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N'en croyez que vos yeux. Pierre Corneille

Publié le 22/02/2012

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corneille
Cette phrase est prononcée par Alcandre, le magicien de L'Illusion comique, de Pierre Corneille (1606-1684) et elle est adressée à Pridamant, père en quête de son fils, qui, grâce aux pouvoirs d'Alcandre, a pu se rendre compte, à la fin de la pièce, que son fils exerce une profession lucrative, celle de comédien. Cette pièce, représentée pendant l'année théâtrale 1635-1636 s'est appelée L'Illusion comique jusqu'en 1660, puis, simplement, L'Illusion. Elle a été représentée au Théâtre du Marais avec un grand succès et, malgré une reprise, en 1861, à la Comédie-Française, ce n'est qu'en 1937, au Théâtre-Français, que Louis Jouvet en donne une représentation qui respecte le texte original. Le titre premier signifie qu'il s'agit d'une comédie dont le sujet est l'illusion qui caractérise la «comédie», au sens de «jeu théâtral»: le théâtre est donc considéré, en l'occurrence, comme le lieu où se produit l'illusion (de la vie).
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« Pridamant s'étonne, tout d'abord : « Quel charme en un moment étouffe leurs distords,Pour assembler ainsi les vivants et les morts? »(acte V.

scène 6, v.

1751-1752) Puis il est rassuré, compte tenu des malheurs qu'il avait considérés comme vrais : «J'ai pris sa mort pour vraie et ce n'était que feinte, Mais je trouve partout mêmes sujets de plainte...

»(acte V, scène 6, v.

1777-1778) Le magicien est un personnage plutôt familier aux spectateurs de la tragi-comédie de ce premier tiers du XVIIIesiècle.

Les pouvoirs dont il est doté (maîtrise de la nature, connaissance du passé et de l'avenir) font de lui unillusionniste : il excelle dans l'art d'animer des «spectres» et des «fantômes».

La preuve inaugurale de son pouvoirest administrée, dans la pièce, quand il désigne de sa baguette la somptueuse garde-robe des comédiens : «Il donne un coup de baguette, et on tire un rideau derrière lequel sont en parade les plus beaux habits descomédiens.

»(acte I, scène 2) Le père ne peut en croire ses yeux, étant donné que son fils n'est pas d'une condition suffisamment élevée pourporter ces habits d'apparat.

Comment le fils d'un gentilhomme breton de petite noblesse serait-il assez fortuné pourrevêtir les habits d'un prince ?Le déroulement de l'acte V laisse entendre que Clindor s'est élevé à un rang princier, qu'il a conquis «splendeur » et«grandeur».

Le rideau tombé, il suffit que le mage le relève inopinément pour que le père comprenne que ces«richesses» ne sont que la parure, du comédien, qu'elles appartiennent au rôle d'emprunt qu'il interprète.Quant à la richesse du comédien, elle n'a certes rien d'illusoire puisque c'est l'«argent» que verse le public à l'acteur: cette richesse que se partagent le personnel et les comédiens est dénuée du prestige que confère l'illusion,entretenue et magnifiée par l'art de la scène, à savoir le théâtre.Il n'en demeure pas moins que le mage, opportunément, exalte l'utilité sociale et culturelle du comédien et, parcontrecoup, de l'auteur.

Son vibrant éloge du théâtre couvre le prestige inhérent au statut et à la profession decomédien : la Cour et la ville (le roi et le peuple), Paris et la province, par leurs suffrages, font de ce métier un«noble métier».S'il en croit ses yeux, Pridamant ne peut en douter : la recette est bonne.

Mais au moment où commence latragédie, dès le début de l'acte V, Pridamant ne s'est-il pas laissé piéger par le spectacle tragique qui n'était,rétrospectivement, que simulation ? Il en a cru ses yeux, qui l'ont induit en erreur.

C'est que l'illusion, propre authéâtre, prend consistance du fait de la connivence du spectateur : il suffit que celui-ci en croie ses yeux pour quel'illusion opère.Il est significatif que, au cours du V' acte (acte de tragédie «jouée » mais non « vécue »), Primadant n'ait pas moinsaccordé son adhésion au spectacle « fictif » de la tragédie qu'au cours des quatre premiers actes de spectacle «vécu ».

L'art théâtral exhibe des apparences qui donnent l'illusion de la vie, au point que vie et théâtre endeviennent indiscernables.Si l'art dramatique est une imitation de la vie, comme le déclare Aristote, philosophe grec du Ive siècle avant notreère, dont la Poétique est tenue pour parole d'évangile au XVII' siècle, quelle est la condition requise pour que lespectateur croie en la réalité de ce qu'il voit sur la scène ? Il faut que la scène s'anime d'une présence, celle ducomédien (et, sans doute, celle, occulte, de l'auteur) : grâce à ce jeu, la fiction se confond avec la réalité.

Quesont, en effet, les beaux habits des comédiens exposés sur la scène vide (acte I, scène 2) ? Ils signalent le rangsocial, si magnifiques qu'ils soient.

Il leur manque une âme, celle que leur prêteront, le temps de la représentation,les comédiens qui s'en pareront.

Ils apporteront, alors, au spectateur, la révélation magique d'une autre vie.Ces habits, indique le magicien, appartiennent bien à Clindor.

Mais, ajoute-t-il avec pertinence, c'est uniquement surla scène du théâtre que Clindor en «fait voir le superbe étalage», c'est exclusivement sur la scène qu'il peut «s'enparer», pour se faire «admirer » : « Le gain leur en demeure, et ce grand équipageDont je vous ai fait voir le superbe étalage,Est bien à votre fils, mais non pour s'en parer,Qu'alors que sur la Scène il se fait admirer.

»(acte V, scène 6). Les comédiens, par l'entremise de cet art de l'artifice qu'est le théâtre, sont des «corps animés» qui prêtent leurprésence à des «spectres » (les rôles et les costumes qui en sont l'enveloppe apparente).

Clindor revêt donc cettepure apparence pour s'en parer sous les yeux du spectateur et se faire admirer de celui-ci.

C'est alors que l'illusion. »

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