A la vérité, le très célèbre Descartes,
bien qu'il ait admis le pouvoir absolu de l'Ame sur ses
actions, a tenté, je le sais, d'expliquer les Affections
humaines par leurs premières causes et de montrer en même
temps par quelle voie l'âme peut prendre sur les Affections
un empire absolu ; mais, à mon avis, il n'a rien montré que
la pénétration de son grand esprit comme je l'établirai en
son lieu. Pour le moment je veux revenir à ceux qui aiment
mieux détester ou railler les Affections et les actions des
hommes que les connaître. A ceux-là certes il paraîtra
surprenant que j'entreprenne de traiter des vices des hommes
et de leurs infirmités à la manière des Géomètres et que je
veuille démontrer par un raisonnement rigoureux ce qu'ils ne
cessent de proclamer contraire à la Raison, vain, absurde et
digne d'erreur. Mais voici quelle est ma raison. Rien
n'arrive dans la Nature qui puisse être attribué à un vice
existant en elle ; elle est toujours la même en effet ; sa
vertu et sa puissance d'agir est une et partout la même,
c'est-à-dire les lois et règles de la Nature, conformément
auxquelles tout arrive et passe d'une forme à une autre,
sont partout et toujours les mêmes ; par suite, la voie
droite pour connaître la nature des choses, quelles qu'elles
soient, doit être aussi une et la même ; c'est toujours par
le moyen des lois et règles universelles de la Nature. Les
Affections humaines donc de la haine, de la colère, de
l'envie, etc..., considérées en elles-mêmes, suivent de la
même nécessité et de la même vertu de la Nature que les
autres choses singulières ; en conséquence, elles
reconnaissent certaines causes, par où elles sont connues,
et ont certaines propriétés aussi dignes de connaissance que
les propriétés d'une autre chose quelconque, dont la seule
considération nous donne du plaisir. Je traiterai donc de la
nature des Affections et de leurs forces, du pouvoir de
l'Ame sur elles, suivant la même Méthode que dans les
parties précédentes de Dieu et de l'Ame, et je considérerai
les actions et les appétits humains comme s'il était
question de lignes, de surfaces et de solides>>.
SPINOZA, Ethique.
2.
Le désir est communément défini comme une tendance accompagnée de conscience: la difficulté du désir vient de son objet, de l'obscurité de son objet. Que désire véritablement le désir? Quel est l'objet propre du désir? En plus de cette question sur la difficulté de l'objet du désir, le désir pose également la question de sa positivité ou négativité: le désir est-il une force qui augmente ou diminue ma puissance? En quel sens peut-on dire que le désir est une force? Si c'est une force, vers où me tire une telle force? Il s'agit pour nous de nous demander si une telle force est au service de ma propre puissance ou l'inverse? La question présuppose que le désir peut être une force positive lorsqu'elle me permet d'être, de me déployer ou alors négative lorsqu'au contraire le désir me fait souffrir, me rouble et en ce sens diminue ma puissance d'être? Comment penser et concilier les contradictions inhérentes à la nature du désir?