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Cours: LES MATHEMATIQUES (1 de 2)

Publié le 22/02/2012

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mathematiques

 

"Je crois que deux et deux sont quatre, et que quatre et quatre sont huit"

INTRODUCTION: ce cours constitue une première étape pour arriver au cours sur la notion de vérité.

Pourquoi cela? Parce qu’on a pu dire des mathématiques qu’elles "ont fait luire aux yeux des hommes une autre norme de vérité" (Spinoza). C’est dans le domaine des mathématiques que les hommes ont pu apprendre ce que c’est qu’un raisonnement.

Et de nos jours, elles sont toujours "la reine des sciences", à tel point qu’une autre science (comme la physique) ne semble scientifique que dans la mesure où elle se conforme au modèle des mathématiques, ou au moins qu’elle utilise un outil mathématique (comme la sociologie qui utilise les statistiques).

Mais inversement, on a pu leur reprocher de n’être qu’une discipline gratuite, un jeu vide, stérile. Il est vrai que c’est la seule science peut-être, qui ne nous apprenne rien sur le monde qui nous entoure.

Ambiguïté des mathématiques donc: à la fois domaine du raisonnement pur (vérité vraie) et pourtant connaissance inutile (vérité vide)...

Alors, que font réellement les mathématiciens quand ils font des mathématiques?

I. LA NATURE DE L’OBJET MATHEMATIQUE

Et d’abord: de quoi parlent-ils? Quelle est la nature de l’objet mathématique?

1) Un être idéal...

Lorsqu’un géomètre fait une démonstration sur, par exemple, un cercle, il appuie sa démonstration par une figure, un dessin. Mais sa démonstration ne porte pas sur ce dessin. Pour que son raisonnement ait une valeur générale, il doit porter sur le "cercle en soi", sur l’idée de cercle, pas sur le cercle qu’il a dessiné.

Si on veut trouver le rayon d’un cercle dont on connaît la superficie, il y a deux manières de procéder.

1) Soit on dessine un cercle qui ait la superficie requise et on mesure son rayon: c’est la méthode empirique, approximative (le cercle n’aura jamais la superficie requise, on mesure le rayon avec une certaine marge d’erreur, etc...), qui vaudra pour ce cercle-ci, pas pour un autre.

2) Soit on construit l’idée de cercle dans sa tête, et on cherche le rapport qui peut exister entre rayon et superficie (S = pi R²). Ce calcul aura une valeur générale (valable pour tous les cercles) et sera exact. Finalement, pour le géomètre, il n’y a qu’un seul cercle, c’est l’idée de cercle qui contient en elle tous les cercles possibles, c’est un cercle sans diamètre précis, mais qui contient tous les diamètres possibles. Le diamètre n’est pas autre chose qu’un rapport avec la circonférence.

On peut donc dire que l’objet mathématique est un être idéal; même si le géomètre trace des figures pour illustrer son raisonnement, il ne raisonne pas d’après ce qu’il voit sur cette figure. La figure sensible du cercle n’est pas le vrai cercle. Si l’on y regarde de près d’ailleurs, le cercle que je peux tracer, même au compas, n’est jamais tout à fait sphérique. Le cercle n’existe vraiment comme cercle qu’en idée.

Cf. le texte suivant de Platon

Ils (les géomètres) se servent de figures visibles et ils raisonnent sur ces figures, quoique ce ne soit point à elles qu'ils pensent, mais à d'autres auxquelles celles-ci ressemblent. Par exemple c'est du carré en soi, de la diagonale en soi qu'ils raisonnent, et non de la diagonale telle qu'ils la tracent, et il faut en dire autant de toutes les autres figures. Toutes ces figures qu'ils modèlent ou dessinent, qui portent des ombres et produisent des images dans l'eau, il les emploient comme si c'étaient aussi des images, pour arriver à voir ces objets supérieurs qu'on n'aperçoit que par la pensée.

Platon République, VI, 510c-510e

Sens du texte: opposer au cercle que l’on dessine, le vrai cercle, celui sur lequel porte la démonstration, et dont le premier n’est que le reflet lointain, sensible.

Conclusion: retenir que les mathématiques sont le domaine du raisonnement pur. On commence par ne pas tenir compte de ce qu’on voit (élimination de l’intuition sensible), pour ne plus considérer que l’idée abstraite.C’est-à-dire que le géomètre n’a pas le droit de se servir de ce qu’il peut voir sur le dessin qu’il trace: il doit tout démontrer, même ce qui paraît "évident".

2) ...mais réel

Mais que les êtres mathématiques (nombres, figures...) soient des idées ne veut pas dire qu’ils ne sont que des productions de l’esprit, qu’on peut les changer à son gré. Les êtres mathématiques ont ceci de particulier que tout en étant des "idées", ils n’ont rien de psychologique ou de subjectif.

Le paradoxe, c’est que alors même qu’on ne les voit jamais, qu’on ne les rencontre jamais dans le monde réel, ils n’en sont pas moins réels...

Exemple: on rencontre bien trois arbres, mais pas le nombre trois: on rencontre des arbres!

Comment peut-on dire que ces idées sont douées de réalité?

Et bien, par exemple, si j’affirme que "la dixième décimale de pi est un nombre impair", il suffit de faire le calcul pour vérifier si c’est vrai ou faux.

Si j’affirme que " la dix-milliardème décimale de pi est un nombre impair", même si personne, aucun ordinateur au monde ne l’a encore calculé, cette proposition est pourtant dès maintenant, soit vraie, soit fausse. Simplement je l’ignore.

Quel est le sens de cet exemple? C’est que le mathématicien, dans son travail, découvre progressivement une réalité préexistante, il n’invente rien.. De tout temps, la dixième ou dix-milliardème décimale de pi était ce qu’elle est, même si personne n’en savait rien. En ce sens, les objets mathématiques sont doués de réalité: leurs caractéristiques et leur existence ne dépendent en rien de l’esprit humain qui les conçoit (on ne peut pas dire n’importe quoi à leur sujet). Ils existent avant nous, sans nous.

C’est pourquoi tout mathématicien est un platonicien: il parle d’une réalité des Idées. A tel point que Platon voyait dans les mathématiques une introduction à la dialectique (République, livres VI et VII): elles nous apprennent qu’il n’y a que les Idées qui aient de réalité. On dit même qu’au fronton de son école il aurait fait gravé la devise "Que nul n’entre ici s’il n’est géomètre".

Conclusion: les êtres mathématiques sont donc des idées mais douées de réalité. Elles sont mêmes en un sens plus réelles que ce qu’on désigne couramment comme le réel: elles sont inaltérables, éternelles, alors que dans le monde sensible, tout finit par disparaître ou passe dans son contraire (le chaud devient froid, le vivant devient mort, etc...).

II. LA DEMONSTRATION EN MATHEMATIQUES

Une démonstration, en général, est un raisonnement contraignant pour l’esprit. C’est-à-dire que si on accepte les prémisses, on est obligé d’accepter la conséquence.

Mais les mathématiques font une utilisation spécifique de la démonstration par rapport à la logique, qui est réellement la science de la démonstration, un "art de raisonner". Une démonstration en géométrie ne consiste pas simplement à enchaîner des propositions. C’est en même temps développer les caractéristiques de l’objet dont on parle, c’est découvrir toutes ses propriétés, enrichir le concept de l’objet en question.

Autre spécificité des démonstrations mathématiques: il est possible de les enchaîner toutes en un seul système. C’est pour cela que Descartes, par exemple y a vu un modèle de science: alors que toutes les autres connaissances humaines sont dans un état de désordre consternant, les mathématiques proposent des connaissances strictement enchaînées les unes aux autres. On peut partir de propositions simples, en déduire certaines conséquences, qui permettent de passer à d’autres connaissances. Tout le problème de la méthode sera de trouver le bon point de départ à partir duquel commencer (voir le Discours de la Méthode). La connaissance a un ordre: un commencement et une fin.

1) l’enchaînement des démonstrations en une axiomatique

Euclide, le premier a tenté une telle présentation systématique de toutes les connaissances mathématiques de son temps. Il les a rassemblées selon un certain ordre: du plus simple au plus complexe. Principe de base: avant d’admettre un théorème quelconque, il faut avoir démontré tous les théorèmes auquel il a lui-même recours...

Ce qui est remarquable, c’est que Euclide a ainsi pu démontrer les unes par les autres toutes les propositions de la géométrie, sauf certaines propositions de base.

Parce que ce sont des propositions premières, à partir desquelles on va pouvoir démontrer les autres, elles sont elles-mêmes indémontrables. Il n’y a pas de propositions plus simples à partir desquelles on pourrait les démontrer.

Ces "propositions premières" qu’on appelle également "indémontrables" peuvent de trois types: définitions, axiomes, ou postulats.

Isoler ces propositions premières à partir desquelles tout le reste va s’enchaîner, c’est ce qu’on appelle "axiomatiser".

Et ces premières propositions contiennent déjà implicitement toute la suite des démonstrations.

2) les définitions

Les définitions sont indémontrables parce que ce sont des hypothèses de départ.

Exemples de définition:

- soit ce qui n’a ni longueur ni largeur et que j’appelle "point"

- soit ce qui a longueur mais n’a pas largeur et que j’appelle "droite"

- soit ce qui a longueur et largeur et que j’appelle "plan"

On voit donc que les définitions en géométrie se passent toujours en deux temps: on pose un "être" (ce qui n’a ni longueur ni largeur par exemple), puis on lui attribue un nom.

ATTENTION: les définitions géométriques n’ont rien à voir avec les définitions qu’on peut trouver dans un dictionnaire.

Dans un dictionnaire, les définitions renvoient les unes aux autres. Pour comprendre une définition, il faut aller voir ce que veulent dire les termes qui entrent dans cette définition, dans une sorte de renvoi à l’infini.

Par ailleurs, les définitions du dictionnaire sont des définitions purement "nominales": elles donnent le sens d’un mot, en décrivant ce à quoi renvoie ce mot. Les définitions géométriques, au contraire, sont dites "réelles": elles donnent l’essence de la chose, son caractère déterminant. On dit également qu’elles sont "génétiques": elles engendrent la réalité qu’elles définissent. Par exemple, la définition "longueur sans largeur" crée un certain être mathématique qui a certaines propriétés, ce n’est pas le même être que celui qui est défini comme "le plus court chemin entre deux points", qui aura d’autres caractéristiques! Alors que dans le dictionnaire, on peut donner différentes définitions, aussi valables les unes que les autres, de la même réalité , en géométrie, ce ne serait plus la définition de la même chose! Pourquoi cela?

Parce que la définition du dictionnaire est là pour rendre compte d’une réalité préexistante, elle ne peut au fond que décrire ce qui est déjà là, elle doit "coller" à la réalité en question. La définition géométrique, au contraire, n’a pas à se calquer sur une réalité préalable: elle engendre cette réalité, c’est elle qui la crée!

Kant, Critique de la raison pure: "en philosophie, la définition (...) doit plutôt terminer que commencer l’ouvrage. Dans la mathématique, au contraire, nous n’avons aucun concept qui précède la définition, puisque c’est par elle que le concept nous est tout d’abord donné".

idem: "les définitions mathématiques ne peuvent jamais être fausses, car puisque le concept est d’abord donné par la définition, il ne contient que ce que la définition veut que l’on pense par ce concept". Il n’y a donc pas de mérite pour les définitions mathématiques: elles ne peuvent pas être fausses, elles peuvent tout au plus être vagues, mal faites.

3) Axiomes et postulats

Les axiomes sont des principes généraux, des vérités évidentes. Exemples: "le tout est plus grand que la partie" ou "si à des grandeurs égales on ajoute des grandeurs égales, les touts seront égaux"...

Il s’agit donc là de vérités générales, elles sont évidentes et indémontrables. En fait, elles sont indémontrables parce que évidentes (on ne dispose pas de propositions plus évidentes à partir des quelles les démontrer). Elles ne sont d’ailleurs pas propres à la géométrie: elles sont universellement valables, quelle que soit la science en question...

Les postulats ressemblent aux axiomes, mais il y a des différences profondes.

Exemples: "tracer une droite" ou "dessiner un cercle". Il s’agit en fait de ce qu’on nous demande de faire ou d’admettre. Mais il y a un postulat célèbre entre tous: le fameux cinquième postulat: "soit une droite qui tombe sur deux droites. Les deux droites vont se rencontrer du côté où les angles intérieurs sont inférieurs à deux angles droits".

Formulation moderne: "par un point extérieur à une droite, on ne peut tracer qu’une seule droite parallèle à la première".

Cette proposition ressemble en fait à un théorème non encore démontré... Euclide a essayé en vain de le démontrer, n’y arrivant pas, il nous demande de l’admettre.

Et depuis Euclide, des générations de géomètres se sont ingénié à essayer de le démontrer.

N.B. il nous semble évident que par un point extérieur à une droite, on ne peut tracer qu’une seule parallèle, il suffit de prendre une règle et de faire le test. Oui, mais il faut encore le démontrer. Le géomètre doit démontrer toutes les propositions qu’il utilise, il ne peut justement pas s’en remettre à l’intuition sensible.

Euclide a donc simplement posé ce postulat, remettant à plus tard sa démonstration pour en faire un théorème.

RETENIR: les différences axiomes/postulats: les axiomes sont des vérités générales valables quel que soit le domaine (géométrie, physique, économie...) alors que les postulats de la géométrie ne sont valables qu’en géométrie.

Deuxième différence: les axiomes sont des vérités indémontrables car évidentes (il n’ y a rien de plus évident, donc on ne peut pas les démontrer), alors que les postulats sont des propositions non encore démontrées.

CONCLUSION: toute la géométrie d’Euclide, toutes ses démonstrations sont implicitement contenues dans sa base axiomatique (définitions, axiomes, postulats). Les démonstrations auxquelles on peut procéder à partir de là consistent uniquement à développer les conséquences implicites, les unes après les autres. Mais tout est déjà donné dès le point de départ.

C’est en ce sens que la géométrie est un système hypothético-déductif: on ne fait que déduire tout au long les conséquences de certaines hypothèses de départ. A tel point que le mathématicien Hilbert s’est écrié un jour: "il n’y a pas de différence entre un mathématicien qui dort et un mathématicien qui travaille!". C’est-à-dire que ce n’est pas le mathématicien qui "fait", qui "invente" les mathématiques: ce sont les mathématiques qui se font toutes seules, elles se pensent elles-mêmes en lui, presque sans lui. Son seul rôle est de dérouler la suite des théorèmes.

 

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