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DESCARTES: Lettre-préface des Principes de la philosophie.

Publié le 29/01/2012

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Lettre-préface des Principes de la philosophie.

 

« Ainsi toute la philosophie est comme  un arbre dont les racines sont la métaphysique, le tronc est la physique, et les branches qui sortent de ce tronc sont toutes les autres sciences, qui se réduisent à trois principales, à savoir la médecine, la mécanique et la morale ; j’entends la plus haute et la plus parfaite morale, qui, présupposant une entière connaissance des autres sciences, est le dernier degré de la sagesse «. Cette comparaison fameuse se révèle à l’analyse d’une grande richesse. Il faudrait d’abord la situer dans une histoire symbolique de la littérature, qui a souvent fait de l’arbre la source et l’emblème du savoir. On y rencontrerait, entre autres, « l’arbre de la connaissance du bien et du mal « que la Bible situe au milieu du jardin d’Eden, le « chêne de Dodone « dont vinrent selon Socrate les « premières divinations « (Platon, Phèdre). « L’unité du savoir visé par Descartes substitue à la différenciation des sciences selon que leur objet est rapporté à tel genre d’être, l’ordre des vérités, « en tant que la connaissance des unes peut découler de la connaissances des autres « (Roger-Lewis, La morale de Descartes). Chez Descartes, il n’y a pas de coupure ou d’abîme entre philosophie et sciences. On ne saurait envisager l’obtention d’un savoir certain, dans quelque domaine que ce soit, si l’on n’a pas d’abord répondu à une saisie de questions fondamentales qui concernent proprement la métaphysique telle que Descartes la définit : Dieu existe-t-il, est-il ou non trompeur ? Que suis-je ? moi qui veut savoir ? Si ces « fondements « ne sont pas assurés, rien ne pourra l’être, à la manière dont aucune partie d’un édifice n’est solide si les fondations sont branlantes. Cette métaphore architecturale est récurrente dans les textes cartésiens posant la question du fondement et la constitution du savoir. En d’autres termes, pas de physique sans métaphysique. Descartes veut donc donner à ces « premiers principes de la connaissance «  une certitude absolue, et faire de la métaphysique une science  « plus claire et plus certaine que n’avaient fait auparavant les démonstrations des géomètres «. Il va falloir prouver l’existence de Dieu et la nature immatérielle de notre esprit, substance pensante.

La métaphysique-racine inaugure, et fonde une physique-tronc, une science générale du monde matériel. Le tronc lui-même permet le développement de trois principales branches : la mécanique, science des machines, qui permet aussi bien de rendre la nature plus habitable à l’homme que d’envoyer des fusées dans l’espace ; la médecine, qui vise au bon fonctionnement de ce canton particulier du monde matériel qu’est le corps humain ; la morale enfin, qui est comme l’aboutissement et le point de rencontre de tous les autres savoirs, puisqu’elle s’intéresse à l’homme en tant qu’il est l’union d’un esprit immatériel et d’un corps. Les mathématiques n’apparaissent pas dans l’arbre de la philosophie. Cette absence est étonnante, surtout si l’on se rappelle que les mathématiques constituent depuis l’antiquité le modèle de la connaissance certaine, et que la postérité a vu à juste titre en Descartes un grand mathématicien. Mais selon Descartes, la philosophie s’occupe prioritairement de ce qui existe, du réel et non pas du possible. Or les objets des mathématiques, science fondamentalement « pure et abstraite « sont de simples idéalités. On n’a donc pas à compter les mathématiques au nombre des domaines dont s’occupe la philosophie. Il ne faut pas pour autant les ignorer : Descartes conseille en premier lieu de pratiquer les mathématiques pour accoutumer l’esprit à des raisonnements rigoureux sur les idées claires ; en second lieu, lorsqu’on les applique à la réalité, elles fournissent les outils de calcul nécessaires à la constitution de la physique. Bien philosopher consiste donc a effectuer un parcours qui part du fondamental (la métaphysique) et va vers l’utile, ces sciences particulières qui nous permettent d’agir sur le monde, de maintenir notre corps en bon état, et de répondre à la question « que faire ? «. Il y a en conséquence trois manières de ne pas ou de mal effectuer ce parcours, et corrélativement trois figures du mauvais philosophe selon Descartes :

1.                  L’utilitariste impatient : il veut d’emblée les branches et les fruits, les résultats utiles, et il n’a pas la patience de passer par le moment fondateur de la métaphysique. Celui-là se précipite trop, il se trompera. Ses sciences seront douteuses et sa morale vacillante.

2.                  Le métaphysicien stagnant : il se contente des racines, passe sa vie à ruminer complaisamment de grandes questions métaphysiques. Celui-là n’a pas compris que si le philosophe doit, à un moment donné, se faire métaphysicien, il ne doit pas le rester et se contenter de cette activité. Il aura perdu son temps : il faut ne consacrer à la métaphysique que « fort peu d’heures par an « (Lettre à Elisabeth).

3.                  Celui qui part dans le mauvais sens : au lieu de chercher les conséquences utiles, tronc et branches, des racines métaphysiques, il fait de la philosophie à rebours en se demandant s’il n’y a pas quelque chose sous les racines : « Dans quel sol les racines de l’arbre de la philosophie trouvent-elles leur point d’attache ? De quel fond les racines, et par elles l’arbre tout entier, reçoivent-ils la vigueur et les sucs nourriciers ? Quel élément celé dans le fond et le sol s’entrelace aux racines qui portent l’arbre et le nourrissent ? Sur quoi repose et prend naissance la métaphysique ? Qu’est-ce que la métaphysique vue de son fondement ? « (Heidegger, introduction à Qu’est-ce que la métaphysique ?). Celui-là n’en finira peut-être jamais de s’interroger. Car la tâche du philosophe n’est pas de déterminer le plus difficile à penser, mais de découvrir le plus utile pour vivre.

Ainsi, « Il n’est pas seulement utile de vivre avec ceux qui s’appliquent à la philosophie, mais il est incomparablement meilleur de s’y appliquer soi-même «. Encore, « C’est proprement avoir les yeux fermés sans tâcher jamais de les ouvrir, que de vivre sans philosopher ; et le plaisir de voir toutes les choses que notre vue découvre n’est point comparable à la satisfaction que donne la connaissance de celles qu’on trouve par la Philosophie ; et enfin cette étude est plus nécessaire pour régler nos mœurs, et nous conduire en cette vie, que n’est l’usage de nos yeux pour guider nos pas «. En conséquence, se poser d’emblée la seule question « qu’est-ce que la philosophie ? « n’est sans doute pas la meilleure manière de commencer à philosopher. Procédant ainsi, on risque de ne jamais pouvoir répondre, et de s’apercevoir, à l’heure du bilan, qu’on n’a rien fait d’autre que poser la question. La réponse, si elle existe, est au terme d’un cheminement de réflexion qui la constitue.

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