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Denis Diderot, Le neveu de Rameau.

Publié le 22/02/2012

Extrait du document

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Rien ne dissemble plus de lui que lui-même. Quelquefois, il est maigre et hâve comme un malade au dernier degré de la consomption ; on compterait ses dents à travers ses joues. On dirait qu'il a passé plusieurs jours sans manger, ou qu'il sort de la Trappe. Le mois suivant, il est gras et replet, comme s'il n'avait pas quitté la table d'un financier, ou qu'il eût été renfermé dans un couvent de Bernardins. Aujourd'hui, en linge sale, culotte déchirée, couvert de lambeaux, presque sans souliers, il va la tête basse, il se dérobe, on serait tenté de l'appeler pour lui donner l'aumône. Demain, poudré, chaussé, frisé, bien vêtu, il marche la tête haute, il se montre et vous le prendriez au peu près pour un honnête homme. II vit au jour la journée. Triste ou gai, selon les circonstances. Son premier soin, le matin, quand il est levé, est de savoir où il dînera ; après dîner, il pense où il ira souper. La nuit aussi amène son inquiétude. Ou il regagne, à pied, un petit grenier qu'il habite, à moins que l'hôtesse ennuyée d'attendre son loyer, ne lui en ait redemandé la clé ; ou il se rabat dans une taverne du faubourg où il attend le jour entre un morceau de pain et un pot de bière. Quand il n'a pas six sols dans sa poche, ce qui lui arrive quelquefois, il a recours soit à un fiacre de ses amis, soit au cocher d'un grand seigneur qui lui donne un lit sur la paille, à côté de ses chevaux. Le matin, il a encore une partie de son matelas dans les cheveux. Si la saison est douce, il arpente toute la nuit le Cours ou les Champs-Elysées. Il reparaît avec le jour, à la ville, habillé de la veille pour le lendemain, et du lendemain quelquefois pour le reste de la semaine. Je n'estime pas ces originaux-là. Denis Diderot, Le neveu de Rameau.
1. Présentation de l'extrait
  • Brève présentation de l'oeuvre. De quoi il s'agit.
  • Situation du passage : Au tout début du Neveu de Rameau. Le narrateur installé au café de la Régence, place du Palais-Royal, regarde les joueurs d'échecs, lorsqu'il est « abordé par un des plus bizarres personnages de ce pays ou Dieu n'en a pas laissé marquer «. Il s'agit du neveu du compositeur célèbre et que Diderot entreprend de nous présenter.
  • Le passage proposé est donc un portrait.
2. Annonce du plan
  • Ce portrait est bien celui d'un vagabond.
  • Au-delà du vagabond, nous découvrons un personnage polymorphe, déconcertant, insaisissable...
  • Insaisissable sinon par le trait de la caricature. Ce portrait, d'une grande expressivité, est nécessairement caricatural, car le caractère excessif du modèle pousse aux excès le peintre et le tableau devient satire.
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« médical), à la rondeur la plus significative de l'opulence (« replet » vient d'un verbe latin désignant le fait de remplir.

Il est donc rempli, d'où l'idée d'embonpoint et d'excès d'aliment) ; son apparence (le vêtement) esttour à tour celle d'un gueux (saleté, déchirures, « lambeaux »), d'un personnage misérable et honteux (« il va la tête basse ») et celle d'un « honnête homme », encore que Diderot d'un « au peu près » glisse quelque réserve. Voici donc un personnage qui non seulement change d'apparences mais surtout de façon très contrasté, iltombe d'un excès dans l'autre. Le temps Changements excessifs, mais aussi brutaux : d'un mois à l'autre (« le mois suivant, il est gras et replet »), d'un jour à l'autre (« Aujourd'hui...

Demain...

»), voire d'un instant à l'autre (« Triste ou gai selon les circonstances »), les séquences se réduisent.

Les notations temporelles saturent le texte de Diderot (On en dénombre une vingtaine) et nous entraînent dans le rythme fou des métamorphoses de Rameau.

Ces mutations constantes etrépétées (c'est la signification du présent de l'indicatif employé en dépit de l'adverbe « demain », par exemple) nous égarent et nous rendent impossible à cerner ce personnage polymorphe.

D'où une abondance decoordinations disjonctives (« ou » est employé quatre fois).

Le lecteur ne sait plus où donner de la tête. 2. L'action 3. De fait, Rameau bouge beaucoup.

C'est un agité : nombreux verbes de mouvement au présent de l'indicatif.Un personnage extrêmement vivant.

On notera le talent de Diderot qui nous brosse de petites scènesextrêmement animées — phrases très rythmées, ponctuées, des énumérations, l'emploi de l'indicatif et enparticulier du présent du futur, un vocabulaire expressif et réaliste etc.

(Voir dans la fiche d'information p.

74 lemot Hypotypose).

III.

LA CARICATURE Rameau est-il insaisissable ? Pas pour le caricaturiste : Quand le modèle est excessif, il faut que la manière depeindre le soit aussi. Rappel de la définition du mot caricature : il s'agit de présenter quelqu'un ou quelque chose sous un journettement défavorable en exagérant ses traits.

Or, le neveu de Rameau ne semble guère (du moins au début)avoir la sympathie du philosophe : « Je n'estime pas ces originaux-là.

» Telle est la formule qui conclut le portrait. En fait, dès les premières phrases Rameau est épinglé par Diderot parmi les « caractères » caricaturaux,simplement par deux « innocentes » comparaisons. Toutefois, nous précise Diderot, il ressemble à un trappiste, tantôt à un bernardin.

Le philosophe reprend iciune des figures les plus caricaturées depuis les fabliaux du Moyen Age : le moine.

Rameau glisse d'un pôle de lacaricature à l'autre, du moine austère, silencieux ascétique au ripailleur. Ainsi, loin d'être un personnage que ses constantes métamorphoses rendraient inquiétant (comme Don Juan,par exemple), Rameau nous semble d'emblée frappé du sceau du ridicule (le même que celui qui estampilletrappistes et bernardins). ELEMENTS POUR UNE CONCLUSION Un portrait vivant, attachant, drôle et d'où Rameau sort légèrement malmené, en tous les cas par le sourire deDiderot. On peut dès lors s'interroger : ce personnage insaisissable devrait séduire Diderot, l'homme du mouvement, lui quiconfie « J'avais cent physionomies diverses en une journée » ou qui avoue aux premières lignes du Neveu : « Mes pensées ce sont mes catins », sous-entendu il me plaît d'en changer souvent, je ne leur dois rien, elles me doivent tout.. »

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