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Qu'est-ce que comprendre ?

Publié le 06/02/2004

Extrait du document

J'assistais à la démonstration d'un illusionniste : un gros robinet était sur la scène; il n'était relié qu'à un tube de verre sortant par l'orifice d'où, habituellement, coule l'eau. Le tube, vertical, se terminait dans un petit bassin. Aucune conduite d'adduction de l'eau, et au signal du prestidigitateur, l'eau coulait dans le tube de verre et emplissait le bassin. Je ne comprenais pas comment l'eau pouvait sortir sans être entrée. Je sentais bien qu'il y avait un « truc «, mais je ne voyais pas lequel. Impression que « quelque chose « manquait à la perception, et que ce quelque chose devait transformer le non-sens en intelligible. Lorsque je sus qu'à l'intérieur du tube de verre, un second tube plus fin, amenait l'eau sous pression et qu'elle ressortait le long des parois du premier tube, je compris. En quoi la perception avait-elle changé, qu'est-ce que « comprendre « ?  

« Introduction Rousseau traite dans ce texte du problème de l'origine du langage humain, ainsi que des rapports qu'il convient d'établir entre le processus de formation dulangage et le processus de formation de la communauté.

À la même époque, les Encyclopédistes, singulièrement Condillac, avaient résolu ce problème enoptant pour l'hypothèse d'une origine intellectuelle du langage : la création de celui-ci s'expliquerait par un accord intervenu entre les hommes sur unsystème de conventions arbitraires, ce qui suppose une antécédence de l'organisation communautaire sur l'institution du langage.

C'est cette suppositionque conteste ici Rousseau, en faisant valoir que la possibilité d'un tel accord, préalable à la constitution d'un langage, suppose elle-même que les humainsaient pu par le langage communiquer leurs idées.Qu'en est-il de ce langage d'avant la convention ? C'est ce point que Rousseau aborde ici.

Dans le Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité(d'où ce texte est extrait), comme dans V Essai sur l'origine des langues, Rousseau soutient la thèse exactement inverse de celle des « conventionnalistes» : il plaide en faveur d'une origine «naturelle» du langage, mais il ne sépare pas pour autant cette origine du point de départ de la vie communautaire. I.

Étude ordonnée. 1.

L'hypothèse d'un langage avant le langage. Le premier temps tel que le décrit Rousseau paraît coïncider avec l'état de nature, c'est-à-dire une période antérieure à l'organisation communautaire ; enréalité, il s'agit d'un état-limite, que connaissaient les humains au moment où ils n'étaient plus tout à fait sauvages et pas encore civilisés.Le début du texte apporte un premier élément de réponse à la question initiale : pour expliquer l'institution du langage articulé dans une communautéorganisée, il faut supposer la formation d'un langage « inarticulé » dans une époque antérieure.

a) Rousseau émet l'hypothèse d'un langage d'avant lelangage, le plus primitif et inséparablement le plus universel, ici nommé « le cri de la nature », c'est-à-dire l'expression en l'homme et par l'homme desentiments naturels.

C'est un langage qui n'en est pas vraiment un, puisqu'il n'est encore qu'une simple manifestation instinctive et que les humains ne ledécouvrent et n'y recourent qu'en des circonstances exceptionnelles : des états d'urgence. b) Mais il s'agit déjà pleinement d'un langage (il mérite de porter ce nom) en tant qu'il est composé de signes exprimant des mouvements de la passion et dela sensibilité, et qui sont susceptibles d'être compris : ces signes naturels ont un sens. 2.

Le développement de l'expressivité du langage. Le deuxième temps correspond à la période de transition séparant l'émergence des premiers signes expressifs et la création d'un langage articulé. a) Rousseau établit ici une corrélation entre le perfectionnement du langage primitif et la formation du lien social, entre d'une part l'extension et lamultiplication des idées et d'autre part l'extension du langage et la multiplication des signes : l'unité et la nécessité de ces deux processus donnent lieu àun nouveau concept de communication.Celui-ci se divise en fonction de la division objective du monde extérieur, c'est-à-dire l'univers des objets (les référents selon la terminologie moderne) : lesobjets perçus par les yeux, ceux qui sont distribués dans un champ de visibilité, sont désignés par des moyens visibles, les gestes ; tandis que les objetsdistribués dans l'espace sonore, perçus par l'oreille, sont désignés par des moyens eux-mêmes sonores : les inflexions de la voix.

Ce stade intermédiaire,marqué par le développement intellectuel (les idées), est commandé par une communication encore naturelle : les signes sont fondamentalement imitatifs,et en ce sens il n'y a pas rupture avec le premier stade. b) Il convient de noter la complexité du rapport que Rousseau décèle ou imagine entre la gestuelle et l'expression sonore : le geste est considéré à la foiscomme plus expressif que la voix et comme une adjonction ou un supplément à la parole, non moins naturel que celle-ci, et même davantage qu'elle dans lamesure où il est plus immédiat. 3.

Le troisième temps est celui de la convention : institution du langage comme ensemble de signes articulés. C'est le moment où les inflexions de la voix cessent de remplir une fonction purement imitative et de désigner des objets que perçoit l'oreille : les signessonores deviennent un mode de communication exclusif et autonome obéissant à une fonction de représentation de la totalité des idées. a) Le passage du deuxième au troisième temps prend la forme d'une rupture que Rousseau présente comme l'effet d'une décision collective : le langagecomme convention résulte d'une substitution de la voix au langage d'action.

La raison de cette substitution est d'ordre empirique : l'efficacité de la gestuelleétait rendue aléatoire ou neutralisée par les variations de l'espace de visibilité. b) Rousseau indique explicitement que l'instauration du langage comme ordre conventionnel implique une entente entre tous les membres de la communauté: « commun consentement », « accord unanime », mais il n'examine pas pour lui-même le mécanisme de cette procédure.

L'argument majeur auquel ilordonne sa démonstration réside non pas dans l'analyse même de cet événement que fut l'apparition d'un langage conventionnel, mais dans la déterminationlogique et chronologique de cet événement, qui ne peut être expliqué par lui-même, mais par ses conditions : antécédence de la parole sur l'usage de laparole.

On notera de nouveau que cette antériorité ne correspond pas strictement à l'antériorité de la nature sur la culture : naturel dans son état originaire,le langage satisfaisait déjà à une exigence sociale (demande de secours) et, devenu conventionnel au terme du processus, il demeure défini par sesconditions naturelles. II.

Intérêt philosophique. Mise en perspective.

Platon et Saussure. S'agissant du débat entre conventionnalistes et naturalistes, on confrontera la thèse de Rousseau en amont avec la problématique du Cratyle de Platon, en aval avec le Cours de linguistique générale de Saussure (1916), qui soutient une position radicalementconventionnaliste : thèse de l'arbitraire du signe linguistique, et affirmation de l'autonomie de l'ordre de la langue par rapport à l'ordre du réel.On relèvera que dans la logique de son argumentation, Rousseau peut soutenir que la thèse conventionnaliste est impuissante à récuser l'hypothèsenaturaliste, tandis que l'hypothèse naturaliste est à même de rendre compte des présupposés du conventionnalisme.. »

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