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Cours: LA PERCEPTION (6 de 7)

Publié le 22/02/2012

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perception

 

II) LA PHENOMENOLOGIE DE LA PERCEPTION

-        La psychologie de la forme et la phénoménologie vont insister sur le fait que la perception est saisie d’un donné déjà organisé et signifiant et que c’est le corps ancré dans le monde qui donne sens aux données à partir de sa situation. C’est mon être-dans-le-monde qui détermine la structure de ma perception. Si l’on veut comprendre la perception, il faut saisir le rapport de mon corps avec les choses, de sorte que percevoir c’est se projeter dans le monde grâce à son corps.

A)   LA PSYCHOLOGIE DE LA FORME

        Partir de l’article de Libération : le 11 février 1986, Libé publiait en couverture le titre « Mafia : Italie juge ses parrains «. Après lecture et relecture par le rédacteur en chef, les secrétaires de rédaction, les correcteurs, une énorme coquille resta inaperçue et fut publiée : il manque un I à Italie. Comment expliquer ce phénomène ?

        La psychologie de la forme a été fondée dans la première moitié du XXème siècle par des psychologues allemands comme Köhler, Wertheimer, Koffka et, en France, par Guillaume. Contre la psychologie du XIXe siècle qui partait des sensations en analysant, mesurant leurs propriétés.

1) La notion de forme

-        L’article de Libération : la psychologie de la forme explique ce phénomène par le fait que la lecture est globale : le lecteur perçoit de façon globale le mot Italie, sans décomposer chaque élément ; il rajoute inconsciemment la lettre manquante. Il mobilise rapidement une forme qu’il connaît bien (le mot Italie) et l’applique spontanément au contexte. 

-        Plus généralement, percevoir, c’est reconnaître une forme. C’est parce que nous projetons sur le monde des « formes « connues qu’il nous est possible de le comprendre. En effet, la perception que nous avons du monde n’est pas une somme d’éléments séparés. Notre perception se constitue en ensembles organisés de « formes « globales qui donne sens à ce que nous percevons. Les faits psychiques (perception, mémoire, calcul, etc.) ne sont donc jamais perçus comme des éléments séparables mais forment toujours des ensembles, c’est-à-dire des systèmes de rapports, et sont toujours engagés dans une configuration ou structure visuelle, sonore, tactile…dans laquelle la valeur sensorielle de chaque élément est définie par sa fonction dans l’ensemble et varie avec elle.

-        La psychologie de la forme part des formes ou structures considérées comme des données premières. Elle ne se donne pas une matière sans forme, une multiplicité chaotique, pour chercher ensuite par le jeu de quelles forces extérieures à ces matériaux ceux-ci se groupent ou s’organisent. L’esprit n’est pas, comme chez Descartes, une force organisatrice qui ferait surgir, d’un chaos de processus physiologiques ou physiques, un ordre extérieur ou étranger. Idée qu’il n’y a pas de matière sans forme.

-        Les formes sont des ensembles structurés dotés de sens. Dans tout acte mental, le sens émerge de la perception de la totalité de la situation. Les formes sont immanentes au donné sensible; elles sont des propriétés, de la vie psychique, mais déjà du monde physiologique et même physique : la matière tend à s’organiser dans le sens de l’équilibre et de la simplicité (la forme sphérique de la bulle de savon, l’organisation géométrique des cristaux…). Un être vivant est un système dont les parties, tissus et rganes, dépendent du tout qui détermine leurs caractères. Il s’agit d’une organisation dynamique : le jeu de toutes les fonctions est solidaire, la vie de l’être résulte d’un équilibre mobile de tous les processus locaux. La finalité immanente des lois d’équilibre et de simplicité se trouverait transférée de la réalité physique aux processus physiologiques du système neuro-cérébral.

-        Les caractéristiques de l’ensemble déterminent celles des parties. Ces parties influent nécessairement sur les premières. Le changement d’un élément modifie l’ensemble. Inversement, on peut changer tous les éléments sans modifier la forme de l’ensemble si le système de rapports est conservé (une mélodie est reconnue si elle est jouée en différents tons). La mélodie est un ensemble de sons et forme un tout organisé, articulé. Elle est une forme, c’est-à-dire un tout qui est quelque chose d’autre ou de plus que la somme de ses parties et dont les propriétés ne se réduisent pas à celles de ses parties. La partie, ici la note, ne saurait être définie en et par elle-même : elle sera perçue différemment, sera une autre sensation, selon qu’elle sera perçue isolément ou intégrée à telle ou telle mélodie. La nature de l’élément est tributaire du tout dans lequel il s’intègre. Sa qualité est indissociable du rôle qu’il joue au sein d’une totalité. Cette totalité est elle-même tributaire des parties qui la composent et de leurs rapports (l’existence de la mélodie est l’ensemble de ses notes). La forme est une configuration concrète qui met en jeu tel type d’éléments et est tributaire de leur nature.

2) L’organisation des formes

- L’émergence d’une forme s’explique par certaines « lois « de l’organisation perceptive.

2.1 - Les lois La loi de la bonne forme ou de prégnance

-        La loi de la bonne forme ou de prégnance est une loi d’organisation perceptive selon laquelle dans un ensemble de données visuelles la forme qui s’impose au sujet percevant est celle dont la simplicité, la régularité, la symétrie, la proximité sont les plus grandes. Parmi toutes les structures possibles d’un dessin, par exemple, il y en a une qui est prédominante, qui s’impose de préférence aux autres. On appelle cette forme une « bonne forme «.

2.2 - La loi de ségrégation des unités

-        Dans l’ensemble du champ perceptif, certaines unités perceptives se constituent spontanément selon des lois :

-        Loi de proximité des éléments : des éléments proches tendent à se regrouper ; le regard a tendance à associer les éléments qui sont proches. Nous percevons dans la figure B trois groupes de six points en colonnes plutôt que trois lignes de six points chacune. C’est pour la même raison que nous assemblons les étoiles du ciel en constellation.

-        Loi de ressemblance : nous avons tendance à regrouper des éléments qui présentent des caractéristiques identiques (doc. « la psycho de la forme «); nous associons ici points noirs et points blancs.

-        Loi de symétrie : des figures ayant un axe de symétrie sont perçues plus spontanément que les autres (figure 11 c se présente spontanément comme une oblique sur une droite horizontale) ;

-        Loi de clôture : on a tendance à combler les figures qui nous semblent proches d’une forme connue. (doc. « la psycho de la forme «) Le schéma 1 est spontanément interprété comme un carré placé au-dessus d’un cercle, alors que la figure peut également correspondre aux formes 3 ou 4 plus complexes.

2.3 - La forme et le fond

-        Un élément n’est jamais isolé mais toujours perçu par rapport à un fond sur lequel il se détache ou un contexte qui lui donne sens. Les formes sont toujours en rapport avec le reste du champ dont elles font partie et qui constitue le fond. Une couleur, par exemple, qui ne se détacherait pas sur un fond ne serait pas perçue; elle n’est visible qu’en vertu de la relation de contraste qu’elle entretient avec ce fond et varie elle-même selon ce rapport

-        Un changement de fond peut, sans changer l’identité de la figure, en modifier l’aspect : par exemple, un carré posé sur des lignes rayonnantes affecte une apparence trapézoïdale (figure 7 a, p 24), deux carrés perdent la rectitude de leurs côtés en raison de la courbure des lignes du fond sur lequel ils reposent (figure 7 b, c, p 24, q.S.je).

-        Apparaît comme figure dans un champ : ce qui a un contour déterminé, par opposition au fond qui n’en a pas; ce qui est différencié, par opposition au fond qui est plus homogène, uniforme; ce qui est enveloppé par le fond; ce qui correspond à certaines directions privilégiées de l’espace; ce qui a une structure symétrique par opposition au fond, qui est asymétrique (figure 14 a p 99 Cuvillier : les parties noires se détachent sur fond blanc parce que leurs contours sont symétriques par rapport à un axe vertical tandis que, dans la figure 14 b, ce sont les parties blanches qui se détachent sur fond noir pour la même raison).

2.4 - Loi de transposition

-        La forme peut toujours être transposée, telle une mélodie que l’on reconnaît facilement malgré une transposition qui change toutes les notes (le tout est indépendant des parties). La forme demeure tant qu’on y introduit des modifications qui n’altèrent pas sa structure primitive (figures 15 a b, p 100, Cuvillier).

-        La psychologie de la forme a apporté une contribution importante à l’intelligence du caractère global des ensembles perceptifs tels qu’ils sont réellement donnés dans l’expérience. Si percevoir, c’est reconnaître une forme, l’homme est un être agissant en fonction du sens qu’il donne aux choses. Mais le principe de « mise en formes « ne s’applique pas uniquement à la perception et à l’humanité. Il concerne aussi la mémoire, l’apprentissage en général, l’intelligence. Chez les grands singes, par exemple, les processus d’apprentissage et de résolutions de problèmes ne sont pas de simples conditionnements mais supposent la compréhension et la reconnaissance de formes prenant sens dans le contexte.

3) Les limites de la psychologie de la forme

-        Cette théorie présente des points contestables :

·       Elle réduit le rôle de l’activité de l’esprit et ramène tout à des lois physiologiques elles-mêmes réduites à des lois d’équilibre physique. La psychologie de la forme retombe ainsi dans l’erreur de l’empirisme, qui supposait l’ordre rationnel déjà réalisé dans la nature, de sorte que l’esprit n’aurait plus qu’à l’enregistrer. Elle admet des structures toutes données, si bien que la perception n’est plus que le décalque de la réalité externe.

·       Or, perception de la forme et perception de l’objet sont relativement indépendantes. Exemples de cas pathologiques : dans les asymbolies visuelles ou auditives (cécités ou surdités psychiques), le sujet perçoit et décrit correctement la forme des objets, il perçoit des qualités sensibles, les organise en représentations de forme, de distance; mais il ne reconnaît plus les objets correspondants, ne sait plus les nommer ni indiquer par un geste approprié qu’il en connaît le sens ou l’usage. Les astéréognosies sont des pathologies  où le malade est incapable de percevoir les formes et reconnaît néanmoins les objets.

·       La psychologie de la forme confond l’intelligible et le sensible, voir et comprendre : le fait que le sens est contenu dans les dessins d’un texte chinois que je vois ne signifie pas que je le comprends. On ne pourra dégagé le sens contenu qu’en faisant une opération intellectuelle qui suppose un apprentissage. Elle néglige également le rôle de la mémoire et de l’expérience antérieure. Rôle sur lequel Piaget va beaucoup insister.

-        La perception n’est donc pas instantanée, elle implique du discernement, une certaine activité intellectuelle (retour à la thèse intellectualiste). La première présentation d’une scène, particulièrement brève, peut être difficile à percevoir. Si ces présentations sont faites un certain nombre de fois, la perception du tableau finira par être instantanée : la mémoire nous apporte chaque fois son contingent de souvenirs. De même, la perception sélectionne spontanément dans un ensemble ce qui nous intéresse ou nous est utile. Elle est spontanément adaptée et répond à notre activité biologique et psychique. Enfin, la perception est un substitut de l’action : quand nous percevons un fauteuil, nous avons déjà en nous l’acte caractéristique du fauteuil, l’acte de nous asseoir. A cet égard, les travaux de Piaget sur le rapport entre la perception et l’action sont décisifs.

B) LE CORPS ET LA PERCEPTION (texte de Merleau-Ponty)

-        Le courant phénoménologique ne prend pas en considération le caractère évolutif de la perception, sa longue acquisition. Il n’y a ni déchiffrage premier, ni mise au point ancestrale et progressive de la perception. Il s’agit de décrire le vécu de la perception et de retourner à l’expérience directe. Analyse d’un texte de Merleau-Ponty extrait de Sens et non sens à l’aide d’un questionnaire. A partir de ce texte, nous en profiterons pour expliquer les idées principales que développe Merleau-Ponty dans son ouvrage La phénoménologie de la perception.

C) LA METHODE PHENOMENOLOGIQUE

-        Husserl, le père de la phénoménologie, se donne la tâche de décrire ce qui apparaît en tant qu’il apparaît, grâce à une méthode : “ la méthode phénoménologique “ . La phénoménologie est la science des phénomènes et il faut entendre par phénomènes ce qui apparaît à la conscience dans l’expérience.  Retourner aux choses mêmes : tel est le mot d’ordre par lequel Husserl définit l’exigence de respecter ce qui se manifeste, par opposition à la démarche de la métaphysique classique suspecte de trahir les phénomènes en les dévaluant comme simple apparence trompeuse, sous prétexte d’en saisir l’essence (cf. Platon).

-        Cette science des phénomènes qu’est la phénoménologie est essentiellement descriptive : il s’agit de faire apparaître la façon dont les choses apparaissent à notre pensée (par exemple, la mise en scène que le spectateur ne voit pas dans un spectacle).

-        Pour ce faire, nécessité d’éviter un certain nombre d’écueils.

-        D’abord le psychologisme, tendance, qui se développe au XXe siècle, à considérer que la psychologie doit fonder les autres disciplines et même les absorber, à voir dans les concepts ou dans les jugements essentiellement des événements psychiques.

-        Le naturalisme, ensuite, qui représente la conscience, les idées comme si elles étaient des choses matérielles. Le positivisme, enfin, qui consiste à exclure les questions ultimes et les plus hautes de la raison, à écarter tout ce qui ne relève pas des données empiriques et scientifiques. Il s’agit donc en quelque sorte de décaper la pensée pour la purifier de ces erreurs qui l’empêchent d’aller au vrai.

-        La méthode employée est appelée “époché” ou “mise entre parenthèses” : elle consiste à suspendre toute croyance immédiate et naïve en l’existence des choses (comme le fait la science, par exemple), à mettre entre parenthèses le monde objectif et à suspendre toute adhésion naïve à son égard, de manière à libérer l’accès au moi transcendantal, défini comme le sujet ultime atteint au terme de la réduction phénoménologique.

-        Cette méthode permet de montrer que, de la même manière qu’il n’y a de spectacle que  pour un regard, il n’y a de phénomène que pour une conscience. Il y a donc une corrélation entre la conscience et le monde : tout phénomène doit être rapporté à l’acte de la conscience qui le vise. Cette corrélation entre le monde et la conscience est le sens même du phénomène (sa “mise en scène “) : absorbée dans sa croyance aux choses, la conscience ignore son propre travail de visée. Le phénoménologue est celui qui reconduit en quelque sorte les phénomènes à la conscience comme à leur source : la conscience n’est pas un phénomène, contrairement à ce que pensent les sciences humaines, mais ce qui rend possible les phénomènes (la psychologie, par exemple, tend à faire de la conscience un objet de la nature explicable grâce à des lois scientifiques.

-        Ce qui caractérise la conscience, dit  Husserl, c’est son intentionnalité : particularité qu’a la conscience d’être conscience de quelque chose, nécessité pour la conscience d’exister comme conscience d’autre chose que soi. Dès lors, la perception n’est pas une simple représentation des choses, mais une visée qui est acte ou intention de signifier, et qui précède la connaissance de l’objet. Nommer un objet, par exemple, est le désigner comme objet porteur d’emblée de signification.

-        Cette visée, comme présence vécue de l’objet, ne nous donne jamais l’objet sans sa totalité. Certes, ce que nous donne la perception, c’est la chose elle-même. Mais chaque fois elle se présente sous une face particulière, dans une perspective déterminée, dans une visée déterminée. La chose dépasse toujours notre perception puisqu’il y a toujours la possibilité de perception futures, de corrections des perceptions passées. La perception ne peut pas épuiser la chose. Si la perception actuelle est incomplète, c’est qu’elle est toujours environnée d’une sorte de halo d’indéterminations, de la possibilité d’autres perceptions possibles qui ne sont pas arbitraires, mais liées à l’existence de l’objet lui-même et des on être, et à la nature de l’acte perceptif.

-        De plus, l’Autre va intervenir avec ses saisies, ses visées pour confirmer les miennes. L’Autre est à la fois un objet donné dans mon expérience du monde, et un autre sujet de ce monde. Chacun est, par son intentionnalité, centre du monde, et nos perspectives se complètent, se confirment mutuellement : l’objet est perçu d’ici et de là-bas et ces deux perspectives amènent à l’objectivité qui rassemble et surmonte les deux perspectives. Le monde qui était d’abord le mien va se compléter et se confirmer par la vision des autres et se transformer en monde pour nous, en monde objectif. L’objectivité n’est pas une propriété de l’objet, mais le résultat d’une intersubjectivité. Cf. texte de M. Ponty étudié dans le cours sur autrui.

-        Ces analyses de Husserl sont reprises et développées par Merleau-Ponty dans La phénoménologie de la perception.

 

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