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Cours: LES MATHEMATIQUES (2 de 2)

Publié le 22/02/2012

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mathematiques

III. LES GEOMETRIES NON-EUCLIDIENNES

Reste le problème du cinquième postulat qu’on s’acharne à vouloir démontrer. D’une tentative à l’autre, il a bien fallu se rendre à l’évidence: ce postulat est indémontrable. Bien plus, on peut admettre d’autres postulats (soit que par un point extérieur à une droite ne passe aucune parallèle, soit qu’il en passe plusieurs) et du coup, on arrive à d’autres géométries que celles d’Euclide: des géométries non-euclidiennes.

1) les précurseurs

On peut retenir une tentative assez significatives: celle du mulhousien Lambert (fin XVIIIème).

Il a essayé de démontrer ce cinquième postulat par l’absurde. C’est-à-dire que pour en montrer la vérité, il suffit de montrer que le contraire est absurde, impossible.

Démonstration par l’absurde: on peut démontrer indirectement une proposition, en montrant que si elle n’est pas vraie, cela entraîne une contradiction.

Lambert a donc développé une géométrie en partant de la même base axiomatique que celle d’Euclide, en changeant juste le cinquième postulat, en espérant bien arriver à une contradiction. Il lui fallut beaucoup de temps avant d’arriver à la contradiction tant attendue (il était même sur le point d’en désespérer).

Mais en fait, il avait commis une erreur de raisonnement. A un moment, en effet, il a fait intervenir le théorème selon lequel tous les angles d’un carré sont égaux. Or ce théorème n’est qu’une conséquence du cinquième postulat qu’il cherchait justement à établir!

Ce qui a fait rater à Lambert la découverte des géométries non-euclidiennes, c’est qu’il n’a jamais remis en cause l’idée de la "vérité" de la géométrie classique. Contrairement à ses deux successeurs: Riemann et Lobatchevski

2) Riemann et Lobatchevski

Au milieu du XIXème siècle, deux mathématiciens, Riemann et Lobatchevski, ont chacun, indépendamment l’un de l’autre, développé ce que pouvait devenir la géométrie euclidienne si l’on transformait le cinquième postulat.

Riemann prit comme postulat que par un point extérieur à une droite ne passait aucune droite parallèle à la première, et Lobatchevski, qu’il en passait plusieurs, voire une infinité.

Rappel: comme on ne peut pas démontrer combien de parallèle(s) passent par ce point, et qu’on ne peut pas se reporter à l’expérience sensible, ces postulats (zéro parallèle ou plusieurs) sont mathématiquement tout aussi justifiés que le postulat d’Euclide (une seule parallèle).

Résultat: ils ont développé deux nouvelles géométries parfaitement cohérentes, mathématiquement aussi valables que celle d’Euclide. La différence principale, c’est que ces deux géométries non-euclidiennes supposent des plans courbes...

3) conséquences

Il ne s’agit pas de minimiser la portée de ces nouvelles géométries...

On a cherché parfois à dire qu’il ne s’agissait que de jeux de mathématiciens, que la géométrie euclidienne est la seule "vraie"... Mais selon quel critère?

On invoque en général à ce propos deux arguments: soit on dit que ces deux géométries sont moins valables mathématiquement que la géométrie d’Euclide, soit on tire argument du fait que la géométrie d’Euclide colle mieux à la réalité telle que nous la connaissons.

Les géométries non euclidiennes sont des géométries tout autant que la géométrie euclidienne! Qu’elles ne nous semblent pas applicables dans le monde "réel" n’est pas un critère de leur vérité mathématique!

On a même démontré que si la géométrie euclidienne est vraie, mathématiquement parlant, les deux autres le sont également. Au point de vue mathématique, il n’y a pas d’élément de choix. Une théorie mathématique est vraie à partir du moment où elle est cohérente: les théorèmes sont correctement déduits les uns des autres.

Du point de vue de leur application à la nature, on reproche aux géométries non euclidiennes de ne pas être adéquates. En fait, on s’est rendu compte que les géométries non-euclidiennes sont même parfois davantage "applicables" dans la nature! Par exemple, depuis la théorie de la relativité, on sait que l’espace est courbe! Tout corps, par sa masse déforme l’espace autour de lui. Simplement, sur Terre, cette déformation est négligeable. Par contre, pour envoyer des hommes sur la Lune, les ingénieurs de la NASA ont du recourir à des géométries non-euclidiennes.

Devinette: un chasseur quitte son campement le matin à huit heures et fait dix kilomètres vers le sud. Bredouille à midi, il fait encore dix kilomètres vers l’est. Arrivé là, il tue un ours, et à quatre heures fait dix kilomètres pour revenir à son camp de base. Quelle est la couleur de l’ours?

Réponse : cet ours ne peut être que blanc, car cette situation n’est possible qu’au pôle Nord. Trouvez pourquoi.

CONCLUSION: les géométries non-euclidiennes nous apprennent donc que les mathématiques ressemblent à un jeu. On pose des hypothèses de départ et des règles de déduction, puis on essaie d’en tirer toutes les conséquences. Comment peut-on alors encore parler de "vérité mathématique"?

IV. MATHEMATIQUES ET VERITE

Le rapport mathématiques/vérité est complexe: il peut avoir plusieurs sens. Les mathématiques peuvent être considérées, par exemple comme un modèle de méthode pour la connaissance (les enchaînements) ou comme donnant un modèle d’évidence (l’intuition), et donc comme la reine des sciences...

1) les mathématiques sont un modèle de cohérence...

En un sens, on peut dire que les mathématiques sont en effet le royaume de la vérité!

Mais que veut dire "vérité" ici?

Les mathématiques sont d’abord "toujours vraies" au sens où il n’y a pas de place pour le faux. Lorsqu’un mathématicien découvre une erreur dans ses démonstrations, c’est qu’il s’est trompé lui, en tant que homme, qu’il n’a pas su suivre jusqu’où bout les règles de la déduction mathématique. Les mathématiques en elles-mêmes sont toujours vraies. C’est peut-être pour cela que Spinoza a pu y voir un modèle d’évidence: "une autre norme de vérité".

C’est qu’elles n’ont pas par exemple à retrouver quelque chose qui leur préexiste: une définition est génétique, elle engendre une réalité (voir plus haut, citations de  Kant). Dans les autres domaines que les mathématiques, le faux tient à ce que "ce qui est dit" ne colle pas tout à fait avec "ce dont on parle". En mathématiques, ce n’est jamais possible: le discours semble être toujours adéquat avec le réel, vu qu’il engendre ce réel.

Par ailleurs, les mathématiques sont un modèle de rigueur: rien n’est avancé qui n’ait été rigoureusement prouvé. La découverte de nouveaux théorèmes ne fait que transmettre, tout au long de la déduction, l’évidence qui est celle des définitions. Voir la méthode de Descartes qui ne fait qu’appliquer ce modèle mathématique. Tout au long, la raison contrôle le raisonnement: rien n’est avancé qui n’a été démontré.

2) ... mais on ne peut pas parler de vérité au sens d’adéquation!

En fait, il y a deux sens possibles de "vérité". Pour que ce qu’on dit soit vrai, il faut que ce soit cohérent, qu’il n’y ait pas de contradiction. Et les mathématiques sont absolument vraies en ce sens. Mais ce n’est qu’une condition négative.

Il faut en plus que ce que je dis corresponde à l’état actuel des choses, qu’il y ait adéquation. Et c’est là le plus difficile!

Pour illustrer cette distinction: si je dis "il fait beau", pour que ce que je dis soit cohérent, il suffit que la grammaire soit respectée dans la phrase. Mais pour être réellement vraie, il faut en plus qu’à ce moment-là, il fasse effectivement beau!

La vérité, telle qu’on l’entend au sens courant, c’est celà, l’adéquation du discours à la chose.

Or en mathématique, il ne peut jamais y avoir adéquation, pour la simple raison que le discours et la chose ne se distinguent pas. La seule vérité possible, en mathématiques, c’est la cohérence, la rigueur du raisonnement qui n’a jamais besoin de se confronter à une réalité extérieure pour vérifier sa véracité. Voir encore une fois l’exemple de la définition plus haut: elle est d’avance vraie.

C’est pour cela que la formule de Spinoza est paradoxale: il propose comme modèle de l’adéquation, ce qui est une simple cohérence!

Conclusion: les mathématiques sont donc bien le royaume de la vérité, une "autre norme de vérité", mais d’une part, elles ont beau jeu à l’être (elles n’ont qu’à être cohérentes pour être vraies), et ce modèle de rigueur est inapplicable tel quel dans le réel (où on veut plus que la simple cohérence: l’adéquation). Enoncer une vérité mathématique revient un peu à une tautologie, comme dans la phrase "je dis la vérité". Cette phrase n’est ni vraie ni fausse, elle manque simplement d’un référent pour être susceptible de vérité ou d’erreur.

3) que faire des mathématiques?

Est-ce que cela veut dire que les mathématiques sont inutiles, qu’elles ne sont pas le modèle de science qu’on croit?

On pourrait dire qu’elles restent un modèle: c’est bien le royaume de la vérité, et elles proposent bien une "autre norme de vérité", mais ce modèle reste un simple modèle idéal, il est inapplicable dans le monde réel. La simple cohérence n’est pas la vérité qu’il faut pour la connaissance de la nature, c’est une vérité vide qui demande encore à être appliquée (en physique par exemple).

Pour la physique, la connaissance de la nature qui nous entoure, elles restent un auxiliaire irremplaçable. La physique est réellement devenue une science au XVIIème siècle (Galilée, Descartes...) par l’utilisation des mathématiques comme outil.

Enfin, elles gardent une valeur indiscutable de formation intellectuelle. Les mathématiques sont une école de rigueur pour l’esprit. On a pu définir les mathématiques comme un système "hypothético-déductif" (on pose des hypothèses de départ, une base axiomatique, il ne s’agit plus que d’enchaîner les théorèmes à partir de là).

Mais comme le montre  Platon dans l’allégorie de la ligne (République, livre VI.), les mathématiques ne sont qu’une introduction à la véritable science qui est la dialectique. La dialectique, l’art du dialogue, consiste, par des raisonnements, à remonter vers des définitions. Et ces définitions n’auront donc aucun caractère hypothétique. On pourrait dire que malgré toute leur rigueur déductive (ou à cause d’elle?), les mathématiques restent hypothétiques, sans lien avec le réel, contrairement à la recherche dialectique.

Exemple: les dialogues platoniciens qui commencent par la recherche de l’essence de la justice, du bien, etc, autant de recherches de définition. La différence, c’est que les mathématiques descendent, à partir d’une hypothèse de départ, la chaîne des raisonnements, sans jamais pouvoir fonder ces hypothèses. La dialectique, science parfaite, consiste à remonter des objets connus, sensibles, vers une définition vraie, donc à remonter la pente que les mathématiques descendent, et ainsi arriver à l’anhypothétique.

De même que le cercle dessiné n’est que le reflet du vrai cercle, les mathématiques ne sont que le reflet de la vraie science, la dialectique, recherche de l’essence des choses dans un dialogue.

CONCLUSION: on peut donc voir plusieurs utilités possibles des mathématiques. Modèle de science toujours vraie (mais sans mérite), outil universel (la physique est mathématisée), ou simple discipline de l’esprit (introduction à la vraie connaissance). Mais ce qui interdit d’y voir un modèle absolu de vérité, c’est qu’il ne s’agit là jamais que de la simple cohérence.

Mais on pourrait objecter que, en physique, les mathématiques prennent un contenu, sortent de la simple cohérence? Est-ce bien le cas? La physique n’est-elle qu’une mathématique appliquée, donc susceptible d’adéquation?

V. LES MATHEMATIQUES COMME "LANGAGE DE LA NATURE"

Citation célèbre de Galilée: la nature est un livre écrit en langage mathématique. Ce qui est en jeu ici, c’est le rapport entre mathématiques et physique. Voir document suivant:

Galilée: "La philosophie est écrite dans ce livre immense perpétuellement ouvert devant nos yeux (je veux dire: l'Univers), mais on ne peut le comprendre si l'on n'apprend pas d'abord à connaître la langue et les caractères dans lesquels il est écrit. Il est écrit en langue mathématique et ses caractères sont des triangles, des cercles, et d'autres figures géométriques sans l'intermédiaire desquelles il est humainement impossible d'en comprendre un seul mot."

(...) Au texte déjà cité de Galilée, on peut ajouter deux citations: "Toutes les lois sont tirées de l'expérience, mais, pour les énoncer, il faut une langue spéciale; le langage ordinaire est trop pauvre, il est d'ailleurs trop vague, pour exprimer des rapports si délicats, si riches et si précis. Voilà donc une première raison pour laquelle le physicien ne peut se passer des mathématiques ; elles lui fournissent la seule langue qu'il puisse parler'", (H. Poincaré). " Les mathématiques constituent pour ainsi dire le langage à l'aide duquel une question peut être posée et résolue" (W. Heisenberg).

Cette conception des mathématiques comme langage de la physique peut toutefois s'interpréter de diverses façons, suivant que ce langage est pensé comme celui de la nature, que devra s'efforcer d'assimiler l'homme qui l'étudie, ou à l'inverse comme le langage de l'homme, dans lequel devront être traduits les faits de la nature pour devenir compréhensibles. La première position semble être celle de Galilée, encore qu'il soit imprudent de trop solliciter ce passage; elle est aussi celle d'Einstein: " D'après notre expérience à ce jour, nous avons le droit d'être convaincus que la nature est la réalisation de ce qu'on peut imaginer de plus simple mathématiquement." (...)

Le second point de vue est celui de Heisenberg: "Les formules mathématiques ne représentent plus la nature, mais la connaissance que nous en possédons."

L’auteur (Lévy-Leblond, scientifique et épistémologue français) montre bien ici que la formule galiléenne se prête à deux lectures opposées. Ce qui est énigmatique, c’est que les mathématiques s’appliquent si bien à la nature, alors qu’elles ne proviennent pas de la nature. Comment comprendre cela? Coïncidence?

- La première possibilité, c’est que la nature soit elle-même mathématisée, c’est le sens que Galilée met dans sa formule. N.B.: cette formule n’est pas innocente: elle conduit à une conception quasi théologique! En effet, on pourrait la reformuler: Dieu est géomètre. Conception proche du pythagorisme.

En fait, cette réponse (la nature est écrite en langage mathématique) ne fait que reporter le problème: comment se fait-il qu’elle soit écrite en ce langage? Le seul moyen d’y répondre, c’est de supposer une intelligence créatrice.

- Deuxième possibilité (Heisenberg): la nature n’est pas en elle-même écrite en ce langage, mais c’est l’homme qui la lit dans ce langage!

Développons: quel que soit le "langage" dans lequel est "écrite" la nature, l’homme ne pourra "lire" la nature qu’en passant par les mathématiques. Pourquoi cela? C’est que c’est dans ce "langage" que l’homme se comprend le mieux lui-même, c’est là que l’intelligence est transparente à elle-même. Exemple: une formule mathématique ne dit rien d’autre que ce qu’on lui fait dire.

Les mathématiques seraient donc particulièrement adaptées pour lire la nature, non parce que les mathématiques seraient le "langage" naturel de la nature, mais, au contraire, parce que c’est un langage absolument conventionnel. C’est parce que une formule mathématique ne veut rien dire en elle-même qu’elle peut s’adapter à tout phénomène, sans rien y introduire de plus. Parce qu’une formule mathématique ne veut rien dire en elle-même, on est sûr, lorsqu’on lui fait dire quelque chose, qu’elle ne fausse pas le sens de ce qu’on veut dire.

Les mathématiques seraient donc le "langage de la nature", non par un lien miraculeux avec la constitution de la nature, mais parce qu’elles seraient le langage le plus neutre: elles ne veulent rien dire en elles-mêmes, ne sont donc jamais ambiguës.

Suite du texte de Lévy-Leblond.

(...) en physique, les mathématiques jouent un rôle plus profond. Il serait en effet difficile de trouver un concept physique qui ne soit indissolublement associé à un ou plusieurs concepts mathématiques. Comment, par exemple, penser de façon efficace le concept de vitesse, sans faire intervenir celui de dérivée? Comment penser "champ électromagnétique" sans penser "champ de vecteurs" ? Comment penser "principe de relativité" sans penser "théorie de groupes" ? Les mathématiques sont ainsi intériorisées par la physique. On dira que celles-là ont avec celles-ci un rapport de constitution. C'est une idée voisine qu'exprimait déjà Bachelard: "Les hypothèses de la physique se formulent mathématiquement. Les hypothèses scientifiques sont désormais inséparables de leur forme mathématique: elles sont vraiment des pensées mathématiques Il faut rompre avec ce poncif cher aux philosophes sceptiques qui ne veulent voir dans les mathématiques qu'un langage. Au contraire, la mathématique est une pensée, une pensée sûre de son langage. Le physicien pense l'expérience avec cette pensée mathématique."

(...) Bien entendu, un concept physique n'est pas, ne s'identifie pas, ne se réduit pas aux concepts mathématiques qu'il met en jeu; la physique ne se ramène pas à la physique mathématique. Il importe de ne pas concevoir la distinction entre un concept physique et sa mathématisation comme une simple différence statique. Un concept physique n'est pas un concept mathématique plus "autre chose". Le concept mathématique n'est ni un squelette auquel la physique prête chair, ni une forme abstraite que la physique emplirait d'un contenu concret: il est essentiel de penser le rapport des mathématiques à la physique en termes dynamiques.

Ici, l’auteur présente un renversement remarquable: les mathématiques sont le langage de la nature, mais sont plus qu’un langage. "Une pensée sûre de son langage" disait Bachelard. Sur ce point voir le cours "Théorie et expérience".

CONCLUSION

Ambiguïté profonde des mathématiques.

A la fois domaine du pur raisonnement, toujours vraies, mais par là même comme coupées de la réalité.

Méthode parfaite, mais inapplicable. Vérité vraie, mais vide et tautologique...

A la fois norme de vérité, et pourtant, le plus bas degré de vérité (simple cohérence), la plus rigoureuse des sciences, mais qui n’est que rigoureuse.

Paradoxe: si les mathématiques ne peuvent pas être fausses, peut-on encore parler de vérité à leur sujet?

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