Devoir de Philosophie

La critique de l'image ?

Publié le 12/02/2004

Extrait du document

Le peintre pourra se contenter de quelques traits et ombres qui évoqueront un lit. Il lui suffira pour produire une vue du lit d'en donner une «apparence» (l'apparence de sa matérialité) sans se préoccuper de sa Forme, de son Idée, où se trouve inclus l'usage possible du lit: qu'on puisse s'y allonger. Pour produire son image, l'artiste n'a pas à remonter à l'Idée. Mais, en outre, Platon s'appuie sur le postulat réaliste qui veut qu'un lit dont on peut se servir est supérieur à un lit qu'on peut seulement regarder, et encore toujours sous le même angle. L'art est ainsi condamné comme inadéquat à l'étant, autant qu'à l'être.Mais l'art n'est-il pas au moins respectable sinon admirable parce qu'il est difficile ? Non, rien de plus simple, dit Socrate, que de produire comme le fait un artiste. Il suffit pour «produire » de cette façon de prendre un miroir et de le « promener en tous sens ». Alors naîtront aussitôt des « apparences » (phaïnomena) de toutes choses. L'art est ainsi déprécié à la faveur d'une affirmation surprenante: l'image artistique n'est qu'un reflet dans un miroir, une illusion sans substance.

« lit.»Platon distingue donc trois degrés de « production », c'est-à-dire de « venue à la présence », et trois types de «producteurs » : 1.

Le dieu - « il laisse surgir la nature » (phusisphuei).

Dieu seul est artiste, dira Schelling.

Il est nommé phutourgos:celui qui prend soin de la présentation du pur Aspect des choses ;2.

L'artisan - « l'ouvrier du lit » (dèmiourgos klinés), celui qui laisse apparaître dans le bois cet objet disponible, àchaque fois singulier, qui correspond vraiment à l'idée du lit;3.

Le peintre - il ne fait paraître ni le pur Aspect du lit, ni un lit utilisable, mais il obscurcit lourdement l'eïdos par lamatière de la couleur et de la surface peinte, ainsi que par l'angle unique, réducteur, sous lequel est présentél'objet.

Le tableau est ainsi la «troisième production», la troisième « à partir de la nature », dit le texte (597 e),c'est-à-dire à partir de l'Idée.

L'« imitateur » (mimètès) est celui qui préside à ce troisième degré d'éloignement parrapport à la vérité.

Il mérite le nom d'«ouvrier de l'image », car il se propose non pas de représenter le lit tel qu'ilest, mais tel qu'il paraît.L'artiste a-t-il de cette apparence fantomatique le moindre savoir ? Peut-on apprendre d'un peintre la façon de faireun lit ? Peut-on apprendre d'un poète qui chantera une guérison la manière de guérir ? Les poètes ne savent pas dequoi ils parlent.

Ils seraient incapables de « rendre raison » de ce qu'ils imitent.

Ainsi, dit Platon, Homère traite de laguerre, du commandement des armées, du gouvernement des cités, de l'éducation des hommes, mais si onl'interrogeait sur ces techniques, il ne pourrait nous donner aucun principe de ces diverses activités, nous dire parexemple pourquoi une cité est bien ou mal gouvernée.

L'imitation artistique et poétique ne repose sur aucuneconnaissance.

Le poète, l'artiste, n'ont « ni science ni opinion droite » des choses qu'ils imitent (602 a).

Ils seraientincapables d'en exposer les qualités ou les défauts.

Ce sont des ignorants ! Ce réquisitoire, qui exclut l'art de la citécomme inutile, comme incapable d'enrichir tant la pratique que la théorie (l'art ne peut rien enseigner, parce qu'il nerepose sur aucune véritable connaissance), se termine par ce que Platon appelle « le plus grave des méfaits de lapoésie » (il entend ici par la poésie surtout la poésie tragique).

La tragédie, qui nous fait éprouver du plaisir auspectacle du malheur, affaiblit l'élément raisonnable en nous; elle ne nous apprend pas à rester calmes et courageuxsi le malheur nous frappe.

Les poètes flattent l'élément déraisonnable de l'âme et non seulement ne nous apprennentrien sur le monde, mais ne nous apprennent pas à devenir meilleurs.

C'est au nom du réalisme et du bon sens quePlaton condamne l'art en le rattachant à l'inutilité en l'homme («L'imitation n'est qu'une espèce de jeu d'enfant,dénué de sérieux », 602 b - la poésie relève de « cet amour d'enfance qui est encore celui de la plupart des hommes», 608 a ; « Est-il beau, dit-il, d'applaudir quand on voit un homme auquel on ne voudrait pas ressembler ? » 605 c).L'art tragique nous fait aimer l'immoralité, les passions, les crimes, au lieu de nous en donner le dégoût.

Cettecondamnation morale de l'art a pesé plus lourdement dans la tradition que sa condamnation comme ignorance etfabrication d'illusions.L'acharnement antiartistique de Platon est sans doute lié, comme le suggère Nietzsche dans la « Naissance de laTragédie », au chap.

XIV, à une sorte de jalousie et à sa volonté de créer avec ses dialogues une forme littérairenouvelle qui aurait pu éclipser la tragédie... Apologie de l'art égyptien. Sans doute Platon veut-il rivaliser avec l'art de son temps.

Mais il veut d'abord lutter contre son orientation qui luisemble aberrantes.

En effet il le voit, surtout dans le domaine des arts plastiques, s'engager de plus en plus sur lechemin du perspectivisme, c'est-à-dire viser à une restitution illusionniste des apparences.

Cela revient à faire duregard du spectateur la mesure de la beauté et de la vérité.

L'art grec du V ième siècle recherche la vraisemblanceet se soumet aux déformations de la vision; il corrige les formes et les proportions suivant le point de vue duspectateur.

Ainsi pour que, vues d'en bas, les parties supérieures d'une statue placée au fronton d'un temple neparaissent pas plus petites, on les agrandit par rapport aux parties intérieures.

L'artiste fait ainsi passer l'apparencepour le spectateur avant la vérité intrinsèque de la figure représentéesAinsi encore l'anecdote célèbre concernant un concours où se mesurèrent Phidias et un sculpteur plus jeune etinexpérimenté du nom d'Alcamène.

Deux statues d'Athéna étaient à exécuter qui devaient figurer au sommet dehautes colonnes.

Phidias sut tenir compte de l'effet d'éloignement et grossit pour cela fortement les traits du visagede la statue.

Quand les statues furent terminées, mais non encore hissées en hauteur, la statue faite par Phidiasparut si grossière qu'elle provoqua les quolibets de l'assistance.

Mais les deux une fois montées, celle de Phidiasparut seule réussie et Alcamène perdit le concours.Ces déformations destinées à compenser les effets d'optique étaient courantes dans l'architecture, la sculpture et lapeinture grecques: ainsi le renflement vers le bas des colonnes des temples qui, si elles avaient été des cylindresréguliers auraient paru s'évider; ainsi les formes elliptiques pour remplacer les formes circulaires et maintenir malgréla distance l'illusion de cercles.

La tendance illusionniste de la peinture grecque (dont très peu d'oeuvres nous sontparvenues) était célèbre, comme en témoigne l'anecdote des raisins peints par Zeuxis: ils auraient eu uneapparence si naturelle qu'ils auraient trompé les pigeons qui seraient venus les picorer.Platon veut lutter contre cette tendance, de plus en plus relativiste et naturaliste en même temps, de l'art.Opposant sans les nommer dans ce dialogue l'art égyptien et l'art grec, il distingue dans le « Sophiste » (235 d-236c) deux formes de « l'art imitatif »: d'un côté «l'art de la copie » (eikastikè technè), de l'autre « l'art du simulacre »(phantastikè technè).

D'un côté, il s'agit d'un art qui produit une image ressemblante, comparable (eikastos), dumodèle, c'est-à-dire «qui reproduit les proportions (longueur, largeur, profondeur) et donne à chaque partie lescouleurs appropriées ».

De l'autre côté, il s'agit d'un art qui a renoncé « à reproduire les proportions véritables desbelles formes ».

Il ne reproduit pas « les proportions véritables, mais celles qui paraissent belles ».Il repose sur l'illusion ou sur l'imagination (phantastikos).

Alors que l'art grec est soumis à la doxa, c'est-à-dire àl'opinion, qui se contente de l'apparence, relevant ainsi de l'art du simulacre, l'art de la copie respecte l'essence du. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles