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Un critique contemporain définit l'esprit du XVIIIe siècle en ces termes: "Il fallait édifier une politique sans droit divin, une religion sans mystère, une morale sans dogme." Dans quelle mesure et avec quelles nuances ce jugement se trouve-t-il vérifié par les oeuvres du XVIIIe siècle que vous connaissez ?

Publié le 06/04/2009

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esprit

  • Introduction

Quand on considère l'œuvre du XVIIIe siècle dans son ensemble, elle apparaît comme diverse, contradictoire, voire chaotique. Il semble presque impossible de lui trouver une unité, autrement dit de définir l'esprit du « siècle philosophique «. N'y aurait-il pas moyen, en se plaçant à la source créatrice de ses exigences intellectuelles, de saisir cette unité, cet esprit dans une volonté de reconstruire les valeurs humaines, sans jamais les rattacher à quelque chose qui les dépasserait pour les justifier : alors que le XVIIe siècle évoquait Dieu en politique, les dogmes en morale, et le surnaturel (ce que Pascal appelait la Charité) en religion, au XVIIIe siècle, « il fallait, dit un critique contemporain, édifier une politique sans droit divin, une religion sans mystère, une morale sans dogme «. Formule nette, pleine d'élan et de résolution, comme le XVIIIe siècle lui-même, et qu'il faut replacer dans sa perspective historique de combat: formule qui rend assez bien compte de l'œuvre comme un bilan et qu'il nous est sans doute possible de compléter et de nuancer.

  • I Le refus des « transcendances «

La formule est d'abord négative. S'il fallait « édifier sans « ces principes supérieurs, c'est que le siècle précédent avait « édifié avec « eux. 1 II est difficile pour un moderne d'imaginer ce que pouvait être l'univers des valeurs pour un homme du XVIIe siècle. Tout y dépendait de principes supérieurs et irrationnels qui justifiaient toutes les difficultés et toutes les contradictions apparentes de ce monde-ci : ce n'était point résignation à l'obscurantisme et refus d'expliquer, mais volonté permanente de rendre compte d'apparences absurdes. La méthode est exactement celle de Pascal cherchant à nous étonner devant les « contrariétés « de l'homme, mélange de misère et de grandeur, et faisant cesser notre étonnement quand il les rattache à un double mystère : celui de l'être humain créé à l'image de Dieu et celui de la chute originelle. Par là, toutes les valeurs sont accrochées à des principes qui les dépassent : la politique à Dieu, la morale à la religion, et la religion elle-même à ses mystères. Bien entendu, le mot a ici son plein sens théologique, et non pas affectif: il désigne les principes transcendants, inexplicables, mais inébranlables, dont se déduit tout l'édifice théologique.  

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« gouvernement qu'on peut adopter est pour lui chose assez indifférente, à condition que les fondements en soientrationnellement explicables.

Un monarque, un conseil, une assemblée ne peuvent justifier leur autorité que par uncontrat social (cf.

XVIW1 Siècle, Rousseau, p.

245, et Diderot, p.

200-201): toute autorité vient des hommes et ilest indispensable qu'à un moment donné les citoyens aient délégué tout ou partie de leur souveraineté à cemonarque, à ce conseil, à cette assemblée.

Déjà chez Montesquieu toutes les formes de gouvernement sont à larigueur possibles, même et surtout la monarchie, pourvu qu'on se réfère à des « lois fondamentales » qui leslégitiment et qu'il y ait une certaine correspondance entre la constitution politique et la situation géographique,politique, etc., du pays concerné. 2 Si la politique est tout entière à niveau d'homme, la morale va être, elle aussi, humanisée, ce qui est encore plushardi.

On se plaît à constater que l'on peut très bien être vertueux sans religion.

A Pascal qui écrivait que « de tousles corps et esprits, on n'en saurait tirer un mouvement de vraie charité ».

Voltaire oppose constamment dans sesContes des figures de sages légèrement sceptiques à l'égard de toutes les formes particulières de la religion (cf.XVIIIe Siècle, p.

119, texte 18), honorant celles-ci dans la mesure où elles sont les garanties sociales du bon ordre,mais les flétrissant quand elles conduisent à l'intolérance, au fanatisme, au meurtre.

Sans doute attache-t-onencore de l'importance à la conscience morale, sans doute Rousseau fait-il l'éloge de cet « instinct divin » (Ibidem,p.

249) qu'Emile devra accepter pour guide.

Mais prenons bien garde qu'en obéissant à sa conscience, Emile obéirasurtout à sa nature; pour lui, comme pour les personnages de roman du XVIIIe siècle qui s'écrient sans cesse: «0vertu, ô nature!», être moral, c'est avant tout réaliser les virtualités de sa nature d'homme, et non obéir auxdogmes d'une « surnature ».

N'oublions pas que c'est au XVIIIe siècle que Kant.

loin de faire dépendre la morale dela métaphysique, fondera sur les impératifs de la conscience la nécessité de l'existence d'un Dieu et d'une âme. 3 Pas plus qu'ils ne voulaient supprimer la royauté, mais la rationalisaient, les philosophes ne voulaient supprimer lareligion : ils concevaient une religion sans mystère, une religion humaine; nous dirions aujourd'hui une religion «laïque », ils disaient, eux, une religion « naturelle ».

Les sages des Contes de Voltaire sont généralement religieux.Zadig tâche de comprendre les décisions de la Providence et aimerait voir régner chez tous les hommes une sorte dedéisme tolérant : dans la scène fameuse (Zadig, ch.

xii, Le Souper) où des marchands se querellent pour desquestions religieuses, il réussit à les calmer en leur montrant que les divers mystères des religions sont desenveloppes à peu près équivalentes pour un certain nombre de grandes vérités universellement admises.

Ainsi, dansune sorte de déisme très souple, est assurée la fraternité des hommes, adorant dans un Dieu créateur l'ensembledes vertus qu'il leur faut pratiquer (Ibidem, p.

135).

Ce Dieu assure non seulement l'ordre moral, mais encore uneexplication suffisamment rationnelle de tout ce qui nous échappe : c'est le fameux « Dieu horloger » de Voltaire.Sans doute, dira-t-on, Rousseau cherchera dans La Profession de foi du vicaire savoyard à restituer un caractèreplus affectif à ce Dieu un peu froid, mais il ne lui donne jamais les dimensions surnaturelles indispensables en strictedoctrine chrétienne.

Son Dieu est un «Être suprême», «un grand Être» (Ibidem, p.

253.

I.

91).

chargé de fournir unobjet à toutes les puissances sentimentales qui sont en notre nature; il est en somme une sorte de préposé àl'accomplissement total de notre nature, mais il n'est pas le Rédempteur, il n'est pas la Source des grâces, — grâcesdont notre nature ne saurait, du reste, avoir besoin, puisqu'elle n'est pas considérée comme corrompue.

Donc pourle philosophe du XVIIIe siècle tout, même Dieu, est à mesure humaine.

Jamais la « cité des hommes » n'a besoind'autres dimensions qu'humaines.

Politique, morale, religion, tout s'explique par l'homme et les exigences de sanature. III Nuances et réserves L'unité que nous obtenons ainsi est évidemment très séduisante ; l'esprit du XVIIIe siècle, visant des fins touthumaines avec des moyens tout humains, serait une sorte de précurseur de l'esprit positiviste qui régnera au XIXesiècle, rendant un culte à l'Humanité en marche vers le progrès.

Or la doctrine du grand penseur positiviste A.Comte refusera le nom d'âge positiviste à l'âge des philosophes et, dans la « loi des trois états », le XVIIIe sièclesera un exemple d'« état métaphysique » succédant à l'« état théologique ».

Le jugement de notre critiquen'accorderait-il pas à l'œuvre de ce siècle une unité qu'elle n'a pas eue? 1 Sa formule est assez incomplète; elle ne tient compte ni de l'art ni de la littérature; or si le XVIIIe siècle a bienéliminé le dogme en morale, il reste trop souvent soumis aux dogmes littéraires du XVIIe siècle.

Voltaire considèreque nos classiques ont atteint un apogée qu'on ne peut guère dépasser ni même égaler (« Le génie, déclare-t-il, n'aqu'un siècle, après quoi il faut qu'il dégénère»).

Il imite les procédés de Racine dans sa tragédie et cherche à fairede La Henriade une épopée suivant les préceptes de Boileau.

André Chénier lui-même, si révolutionnaire en politique,reste un lyrique néo-classique, moins froid que les autres certes, mais d'accord pour l'essentiel avec les règles deMalherbe.

Enfin, sous la Révolution se prolongea une littérature souvent fort peu révolutionnaire par ses formes. 2 A nous en tenir seulement à la formule de notre critique, est-il si évident que le XVIIIe siècle n'a pas eu, plus qu'ilne semble, le goût des entités vagues et arbitraires, voire des dogmes? Décréter la corruption originelle de la naturehumaine est un dogme chrétien, mais déclarer celle-ci bonne et attribuer sa corruption à la société, n'est-ce pas làun vrai dogme de Rousseau? Parler sans cesse de nature et identifier celle-ci à la vertu, n'en est-ce pas un autre,voisin du précédent? Les philosophes ont alors volontiers le goût des mots vagues et généraux.

Progrès, Vertu,Nature, Liberté, Sensibilité, autant de concepts qui.

sans doute, ne dépassent pas la nature humaine, mais tout aumoins la définissent d'une façon bien métaphysique.

Le reproche des positivistes traitant le XVIIIe siècle d'âgemétaphysique est loin d'être sans justification. 3 Pratiquement il faut reconnaître que ces entités aboutiront à des résultats : la « cité des hommes » n'en sortira. »

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