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LA CONSCIENCE... SELON ROUSSEAU (Emile, Livre IV.)

Publié le 15/02/2011

Extrait du document

conscience

En suivant toujours ma méthode, Je ne tire point ces règles des principes d'une haute philosophie, mais je les trouve au fond de mon cœur écrites par la nature en caractère ineffaçables. Je n'ai qu'à me consulter sur ce que je veux taire : tout ce que je sens être bien est bien, tout ce que je sens être mal est mal : le meilleur de tous les casuistes ( = les docteurs chargés d'appliquer la théorie aux cas pratiques) est la conscience ; et ce n'est que quand on marchande avec elle qu'on a recours aux subtilités du raisonnement... La conscience est la voix de l'âme, les passions sont la voix du corps...  Rentrons en nous-mêmes, ô mon jeune ami ! examinons, tout intérêt personnel à part, à quoi nos penchants nous portent. Quel spectacle nous flatte le plus, celui des tourments ou du bonheur d'autrui ? Qu'est-ce qui nous est le plus doux à faire, et nous laisse une impression plus agréable après ravoir fait, d'un acte de bienfaisance ou d'un acte de méchanceté ? Pour qui vous intéressez-vous sur vos théâtres ? Est-ce aux forfaits que vous prenez plaisir ? Est-ce à leurs auteurs punis que vous donnez des larmes ? Tout nous est indifférent, disent-ils, hors notre intérêt et, tout au contraire, les douceurs de l'amitié, de l'humanité, nous consolent dans nos peines : et, même dans nos plaisirs, nous serions trop seuls, trop misérables, si nous n'avions avec qui les partager. S'il n'y a rien de moral dans le cœur de l'homme, d'où lui viennent donc ces transports d'admiration pour les actions héroïques, ces ravissements d'amour pour les grandes âmes ? Cet enthousiasme de la vertu, quel rapport a-t-il avec notre intérêt privé ? Pourquoi voudrais-je être Caton qui déchire ses entrailles plutôt que César triomphant ? Otez de nos cœurs cet amour du beau, vous ôtez tout le charme de la vie. Celui dont les viles passions ont étouffé dans son âme étroite les sentiments délicieux ; celui qui, à force de se concentrer au-dedans de lui, vient à bout de n'aimer que lui-même, n'a plus de transports, son cœur glacé ne palpite plus de joie ; un doux attendrissement n'humecte jamais ses yeux ; il ne jouit plus de rien ; le malheureux ne sent plus, ou ne vit plus ; il est déjà mort.    ...Le méchant se craint et se fuit ; il s'égaye en se jetant hors de lui-même ; il tourne autour de lui des yeux inquiets, et cherche un objet qui l'amuse ; sans la satire amère, sans la raillerie insultante, it serait toujours triste ; le ris moqueur est son seul plaisir. Au contraire la sérénité du juste est intérieure ; son ris n'est point de malignité, mais de joie : il en porte la source en lui-même ; il est aussi gai seul qu'au milieu d'un cercle ; il ne tire pas son contentement de ceux qui l'approchent, il le leur communique...    Conscience 1 conscience I instinct divin, immortelle et céleste voix ; guide assuré d'un être ignorant et borné, intelligent et libre ; juge infaillible du bien et du mal, qui rend l'homme semblable à Dieu, c'est toi qui fais l'excellence de sa nature et la moralité de ses actions ; sans toi, je ne sens rien en moi qui m'élève au-dessus des bêtes, que le triste privilège de m'égarer d'erreurs en erreurs à l'aide d'un entendement sans règle et d'une raison sans principe.    (Emile, Livre IV.)

Qu'est-ce que la conscience ? Les philosophes, — car c'est eux que le problème intéresse particulièrement, — apportent à cette question des réponses assez discordantes. Selon les spiritualistes, la conscience est la voix de Dieu ; selon les sociologues, c'est la voix de la société imposée à l'enfant par l'éducation. Les uns diront que sans un certain instinct du Bien l'éducation serait impossible. Les autres font remarquer que le Cannibale qui se repaît sans remords d'un Blanc cuit à point n'a pas la même conscience qu'un civilisé, que d'autre part la notion même du Bien est l'objet de réflexions profondes, de raisonnements, etc..., et que toutes les morales religieuses ont leurs casuistes.    Sur ce problème métaphysique qui, comme tous les problèmes de ce genre, ne saurait recevoir de solution définitive, Rousseau n'en a pas moins écrit des pages très affirmatives : « En suivant toujours ma méthode...—et d'une raison sans principe. « — Nous rechercherons comment Rousseau en est venu à cette conception de la conscience et nous examinerons les points sur lesquels elle prête à discussion.   

conscience

« Rousseau n'écoute que sa voix.

Helvétius recherche son intérêt égoïste ; Rousseau vante les plaisirs de l'amitié.Voltaire, — car c'est lui le « méchant » dont parle Rousseau, — est malheureux : son rire, selon Rousseau, est ameret cache une tristesse profonde : « Sans la satire amère, sans la raillerie insultante, il serait toujours triste ; le rismoqueur est son seul plaisir.

» Inversement le « juste », — c'est-à-dire Rousseau, — connaît la sérénité parfaite etla communique aux autres.Dans le détail, on sent des allusions à des faits de la vie de Rousseau.

On sait qu'il s'était senti visé par la phrase deDiderot : « Il n'y a que le méchant qui soit seul » et il parlera longuement de l'affaire dans les Confessions.

Ici, àdeux reprises, ses soucis transparaissent : « ...et, même dans nos plaisirs, nous serions trop seuls, trop misérables,si nous n'avions avec qui les partager » ; et plus loin : « il est aussi gai seul qu'au milieu d'un cercle.

» Rousseautient à souligner que son goût de la solitude ne s'oppose pas à la fréquentation des hommes et qu'il est partoutheureux. 2.

— Son public sensible. Rousseau se fait d'autant plus volontiers, le champion du cœur qu'il veut plaire au public « sensible » de la 2e moitiédu XVIIIe siècle.

Il marque les rapports qui unissent la conscience et l'attendrissement pour la vertu.

Un paragrapheentier est consacré à l'éloge de cet attendrissement. 3.

— Style. Le style, comme les idées mêmes, révèle l'origine personnelle des conceptions de Rousseau, son attitude de réaction: constamment des antithèses opposent les philosophes à Rousseau.

La thèse adverse est attaquée avec une ironieou une éloquence passionnées.

La thèse de Rousseau s'exprime au contraire avec ferveur (Cf.

le portrait du juste)ou avec lyrisme (Cf.

l'envolée finale).

Qu'il loue ou qu'il blâme, Rousseau adopte partout un ton catégorique. 2.

— Discussion. Malheureusement la passion est mauvaise conseillère.

Certes les philosophes vouent parfois un culte excessif à laraison et à l'utile, et Voltaire, par exemple, fait bon marché de l'inquiétude pascalienne.

Mais Rousseau réagit à cetexcès par un excès contraire.

Il donne l'impression de lutter pour lutter, et ses réactions sont parfois aveugles. Il dénigre la raison ; soit ! Mais lui-même veut argumenter, et il argumente fort mal : « Examinons, tout intérêtpersonnel à part, à quoi nos penchants nous portent ».

La restriction, glissée négligemment au milieu de la phrase,est en fait capitale : n'est-ce pas l'intérêt personnel qui est à l'origine de la plupart des mauvaises actions :mensonges, vols, crimes...

? Ce penchant égoïste supprimé, Rousseau a beau jeu pour dire que les autres penchantssont généreux et révèlent la bonté innée de l'homme. Il s'attendrit sur la vertu, s'enthousiasme pour l'héroïsme.

Fort bien.

Mais la vertu n'est pas qu'un spectacle, ouqu'un plaisir goûté par les âmes sensibles.

L'important est de la pratiquer soi-même.

Rousseau manque de pudeur lorsqu'il s'écrie : « Pourquoi voudrais-je être Caton qui déchire ses entrailles,plutôt que César triomphant » alors que les « Confessions » contiennent l'aveu de faiblesses ou de fautes graves,tout à fait indignes de Caton. Il y a une partialité flagrante dans l'interprétation du sourire de Voltaire, et encore plus dans l'hymne chanté enl'honneur de sa propre sérénité.

Les « Confessions » vont bientôt nous révéler sa manie de la persécution.Vantardise, défi...

Et comme la réalité est ici forcée par passion, on est peu enclin à croire Rousseau véridique dansle reste de la page. Enfin, même au point de vue théorique, Rousseau est bien le seul à simplifier la question à ce point.

Toutediscrimination du bien et du mal nécessite réflexion.

Montaigne, Bossuet, Vigny, luttent chacun à leur manière, maistoujours en argumentant, contre ce qu'ils considèrent comme l'erreur.

Enfin n'existe-t-il pas des « cas deconscience » qui laissent le cœur plus embarrassé encore que l'esprit (Cf.

le « Cid ») ? Conclusion. Rousseau aura toujours du succès auprès des âmes simples.

L'appel aux bons sentiments, la morale du cœur, lepanache stoïcien...

sont toujours efficaces, ainsi que les formules à l'emporte-pièce et les mouvements oratoires oulyriques bien rythmés. Quant à nous, qui jugeons plus froidement et avec le recul nécessaire, nous ne saurions rester indifférents auxinsuffisances de la thèse de Rousseau et à ses excès dictés avant tout par la passion polémique.

Pour ce gravedéfaut de mesure et de sérénité profonde, Rousseau, dans ce chapitre du moins, ne saurait, selon nous, êtreconsidéré comme un maître à penser.. »

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