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La conscience morale : légitimité et limites

Publié le 25/07/2010

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conscience

"Conscience ! conscience ! Instinct divin, immortelle et céleste voix ; guide assuré d'un être ignorant et borné, mais intelligent et libre ; juge infaillible du bien et du mal, qui rends l'homme semblable à Dieu, c'est toi qui fait l'excellence de sa nature et la moralité de ses actions ; sans toi je ne sens rien en moi qui m'élève au-dessus des bêtes, que le triste privilège de m'égarer d'erreurs en erreurs à l'aide d'un entendement sans règle et d'une raison sans principe.  Grâce au ciel, nous voilà délivrés de tout cet effrayant appareil de philosophie : nous pouvons être hommes sans être savants ; dispensés de consumer notre vie à l'étude de la morale, nous avons à moindre frais un guide plus assuré dans ce dédale immense des opinions humaines. Mais ce n'est pas assez que ce guide existe, il faut savoir le reconnaître et le suivre. S'il parle à tous les coeurs, pourquoi donc y en a-t-il si peu qui l'entendent ? Eh ! c'est qu'il nous parle la langue de la nature, que tout nous a fait oublier."      Rousseau, Emile ou de l'éducation, 1762, IV.    "Qu'est-ce qu'un inconscient ? C'est un homme qui ne se pose pas de question. Celui qui agit avec vitesse et sûreté ne se pose pas de question ; il n'en a pas le temps. Celui qui suit son désir ou son impulsion sans s'examiner soi-même n'a point non plus occasion de parler, comme Ulysse, à son propre cour, ni de dire Moi, ni de penser Moi. En sorte que, faute d'examen, moral, il manque aussi de cet examen contemplatif qui fait qu'on dit : « je sais que je sais ; je sais que je désire ; je sais ce que je veux. «. Pour prendre conscience, il faut se diviser soi-même. Ce que les passionnés, dans le paroxysme, ne font jamais ; ils sont tout entier à ce qu'ils font et à ce qu'ils disent ; et par là ils ne sont point du tout pour eux-mêmes. Cet état est rare. Autant qu'il reste de bon sens en un homme, il reste des éclairs de penser à ce qu'il dit ou à ce qu'il fait ; c'est se méfier de soi ; c'est guetter de soi l'erreur ou la faute. Peser, penser, c'est le même mot ; ne le ferait-on qu'un petit moment, c'est cette chaîne de points clairs qui fait encore le souvenir."    Alain, Propos, 30 juin 1923.    "Dans ma « Morale «, si je m'amusais d'en faire une, on pourrait faire tout le mal que l'on voudrait, à la condition expresse de l'avoir nettement voulu et prévu en tant que mal, sans rien s'être épargné de sa connaissance, étant descendu soigneusement dans sa figure, dans ses conséquences probables, dans le bien que l'on pense en tirer - et considérant, comme défendu absolu, toute fissure pour le remords, tout ce qui me ferait ensuite vomir mon passé et souillerait le jour présent - le lendemain.  Fais ce que tu veux si tu pourras le supporter indéfiniment."    Valéry, Tel quel, Cahier B 1910, 1943, Folio essais, pp. 173-174.    "L'une des manières, dont on a évité la nécessité de faire appel aux règles extérieures de conduite a été la croyance à la « conscience «, qui a eu une importance particulière dans la morale protestante. On a supposé que Dieu révélait à chaque cœur humain ce qui est bien et ce qui est mal, de sorte que, pour éviter le péché, nous n'avons qu'à écouter la voix intérieure. Cette théorie présente cependant deux difficultés : en premier lieu, la conscience ne dit pas la même chose à tout le monde ; en second lieu, l'étude de l'inconscient nous a permis de comprendre les causes matérielles des scrupules de conscience.  En ce qui concerne les expressions différentes de la conscience : la conscience de George III d'Angleterre lui disait qu'il ne devait pas accorder de droits civiques aux catholiques, sans quoi il se serait parjuré en prononçant le serment du sacre, mais ses successeurs n'ont pas eu les mêmes scrupules. La conscience conduit les uns à condamner l'exploitation des pauvres par les riches, pratiquée par les capitalistes. Elle dit à l'un qu'il doit défendre son pays en cas d'invasion, tandis qu'elle dit à l'autre que toute participation à la guerre est coupable. Pendant la guerre de 1914-1918, les dirigeants britanniques, dont peu avaient étudié la morale, furent très embarrassés par l'existence de la conscience, et furent conduits à des décisions singulières, par exemple qu'un homme pouvait avoir des scrupules de conscience quand il s'agissait de se battre lui-même, mais non quand il s'agissait de travailler aux champs de manière à permettre l'appel d'un autre homme sous les drapeaux. Ils pensaient aussi que, si la conscience pouvait désapprouver toute guerre, elle ne pouvait pas, à défaut de cette position extrême, désapprouver la guerre alors en cours. Ceux qui, pour une raison quelconque, pensaient qu'il ne fallait pas se battre, étaient obligés de définir leur position d'après cette conception assez primitive et peu scientifique de la « conscience «.  La diversité des expressions de la conscience devient toute naturelle quand on en comprend l'origine. Dans la première jeunesse, certaines catégories d'actes rencontrent l'approbation, d'autres la désapprobation ; et, par le processus normal d'association des idées, le bien-être et le malaise s'attachent peu à peu aux actes eux-mêmes, et non plus seulement à l'approbation ou à la désapprobation qu'ils suscitent. À mesure que le temps passe, nous pouvons oublier complètement notre première éducation morale, mais certaines sortes d'actions continuent à nous donner un sentiment de gêne, tandis que d'autres nous procurent une exaltation vertueuse. Par introspection, ces sentiments nous paraissent mystérieux, puisque nous avons oublié les circonstances qui les ont causés à l'origine : il est donc naturel de les attribuer à la voix de Dieu dans notre cœur. Mais, en réalité, la conscience est le produit de l'éducation, et peut chez la plupart des hommes, être dressée à approuver et à désapprouver au gré de l'éducateur. S'il est donc juste de vouloir libérer la morale des règles extérieures, on ne peut guère y parvenir de façon satisfaisante à l'aide de la notion de « conscience «."    Russell, Science et religion, 1935, tr. fr. P.-R. Mantoux, 1975, Folio essais, pp. 167-169.

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