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Les devoirs du journalisme

Publié le 22/02/2012

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Le contenu d'un journal dépend-il seulement de sa forme ? Il doit d'abord satisfaire une demande, réelle ou supposée, d'un public ; la présentation des événements variera donc selon les lecteurs visés : pour plaire, on trichera avec la réalité. L'exactitude est victime du tirage. Chaque personne concernée doit donc réfléchir : ceux qui font l'actualité et apprécient peu les vérités directes ; les gens de médias, qui assument mal, parfois, d'être de simples témoins ; les rédacteurs trop enclins à plaire. Et le « consommateur » ? À lui de décider et de choisir, car, de droit, il dispose de la plus terrible sanction : refuser de lire le journal. Est-il pour autant innocent, en n'acceptant souvent qu'une vérité qui le flatte et lui plaît ? N'a-t-il pas l'information qu'il souhaite ? Encore faudrait-il savoir qui influence le plus l'autre. Question sans importance, pour qui ne pense pas l'information comme pure affaire commerciale destinée à plaire, mais considère l'informateur comme un missionnaire devant dire, quelle qu'elle soit, la vérité.

« par rapport au mouvement des planètes.

On pourra ainsi s'étonner que certains journaux aient « ouvert » sur la sipathétique affaire Valenciennes-OM (dont, comme chacun sait, le sort du monde dépend) le jour même où sedéroulait un événement très anodin : des accords de paix entre Palestiniens et Israéliens (il est vrai que cesderniers ont pris, depuis, une assez jolie revanche sur les footballeurs français).

On s'étonnera moins quand on saitl'amour des Français pour le sport et le football en particulier.

Il suffit, ici comme ailleurs, de « flatter » un public :un journal, écrit ou audiovisuel, ne peut vivre sans l'accord immédiat de ce public.

Aussi, tous les moyens paraissentbons pour le satisfaire.

Et cela n'est pas nouveau.

Ainsi, Balzac dénonçait déjà ces pratiques avec mordant dans Les Illusions perdues : « S'il existait un journal des bossus, il prouverait soir et matin la beauté, la bonté, la nécessité des bossus.

Un journal n'est plus fait pour éclairer mais pour flatter les opinions.

» La nuance est de taille : il fautplaire, donc flatter, donc mentir, et fournir des informations qui touchent, qui satisfassent les instincts, parfoismédiocres, des lecteurs.

Ainsi, Baudelaire dénonce le « tissu d'horreur » constitué par un journal qui s'ingénie àrelater tout ce que les hommes commettent d'actions lâches, viles et laides ; tout cela, naturellement, sans lamoindre distance, ni le moindre jugement critique. La faiblesse du journaliste, aux yeux de maints intellectuels, c'est qu'il est condamné à oeuvrer dans l'immédiat, qu'illui manque ainsi le temps de la saine réflexion.

Ces remarques valent encore pour notre époque où le ban et l'arrière-ban des personnalités médiatiques et des experts en tout genre sont convoqués d'urgence pour écrire, débattre, «penser » sur des événements tout chauds, certains en train de se faire, sans laisser à quiconque le temps de sefaire vraiment un avis ; pire encore, sans laisser à chacun le temps de savoir ce qu'il s'est réellement passé.Fontenelle, au XVIIIe siècle, dans l'anecdote de la dent d'or, illustra bien (par anticipation) certaines pratiquesactuelles : on explique, on discute, on interprète, on juge — on raconte qu'en Silésie, une dent d'or pousse dans la bouche d'un enfant.

Aussitôt, la foule des théologiens donne sa version des faits.

Un curieux va voirde ses propres yeux et constate une supercherie — avant de savoir l'essentiel (la dent d'or existe-t-elle ?).

Tant pispour le public à qui l'idée plaisait...

L'écrivain, le philosophe, l'artiste, sont, par fonction, condamnés à déplaire dansl'immédiat, puisqu'ils démystifient là où, au contraire, enfermé dans le temps présent, le journaliste doit plaire, doncmystifier. Aussi ne sera-t-on pas surpris de voir que, depuis le )(Ir siècle, le journaliste prend une importance croissante dansla hiérarchie sociale et que, plus intéressant encore, son image de marque s'améliore auprès du public (mais non desvrais intellectuels qui le méprisent) : à la fin d'Une fille d'Ève, le « grand écrivain » Raoul Nathan finit sa carrière en journaliste (officiel, qui plus est : serviteur de la monarchie de Juillet).

Donc, pour Balzac, c'est un « raté ».

Plustard, Maupassant fait de Georges Duroy une sorte de héros (certes fort antipathique) des temps modernes quiparvient à ses fins, sentimentales, personnelles, financières, politiques, par le biais du journalisme.

Le journal devientla meilleure façon de réussir : nul besoin de savoir écrire, il faut encore employer des « nègres » (des « négresses »en l'occurrence) et influencer une opinion, par définition malléable et lâche.

Ainsi exploite-t-on les foules.

Ontransformera facilement le brave général Boulanger en glorieux héros et, un peu plus tard, un certain Dreyfus Alfred,capitaine de l'année française, en traître immonde.

Certaines voix s'élèvent alors pour nous rappeler qu'un journalpeut avoir d'autres buts que celui de plaire à son public. Quand il publie « J'accuse » dans L'Aurore, Zola, prenant parti pour l'innocent Dreyfus, ne cherche pas d'abord à « flatter » un public majoritairement persuadé de la culpabilité du capitaine.

Certes, il écrit dans un journal « degauche » a priori plus favorable que d'autres aux thèses dreyfusardes.

Le risque, néanmoins, est grand : Zola paiera cher en insultes et humiliations diverses (restitution de sa légion d'honneur, exil) sa prise de position à l'encontre del'opinion commune.

C'est que Zola cherche autre chose que plaire : « éclairer ».

Qu'elle plaise ou non, la vérité doitêtre dite.

Conception noble du « journalisme » qui fut aussi celle d'un Voltaire par exemple, au siècle précédent,mettant à jour l'innocence de Calas, après avoir lui-même douté, au début, de cette innocence.

Honnêteté suprêmequi consiste à enquêter, sans idée préconçue, à analyser un dossier et à se déterminer non en fonction d'uneopinion (même de la sienne) mais en fonction des faits, vérité ou mensonge, et avoir la sagesse de s'en tenir là.

Telle est, ou devrait être, la morale de nos modernes journalistesd'investigation : dénoncer, sans parti pris, des scandales, etc.Il est vrai que cette vérité-là ne plaît guère, et que le journaliste, dans ces conditions, a parfois mauvaise presse.

Àcelui qui ouvre les yeux, à celui qui débarrasse des préjugés, comme à l'artiste, à l'écrivain, au philosophe, on nepardonne guère son attitude.

Au mensonge qui flatte et réconforte, il a préféré la vérité qui gêne (lui-même autantque les autres, parfois) ; il enquête sur des hommes, un parti politique, auxquels, pourtant, il peut se sentir trèsattaché.

Ce qu'il va découvrir alors peut l'effrayer ; il va néanmoins jusqu'au bout, sans excès non plus, sachantgarder la mesure juste.

Le journaliste, à ce titre, ressemble au juge (au juge idéal, aussi rare d'ailleurs que lejournaliste en question) attaché seulement à la découverte d'une vérité, même dérangeante.Faut-il pourtant toujours dire la vérité, quand on est journaliste "? Là intervient ce mot si galvaudé aujourd'hui de «déontologie ».

Au journaliste, à qui vient d'être révélé un fait, un événement, une information quelconque sur telleou telle personne, de juger en son âme et conscience, s'il doit vraiment la révéler.

Car ce que dit ou écrit lejournaliste engage plus qu'on ne croit.

Pas question de taire une vérité, bien sûr, si le seul risque est de déplaire aupouvoir (dans les pays démocratiques, le « risque » est minime) ou à une personnalité puissante (son employeur, parexemple, un grand patron de presse).

On peut comprendre qu'on hésite.

L'histoire jugerait mal, en revanche, unsilence préféré par confort ou lâcheté.

Le journaliste, par ailleurs, ne saurait être un « informateur » au sens où onl'est dans le « milieu » ou la police (un mouchard).

Son rôle n'est pas de dénoncer qui que ce soit.

Raison pourlaquelle on regardera avec une extrême méfiance la prolifération d'articles de journaux ou d'émissions téléviséesdites « d'information » où la vérité devient prétexte à la délation ou à l'exhibition.

S'il est bon, et même salutaire et. »

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