrement dit l'idée de fortune n'est qu'une illusion résultant de l'imprévoyance des hommes.

De même qu'on ne peutprévoir le moment et la force de la crue, mais qu'on sait qu'elle peut avoir lieu et donc prévoir et aménager l'avenirpour rendre cette crue inoffensive, de même les risques politiques sont prévisibles et aménageables.« Il en est de même pour la fortune, qui manifeste sa puissance là où il n'y a pas de forces organisées pour luirésister. » La fortune, le destin, ne désignent aucune force positive, mais ne sont que l'envers de l'absence d'organisation des hommes.

Si toute la vertu, la virtuosité politique (la « virtù ») consiste pour Machiavel a « jeter de bons fondements », alors la fortune n'est que la projection illusoire de l'absence de « virtù » des hommes.

C'est dans les moments de calme politique que le dirigeant vertueux sait prévoir, anticiper et par suite conjurer lesdangers politiques.

Il s'agit donc de comprendre ses propres forces pour éliminer l'idée de fortune ou de destin « qui manifeste sa puissance là où il n'y a pas de forces organisées pour lui résister ». ainsi Machiavel conclut-il sur l'état de son pays et la prétendue « force du destin » : « Et si vous considérez l'Italie, qui est le siège de ces changements et qui leur a donné le branle, vous verrez qu'elle est une campagnesans levées et sans aucune digue.

Que si elle se fut donné un rempart d'une force suffisante comme l'Allemagne,l'Espagne ou la France, ou cette crue n'aurait pas fait les grands changements qu'elle a fait, ou elle ne se serait pasproduite. » Et voici l'idée de fortune contredite : la capacité des hommes à forger leur propre avenir est soit partielle (ilspeuvent minimiser les coups du sort) soit entière (les supprimer totalement).Cependant Machiavel fait rebondir la question en se demandant s'il vaut mieux, en politique, être prudent ou impétueux.

En effet, le raisonnement précédent peut favoriser une illusion inverse de la croyance en la fortune :celle qui voudrait que les recettes ou des modèles d'action soient possibles : « Et l'on voit aussi, de deux circonspects, l'un parvenir à ses fins, l'autre non, et de même deux prospérer également par deux manières de fairedifférentes, étant l'un circonspect, l'autre impétueux : ce qui ne vient de rien d'autre que du caractère des temps,qui se conforment ou non avec leurs procédés. » On ne peut donner de modèle universel de l'action politique, qui vaudrait en tous temps et en tous lieux.

Ainsi desprocédés différents peuvent tous deux fonctionner, tandis que, appliqués à des contextes différents, le même modede comportement peut amener tout aussi bien à l'échec qu'à la réussite.Machiavel veut rappeler tout d'abord la nécessité d'insérer l'action dans son contexte historique propre puisque réussite ou échec « ne viennent de rien d'autre que du caractère des temps, qui se conforment ou non avec leurs procédés ». Plus profondément, l'action politique dépend toujours de la saisie du « moment opportun », d'une compréhension de ce qu'exige précisément le moment singulier de l'action.

autrement dit la réussite de l'action dépend de laconjonction du « style » du dirigeant avec l'exigence de l'époque.

De cette conjonction on ne peut faire la théorie, il y a une part d'opacité irréductible, des données de fait qu'on ne peut déduire.

Ainsi, si nous avons un pouvoir sur lemonde qui nous entoure, si l'action politique n'est pas vaine, elle n'est pas déductible, ce pouvoir n'est pas total, etaucune « théorie de l'histoire » ne peut rendre l'acte politique certain. C'est pourquoi Machiavel déclare que : « La fortune est femme et il est nécessaire à qui veut la soumettre de la battre et la rudoyer […] en tant que femme elle est l'amie des jeunes, parce qu'ils sont moins circonspects, plushardis, et avec plus d'audace la commandent. » Ce qu'il met en avant, mais après avoir récusé la notion vulgaire de fortune ou de destin, c'est la part irréductibled'audace, de risque, d'aventure que contient toute action politique véritable.

La « virtù », la prévoyance et l'organisation dont tout le « Prince » fait l'apologie et démêle les conditions, ne va pas sans la saisie du « moment opportun », une part de passion. A la phrase de Machiavel répond en écho celle de Nietzsche : « Insouciant, railleur, violent , ainsi nous veut la sagesse.

Elle est femme, elle n'aimera jamais qu'un guerrier. » En luttant sur deux fronts, Machiavel entend à la fois récuser l'irrationalité de ceux qui croient à la « fortune », au destin et à l'impuissance de l'action politique.

Mais s'il souhaite restaurer les droits des décisions efficaces et de laprévoyance, Machiavel ne cède pas à l'illusion d'une science politique ou historique, si l'audace et le risque sont nécessaires, c'est qu'aucun procédé ne nous assure du succès, que la prudence se résout en routine et enincapacité à saisir le moment opportun de l'action.. »

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