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Dans le salon d'une mondaine, brillante et sophistiquée, de la fin du XIXe siècle, Guy de Maupassant fait porter par l'élégant Mariolle, un des personnages du roman Notre coeur (1890), le jugement suivant, au cours d'une conversation avec le romancier Gaston de Lamarthe : «Au temps où les romanciers et les poètes les (= les femmes) exaltaient et les faisaient rêver, elles cherchaient et croyaient trouver dans la vie l'équivalent de ce que leur coeur avait pressenti dans leurs lectures.

Publié le 08/02/2011

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maupassant

Introduction Certains écrivains ont tendance à situer l'amour au-delà du monde tandis que d'autres l'enfouissent en plein dans le réel et la nature, le choix semblant ne pas être tout à fait une question individuelle, mais relever de l'époque, de la classe sociale auxquelles appartient l'écrivain. Il est frappant de constater ainsi que c'est à l'époque du triomphe le plus pesant de la bourgeoisie, c'est-à-dire dans les années qui vont de 1840 à 1900, que s'est imposée aux romanciers avec le plus d'unanimité une conception réaliste de l'amour et de la femme. Une réflexion que Maupassant prête à l'un de ses personnages nous invite à nous demander si le bilan en fut entièrement négatif, ramenant irrémédiablement les choses de l'amour à leur plus grande vulgarité, ou bien si finalement ce réalisme ne fut pas plus démystifiant que les grandes rêveries de l'amour idéaliste. Nous aurons, pour finir, à essayer de replacer les choses dans des perspectives historiques plus précises.

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« réalistes et entre autres à Zola : rappeler contre un certain optimisme du XVIIIe siècle et même du romantisme (cf.George Sand) qu'il n'y a pas de morale naturelle au sens précis du terme ; les paysans ne sont pas vertueux parceque la nature aurait sur eux on ne sait trop quelle influence bienfaisante : dans le village à peu près déchristianiséde Rognes ne règne que la violence des instincts, luxure, avarice, meurtre (La Terre).

Assez curieusement onretrouve ici les attaques de Baudelaire contre la femme, quand on la loue d'être naturelle : «La femme est naturelle,réplique-t-il, c'est-à-dire abominable» (Mon cœur mis à nu, 5).

Bien que Baudelaire ait été assez opposé à l'idéalréaliste, il rejoint peut-être là l'idée clef des réalistes et des naturalistes sur l'amour : celui-ci n'est qu'unecommunion, dangereuse et par essence contraire à la morale, avec une nature qui n'est que forces déchaînées ;quand les héros de Flaubert ne sont pas ridicules devant la nature (XIXe Siècle, p.

392), ils sont alors troublés dansleur moi, au niveau le plus inquiétant.

yeux qui valaient pour lui le soleil resplendissaient derrière la brume», on a bien l'impression qu'à ce degré de forcel'illusion opère un véritable travail de création.

Et on en arrive ici à l'idée si importante dans la génération de 1850-1880 que la femme et l'amour sont essentiellement artifice, qu'ils ne peuvent pas être autres, et que c'est là ladignité de l'homme : on reconnaît avec leurs nuances respectives les conceptions d'un Baudelaire, d'un Villiers del'Isle-Adam (cf.

son Eve future, 1886), d'un Mallarmé, et surtout d'un Maupassant dans l'œuvre duquel foisonnentces mondaines, comme précisément Michèle de Burne dans Notre Cœur, qui semblent, à force d'élaborationesthétique et intellectuelle d'elles-mêmes, n'être plus que des œuvres d'art.

La nouvelle la plus caractéristique deMaupassant à cet égard est peut-être L'Inutile beauté, où la comtesse Gabrielle de Mascaret, lasse desinnombrables maternités que lui impose son époux, réclame son droit à ne faire plus partie de ces «simples femellesqui repeuplent la terre», mais entend être avant tout «le produit bizarre et mystérieux de tous nos désirs compliquésamassés en nous par les siècles [...].

Elles sont ainsi quelques-unes, ajoute le narrateur, qui fleurissent uniquementpour nos rêves, parées de tout ce que la civilisation a mis de poésie, de luxe idéal, de coquetterie et de charmeesthétique autour de la femme, cette statue de chair.» Et dans la même nouvelle, Roger de Salins, un familier ducouple, commente ainsi cette victoire sur la nature : «Nous avons créé les arts, la poésie, la musique, la peinture.Tout l'idéal vient de nous, et aussi toute la coquetterie de la vie, la toilette des femmes et le talent des hommes quiont fini par un peu parer à nos yeux, par rendre moins nue, moins monotone et moins dure, l'existence de simplesreproducteurs pour laquelle la divine Providence nous avait uniquement animés.» On voit donc par quelle dialectique,curieuse mais logique, le roman naturaliste aboutit à un véritable antinaturalisme (ce qui ne veut pas dire qu'onrevienne à l'idéalisme, parce que cette victoire sur la nature est elle-même liée à la nature que l'on veut dépasser,mais non nier).

La limite de cet antinaturalisme issu du naturalisme sera ce qu'on a appelé le décadentisme. 3 Sans aller aussi loin, la participation à la nature et au mouvement du monde peut fort bien se teinter d'optimismechez les romanciers réalistes et surtout chez les romanciers naturalistes : ce n'est pas parce qu'ils suppriment lesrêves poétiques et séduisants et qu'ils disent oui à la réalité qu'ils en acceptent nécessairement la vulgarité et lamédiocrité.

Un certain naturalisme peut parfaitement se concilier avec le culte de la passion.

S'il est bien vrai que lenaturalisme antique de Lucrèce ou celui, médiéval, de Jean de Meung, ou même parfois celui de Rabelais ou deMolière, mettent en garde contre ce qu'on appelle les illusions des amants (cf.

par exemple Le Misanthrope, acte II,se.

4, v.

711-730), il semble encore plus vrai que le naturalisme fait confiance à la passion amoureuse et même pluslargement à l'élan sexuel (c'est surtout la courtoisie, le pétrarquisme, la préciosité et même le classicisme quisuspectent cet élan et subordonnent tout progrès en ce domaine à une méfiance des mouvements naturels) : qu'onsonge, par exemple, au naturalisme libertin d'un Théophile de Viau au début du XVIIe siècle, au libertinage épicuriend'un Gassendi et surtout bien entendu au naturalisme de Diderot et l'on se convaincra aisément que le naturalismeaccepte que la vie soit jeu de passions, jaillissement de forces qui vont dans le sens du mouvement du monde.Vivre, c'est aimer, c'est accomplir les grands desseins de la nature, dans un monde où «tout animal est plus oumoins homme, tout minéral est plus ou moins plante, toute plante est plus ou moins animal».

Rêve de d'Alembert(XVIIIe Siècle, p.

188).

Même Rabelais et Molière sont imprégnés d'un naturalisme plus optimiste que ne lelaisseraient croire leurs fameuses plaisanteries sur le cocuage de Panurge ou d'Arnolphe, car, finalement, chez l'uncomme chez l'autre, les personnages dupes et ridicules sont ceux qui méprisent la femme, se méfient de l'amour,refusent de faire confiance à la vie, ce qui est précisément le cas de Panurge et d'Arnolphe, cocus ou menacés del'être parce que leur naturalisme est pessimiste et d'avance désabusé.

Seuls finalement se tirent d'affaire ceux quifont confiance, en eux comme chez leurs partenaires, à la valeur des instincts (chevaliers de l'Abbaye de Thélèmechez Rabelais, Ariste dans L'École des Maris de Molière). 4 En réalité, ce qui fait souvent taxer le naturalisme de pessimisme méfiant, c'est l'aspect volontiers scientifique etfroidement rigoureux avec lequel il analyse les choses de l'amour, ayant l'air de vouloir se livrer sur elles à une lucideet desséchante anatomie.

Déjà chez Stendhal (que Zola invoque, on le sait, comme un précurseur) l'amour apparaîtcomme un mécanisme dont on pourrait établir les lois.

Bien sûr, tout le monde connaît les prétentions de Flaubert àl'observation scientifique, et c'est surtout Zola qui est célèbre pour avoir poussé à son point culminant cette idéed'un roman traitant des choses de l'amour avec une objectivité digne d'un savant.

Dès la Préface de ThérèseRaquin, il affirme qu'on peut limiter, chez des êtres frustes, la psychologie amoureuse à l'étude des tempéraments :«J'ai voulu étudier les tempéraments et non les caractères[...] J'ai choisi des personnages souverainement dominéspar leurs nerfs et leur sang[...] Thérèse et Laurent sont des brutes humaines, rien de plus.

J'ai cherché à suivre pasà pas dans ces brutes le travail sourd des passions, les poussées de l'instinct, les détraquements cérébrauxsurvenus à la suite d'une crise nerveuse[...] Ce que j'ai été obligé d'appeler leur remords consiste en un simpledésordre organique, en une rébellion du système nerveux[...] Mon but a été un but scientifique avant tout[...] J'aimontré les troubles profonds d'une nature sanguine au contact d'une nature nerveuse[...] Chaque chapitre estl'étude d'un cas curieux de physiologie[...] Je n'ai eu qu'un désir : étant donné un homme puissant et une femme. »

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