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DÉMOCRATIE

Publié le 22/02/2012

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Le xxe siècle a hérité d'un modèle démocratique libéral, tirant son origine des révolutions américaine et française et dont les traits essentiels s'étaient progressivement affirmés au cours du siècle précédent. Ce modèle repose sur deux idées essentielles. D'une part, le principe démocratique, qui suppose que la source de tout pouvoir, le fondement de toute autorité résident dans la collectivité des citoyens : il n'y a de pouvoir légitime qu'émanant du peuple ; et il n'y a de contrainte acceptable que s'appuyant sur le consentement. D'autre part, le gouvernement représentatif, qui implique que le peuple n'a pas la responsabilité directe de la gestion des affaires publiques : ce sont des gouvernants, élus par lui, qui sont chargés d'agir et de décider en son nom ; la démocratie devient ainsi, à la différence de la démocratie antique, une démocratie « gouvernée », dans laquelle le pouvoir effectif est exercé par des « représentants ». D'une démocratie politique à une « démocratie sociale ». Ce modèle démocratique libéral va évoluer au cours du xxe siècle, du fait de la généralisation du suffrage et de l'éligibilité, qui a donné à chaque citoyen la possibilité, non seulement de participer, en tant qu'électeur, à l'élection des gouvernants, mais encore d'accéder, en tant qu'élu, à l'exercice des responsabilités politiques. À l'origine réservé à un nombre restreint de citoyens, le droit de suffrage avait été progressivement étendu au cours du xixe siècle (consécration en France en 1848 du suffrage universel masculin) ; il deviendra réellement universel au siècle suivant, par extension à la population féminine (Royaume-Uni en 1918, Allemagne en 1919, États-Unis en 1920, France en 1944 et Suisse en 1971 seulement) et par la suppression des procédés par lesquels certaines catégories de la population se trouvaient privées du droit de vote (24e amendement à la Constitution des États-Unis adopté en 1963). L'émergence consécutive de partis de masse, véritables « entreprises politiques » destinées à encadrer le suffrage, par la présentation de candidats et de programmes, et à attirer le maximum d'électeurs, par la mobilisation de moyens matériels et humains, s'inscrit dans le processus de démocratisation, en créant le cadre d'une compétition politique plus authentique. Corrélativement, comme le soulignait le juriste français Georges Burdeau (1956), on constatera un double basculement, d'une démocratie « gouvernée » à une démocratie « gouvernante » et d'une démocratie « politique » à une démocratie « sociale ». La logique du gouvernement représentatif, qui aboutit à placer la réalité du pouvoir entre les mains des seuls gouvernants, sera infléchie par la réactivation des fondements de la légitimité démocratique : les gouvernants sont tenus de soumettre en permanence leurs faits et gestes au jugement critique de l'« opinion publique » et les citoyens entendent exercer une influence sur l'élaboration des choix collectifs. Par ailleurs, la logique démocratique poussera irrésistiblement à la réalisation d'une « société démocratique », fondée sur l'égalité des droits et des chances : l'État est conçu dans cette perspective comme un agent de redistribution, dont l'action doit permettre de réduire les inégalités sociales ; et cette vision contribuera puissamment à l'avènement de l'État-providence. Les modèles « alternatifs », paravents de l'autoritarisme. Ce modèle libéral a été confronté au cours du xxe siècle à des modèles alternatifs, se réclamant de conceptions différentes de la démocratie. Dénonçant la « démocratie bourgeoise » comme le paravent et la caution de la domination de classe, les marxistes entendront créer les conditions de réalisation d'une démocratie « réelle » ; et l'avènement de régimes socialistes se traduira par l'apparition d'un modèle nouveau de démocratie dite « populaire ». Cependant, ce modèle n'apparaît en réalité que comme l'enveloppe politique du totalitarisme : le principe démocratique est biaisé par l'existence d'un parti unique qui dispose d'une emprise totale sur le système politique ; l'« État du peuple tout entier » n'est qu'un instrument au service d'une oligarchie dirigeante. Il en va de même du modèle d'État total, de type fasciste ou national-socialiste, dans lequel un chef est censé concentrer en sa personne la toute-puissance collective de la nation. Quant au modèle de la démocratie « authentique », exalté par certains dirigeants des pays en développement (PED), notamment africains, après la décolonisation, il n'apparaît lui aussi que comme un instrument de légitimation de l'autoritarisme : l'« unanimisme », imputé à la persistance de certaines traditions culturelles, entraîne le refus du pluralisme et débouche sur le culte du chef. Dans tous les cas, ces modèles alternatifs se sont effondrés, comme en ont témoigné, dans la dernière décennie du siècle, l'implosion des systèmes socialistes et la crise des pays en développement : la sortie du totalitarisme ou de l'autoritarisme s'est effectuée par l'instauration du pluralisme politique, la tenue d'élections libres, le partage des pouvoirs, la garantie des droits ; le modèle démocratique libéral semble être ainsi en voie de triompher, en apparaissant comme le seul légitime. Cependant, ce dernier modèle connaît lui-même un processus de redéfinition. Vers une démocratie « participative ». Alors même que la démocratie représentative a connu une spectaculaire diffusion à l'Est et au Sud, elle est entrée en crise à l'Ouest, crise comportant de multiples facettes étroitement liées : crise de la représentation, exprimée par le discrédit affectant une « classe politique », stigmatisée dans de multiples « scandales » ou « affaires » ; crise de la participation, marquée par la montée de l'abstentionnisme et le reflux du militantisme ; crise du lien social et politique, illustrée par le repli sur la sphère privée, la perte des références collectives, l'approfondissement des clivages sociaux. À la faveur de cette crise se profilent certains infléchissements de la conception classique de la démocratie représentative. La démocratie ne se réduit plus aux seuls processus électifs : elle suppose encore le respect du pluralisme, la participation plus directe des citoyens au jeu politique et la garantie des droits et libertés ; la démocratie tend à devenir ainsi, non seulement une « démocratie juridique », corsetée par les impératifs de l'État de droit, mais encore une « démocratie continue », visant à donner aux citoyens une emprise plus directe sur les choix collectifs. Le gouvernement représentatif ne paraît plus, dans les sociétés contemporaines, suffisant pour répondre à l'exigence démocratique ; il aboutit en effet à cantonner les droits politiques de citoyenneté à la simple désignation de représentants. La crise de la représentation montre que cette conception est désormais caduque : l'idéal démocratique suppose que les citoyens disposent d'une emprise sur les choix collectifs ; la citoyenneté tend ainsi à devenir une citoyenneté active, incompatible avec toute idée de dépossession. Le développement, dans tous les pays et à tous les niveaux (national et local), de la technique référendaire s'inscrit dans cette perspective : aménagée sous des formes très diverses, l'expression populaire directe est perçue comme indispensable pour remédier à la crise de la représentation. La démocratie représentative est ainsi complétée par des éléments de démocratie semi-directe, destinés à en corriger les abus et à combler la distance qui s'est creusée entre gouvernants et gouvernés. Mais cette pratique référendaire relève elle-même d'une problématique plus générale visant à assurer une présence effective des citoyens dans les processus politiques. La démocratie relèverait ainsi de plus en plus, selon le philosophe et sociologue allemand Jürgen Habermas (1929-), d'un modèle de « politique délibérative », fondée sur la communication, la discussion, la négociation. À travers cette démocratie participative et continue tendrait à se construire un nouveau lien civique, résultant d'une plus forte implication des citoyens dans les choix collectifs. Jacques CHEVALLIER

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