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DESCARTES: Une fille louche !

Publié le 16/04/2005

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descartes
Lorsque j'étais enfant, j'aimais une fille de mon âge, qui était un peu louche (1) ; au moyen de quoi, l'impression qui se faisait par la vue en mon cerveau, quand je regardais ses yeux égarés, se joignait tellement à celle qui s'y faisait aussi pour émouvoir en moi la passion de l'amour, que longtemps après, voyant des personnes louches, je me sentais plus enclin à les aimer qu'à en aimer d'autres, pour cela seul qu'elles avaient un défaut ; et je ne savais pas néanmoins que ce fût pour cela. Au contraire, depuis que j'y ai fait réflexion, et que j'ai reconnu que c'était un défaut, je n'en ai plus été ému. Ainsi, lorsque nous sommes portés à aimer quelqu'un, sans que nous en sachions la cause, nous pouvons croire que cela vient de ce qu'il y a quelque chose en lui de semblable à ce qui a été dans un autre objet que nous avons aimé auparavant, encore que nous ne sachions pas ce que c'est. Et bien que ce soit plus ordinairement une perfection qu'un défaut qui nous attire ainsi à l'amour, toutefois, à cause que ce peut être quelquefois un défaut, comme en l'exemple que j'ai apporté, un homme sage ne se doit pas laisser entièrement aller à cette passion, avant que d'avoir considéré le mérite de la personne pour laquelle nous nous sentons émus. (1) « Louche » signifie : « qui louche ». DESCARTES

questions indicatives Comment comprenez-vous « au contraire, depuis que j'y fait réflexion et que j'ai reconnu que c'était un défaut, je n'en ai plus été ému « ? Ces notations ont-elles leur importance en regard de la suite de l'analyse et de l'argumentation de Descartes ? Pourquoi « un homme sage ne se doit pas laisser aller entièrement à cette passion, avant que de... « ? Le peut-il ? Quel sens exact donner à « passion « ici ? Pourquoi sommes-nous « obligés seulement de les estimer également « ? Importance des notations d'égalité ici : « aime également « mérites égaux « ; « estimer également « ? Doit-on aimer proportionnellement (en « raison de« ) aux mérites ? A quoi, selon Descartes, doit-être soumis « l'amitié « Mais doit-on choisir proportionnellement au mérite en ce qui concerne l'amitié ?

 

descartes

« évoque d'abord un amour d'enfance, et y met en place le rôle de l'association originaire entre le sentimentd'amour, suscité par la jeune fille, et l'impression liée à une caractéristique de cette jeune fille (le fait deloucher).

Dans un deuxième temps, il réfère à cette association originaire la propension qu'il a eue à aimerdes femmes qui louchaient, tant qu'il n'avait pas pris conscience de cette association.

La deuxième étapeexplicite et généralise le sens de l'exemple proposé.

Elle comporte elle-même deux temps.

Dans le premiertemps, Descartes revient sur le mécanisme d'association qui, généralement, tend à susciter une inclinationpréférentielle.

Dans le second temps, il en appelle à une maîtrise des passions, essentiellement par la mise enoeuvre d'une retenue liée à un souci de prise de conscience et de réflexion. 2.

De fait, le texte caractérise une tendance à aimer pour certains motifs plutôt qu'une origine générale detoute passion amoureuse.

La fin du texte, se référant au pouvoir de retenue et d'examen dont tout hommedispose, en appelle non à une négation de la passion, mais à un consentement réfléchi, excluant toutabandon aveugle.

La vie affective de l'homme apparaît ici tout à la fois comme tendanciellement soumise àdes mécanismes d'association (que plus tard Freud et Pavlov, chacun à sa manière, souligneront) etpotentiellement maîtrisée par le pouvoir de réappropriation de l'esprit.

Une première expérience vécue,référence originaire, lie un sentiment s'adressant à la totalité d'une personne, et la valorisation d'un détail(ici le fait de loucher) qui lui est graduellement associé.

Ce n'est pas, bien sûr, ce détail qui suscite l'amour,car il n'est remarqué et valorisé qu'en raison de l'association elle-même.

Plus tard, lorsque tout sembleoublié, la seule perception du même détail, par le pouvoir d'évocation qu'elle comporte, tend à susciter uneinclination amoureuse.

À celle-ci, selon Descartes, le sujet peut résister.

Puissance de la conscience, auto-examen, libre-arbitre suspendent l'emprise de l'inclination amoureuse, la passion à venir étant alors dans lepouvoir de la volonté elle-même. 3.

À la passion se trouvent associés généralement le tourment et l'agitation, alors que la sagesse sembleimpliquer la sérénité.

Une certaine figure du sage, communément répandue, le présente comme insensibleaux excitations sensibles et affectives, capable de transcender toute dérive passionnelle.

Pourtant, cetteapparente opposition de la passion et de la sagesse n'existe pas, telle quelle, chez les philosophesrationalistes les plus souvent cités.

Descartes, auteur d'un traité intitulé Les Passions de l'âme ne songe ni ànier la réalité des passions et leur importance dans la vie humaine, ni même à opposer les exigences de laraison et l'assouvissement passionnel.

La sagesse pratique, lucidité agissante et maîtrise de soi, n'exclutnullement le bon usage des passions et les plaisirs qui s'y attachent.

La passion n'est pas mauvaise en elle-même, mais seulement lorsqu'elle produit des effets d'aveuglement qui compromettent la lucidité.

D'où lanécessité d'une maîtrise des passions, qui signifie leur assouvissement mais aussi leur contrôle.

La sagesse,en l'occurrence consiste à savoir ce qui dépend de soi, et à régler ce qui peut l'être compte tenu d'une telleprise de conscience.

Précisant une telle exigence au regard de l'union du principe de la pensée (l'âme) avecle siège des impressions sensibles (le corps), Descartes montre comment tirer parti de la situation humaine.Il y a les plaisirs que l'âme peut et sait se procurer à elle-même, et ceux qui lui sont communs avec le corpspourvu que l'homme reste maître de lui-même, et sache prévenir dérives et excès.

Parlant des passions,Descartes écrit : " Nous voyons qu'elles sont toutes bonnes de leur nature, et que nous n'avons rien à éviterque leurs mauvais usages ou leurs excès.

" (Les Passions de l'âme, article 211).

Et il ajoute : " Que c'estd'elles seules que dépend tout le bien et le mal de cette vie " (article 212).L'opposition de la sagesse et de la passion est donc contestable.

Elle n'a de sens que dans le cas d'uneexacerbation de la passion, qui tend à dessaisir la raison de son pouvoir.

Certaines situations existentiellesdramatiques provoquent les " passions tristes " dont parlait Spinoza : haine et tristesse, qui attestent tout àla fois la désespérance affective et l'incompréhension des causes qui produisent la situation subie.

La haineraciste ou xénophobe fait partie de ces passions tristes qui aveuglent le jugement, voire le rendenttotalement impossible.

L'injonction volontariste (" il faut faire taire ses passions ") reste inutile et vaine tantqu'une transformation de la situation pathogène n'esquisse pas la libération minimale qui redonne seschances à la raison.

Mais, inversement, il doit aussi y avoir une " volonté de raison " - sorte de sagesseliminaire - pour élucider la situation subie, la comprendre, et chercher à s'en délivrer.

Difficile avènementd'une sagesse libératrice qui tout à la fois présuppose la possibilité de la raison et s'efforce de l'épanouir encompréhension rationnelle du monde - transcendant alors les passions tristes.

Descartes et Spinoza, chacunà sa manière, exposent la difficulté de la maîtrise des passions, en écartant la naïveté qui consisterait àcroire que le seul énoncé rationnel du vrai peut dissiper la passion vive du moment.

La sagesse cartésiennemise à la fois sur la générosité, conscience de la valeur du libre arbitre, et sur l'exercice patient par lequels'acquiert, indirectement, la maîtrise des passions (consistant par exemple à désaccoupler desreprésentations associées afin de défaire l'ascendant de l'une d'entre elles).

Quant à la sagesse spinoziste,elle en appelle à ce changement de la situation existentielle que représente l'élucidation du rapport dechaque homme à la totalité naturelle et sociale.

Compris et non plus subi, ce rapport n'entrave plus lapuissance d'agir : celle-ci est bien plutôt augmentée par l'élucidation de tout ce qui la situe, et par là mêmeles passions mauvaises cèdent le pas aux passions joyeuses.Pour approfondir la réflexion sur le texte de Descartes, on pourra se reporter au texte intégral de la lettredont il est tiré, à savoir la lettre à Chanut du 6 juin 1647, Éd.

de la Pléiade, pages 1277 et 1278.

Voici, dumême texte, un autre extrait, qui précède le passage commenté" Je passe maintenant à votre question, touchant les causes qui nous incitent souvent à aimer une personneplutôt qu'une autre, avant que nous en connaissions le mérite ; et j'en remarque deux, qui sont, l'une dansl'esprit, et l'autre dans le corps.

Mais pour celle qui n'est que dans l'esprit, elle présuppose tant de chosestouchant la nature de nos âmes que je n'oserais entreprendre de les déduire dans une lettre.

Je parleraiseulement de celle du corps.

Elle consiste dans la disposition des parties de notre cerveau, soit que cette. »

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