Y a-t-il des vérités morales?
Publié le 23/03/2005
Extrait du document
C'est un fait que les prescriptions morales courantes varient selon les temps et les lieux, et la conscience ne fait souvent qu'entériner ces jugements courants. L'inceste (par exemple chez les pharaons de l'ancienne Égypte) et la polygamie, l'esclavage et le meurtre des prisonniers de guerre, l'infanticide et la mise à mort des vieillards, tout, comme le dit PASCAL (Pensées, 294), « a eu sa place entre les actions vertueuses «. La morale chrétienne prescrit le pardon des offenses ; mais d'autres font une obligation à l'offensé de la « vengeance du sang «. Il serait facile de conclure de là à un scepticisme moral total, de disqualifier ainsi les jugements de la conscience, tout au moins d'en tirer la négation de l'universalité des règles morales. Mais une telle conclusion s'impose-t-elle ?
«
3 Qu'est-ce qui garantit que la conscience ne se trompe pas sur le bien ?
Réponses:
1 - De la conscience, d'un sentiment moral, plus que du raisonnement.
Ce dernier peut parfois jouer un rôle, mais ilest à lui seul très insuffisant.2 - Il le serait peut-être, s'il était le seul sentiment naturel.
Mais d'autres sentiments innés l'accompagnent, qui sontconformes à la moralité.3- Le fait qu'elle soit liée à un sentiment naturel, accordé à la nature, au point que Rousseau en parle comme d'un «instinct », et non une invention de notre raisonnement.
B.
— Il va de soi que, dans une telle conception, la moindre variation dans les jugements de la conscience ou lesprescriptions des règles morales constitue une fissure dans le bloc rigide de la moralité et peut être exploité contreelle.
"Sur quoi [le souverain] la fondera-t-il, l'économie du monde qu'il veutgouverner ? Sera-ce sur le caprice de chaque particulier ? Quelle confusion !Sera-ce sur la justice ? Il l'ignore.Certainement, s'il la connaissait, il n'aurait pas établi cette maxime, la plusgénérale de toutes celles qui sont parmi les hommes, que chacun suive lesmoeurs de son pays ; l'éclat de la véritable équité qui aurait assujetti tous lespeuples, et les législateurs n'auraient pas pris pour modèle, au lieu de cettejustice constante, les fantaisies et les caprices des Perses et Allemands.
On laverrait plantée par tous les États du monde et dans tous les temps, au lieuqu'on ne voit rien de juste ou d'injuste qui ne change de qualité en changeantde climat [...].Plaisante justice qu'une rivière borne ! Vérité au-deçà des Pyrénées, erreurau-delà.De cette confusion arrive que l'un dit que l'essence de la justice est l'autoritédu législateur, l'autre la commodité du souverain, l'autre la coutume présente ;et c'est le plus sûr : rien, suivant la seule raison, n'est juste de soi ; toutbranle avec le temps.
La coutume fait toute l'équité, par cette seule raisonqu'elle est reçue ; c'est le fondement mystique de son autorité.
Qui la ramèneà son principe, l'anéantit." Blaise Pascal, Pensées (1670).
Ce que défend ce texte:
Ce texte de Pascal s'ouvre sur une question qui s'adresse à tout gouvernant d'un État : sur quel principe celui-cidoit-il fonder l'organisation (« l'économie ») de la société qu'il veut gouverner ?S'agit-il de fonder le droit sur « le caprice de chaque particulier» ? Pascal rejette cette solution qui ne peut aboutirqu'à une confusion, celle qui résulte des désirs changeants et contradictoires de chacun, où nul gouvernement nepeut trouver sa cohérence.S'agit-il de le fonder sur l'idée de la justice et de régler les lois sur ses exigences ? Or, pour Pascal, les princesignorent ce qu'est la justice universelle, et c'est cette thèse qu'il va tenter de démontrer dans ce texte.S'ils connaissaient une telle justice, en effet, ils n'auraient pas établi cette règle, « la plus générale de toutes cellesqui sont parmi les hommes », qui consiste à affirmer que « chacun suive les moeurs de son pays » et la conceptionde la justice que les traditions développent chacune en particulier.
Descartes lui-même, dans le Discours de laméthode, reprendra à son compte une telle règle, lorsqu'il adoptera une « morale provisoire » pour accompagnerl'épreuve du doute : suivre les moeurs de son pays et les valeurs qu'elles établissent.Une telle règle, si communément admise, prouve que nul n'a pu déterminer la justice universelle, celle qui se seraitimposée à tous les peuples avec l'évidence de la vérité.
Si une telle vérité existait, elle aurait soumis tous lespeuples, non par la contrainte qu'imposent les guerres, mais par la seule force de la reconnaissance « de la véritableéquité ».
Celle-ci se serait imposée d'elle-même, enracinée (« plantée ») dans le coeur des hommes et dans leursÉtats, en tout lieu et en tout temps.Or, l'histoire nous montre une « relativité » des conceptions du juste et de l'injuste qui parle d'elle-même.
Ce qui estjuste ici est considéré comme blâmable là et réciproquement.
Ce qui est le bien en France (au-deçà des Pyrénées)est une erreur ou un vice en Espagne (au-delà des Pyrénées).
Nous ne pouvons que nous moquer alors d'une justicequi « change de qualité en changeant de climat », justice qui doit être davantage objet de plaisanterie (« plaisantejustice ») que de respect.
Ce à quoi s'oppose cet extrait:
Pascal ne se contente pas ici de dénoncer l'incapacité de la raison à déterminer les principes de la justiceauthentique et universelle.
Sur cette impuissance, nous dit-il, les hommes tirent des conclusions sur la nature de lajustice, contre lesquelles il s'oppose.
Les philosophes, en effet, au lieu de remettre en cause la relativité desconceptions du juste et de l'injuste, ne trouvent rien de mieux que d'essayer de la légitimer, ajoutant encore plus à.
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