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Diderot, Entretiens sur le Fils NaturelExplication de textePremier entretien, p. 78-81 : « Dorval s'arrêta ici un moment… La véritable dignité, celle qui me frappe, qui me renverse, c'est le tableau de l'amour maternel dans toute sa vérité. »

Publié le 18/09/2010

Extrait du document

diderot

Introduction
 
   > Amorce
  Avec Le Fils naturel, Diderot inaugure un nouveau genre théâtral : le drame bourgeois. La pièce est suivie des Entretiens sur le Fils Naturel, suite de réflexions dialoguées qui prolonge le drame entre Dorval, personnage principal de la pièce, et l'auteur, qui expose ses idées dramaturgiques.
  En effet, ce sont les théories dramatiques et les opinions de Diderot sur les genres et sur l’art théâtral qui font l’objet des Entretiens avec Dorval à propos du Fils naturel, dont ce personnage évidemment imaginaire est le héros et l’inspirateur.
 
   > Présentation et situation du passage
  Dans le Fils naturel et le traité qui suit cette œuvre Entretiens sur le fils naturel, Diderot tente une application de la comédie sérieuse. Il prétend substituer à la peinture, des caractères et des mœurs générales. Il compte trouver dans ce nouveau domaine les mêmes contrastes, les mêmes heurts, le même pathétisme ; et par surcroît, il espère instruire et moraliser. L’auteur expose une foule d’idées concernant la substance, la forme et la mise en scène des pièces de théâtre.
  Nous allons ici étudier un extrait du Premier entretien : « Dorval s’arrêta ici un moment… La véritable dignité, celle qui me frappe, qui me renverse, c’est le tableau de l’amour maternel dans toute sa vérité. « Le sujet principal de ces quelques pages porte sur la différence qui existe entre le « tableau « et le « coup de théâtre «. Au travers des tirades de Dorval, Diderot entend réformer le théâtre et les conditions de la représentation théâtrale.
 
   > Mouvement du texte
  Pour envisager des éléments de réponse, l’examen attentif de la composition du texte se révèle fructueux.
  Il est clairement constitué de deux parties.
   - La première partie évoque la différence qui existe entre le « tableau « et le « coup de théâtre «.
   - La seconde partie souligne que l’effet du théâtre est avant tout de produire des sensations fortes, en se concentrant sur l’essentiel afin d’envisager un théâtre « vivant «, auquel Diderot est très favorable. Le spectateur pourra ainsi ressentir une émotion au moment choisi, et découvrir à l’instant voulu, l’action la plus pathétique et produire ainsi l’impression la plus forte sur le spectateur.
 
   > Protocole de lecture
  Au cours de cette explication de texte, il s’agira donc d’observer la différence qui existe entre le « tableau « et le « coup de théâtre « et de découvrir, au travers des tirades de Dorval, comment Diderot entend réformer le théâtre et les conditions de la représentation théâtrale.
 
Explication linéaire
 
 I. La différence entre le « tableau « et le « coup de théâtre «
 
     a. Préférence de Dorval pour les tableaux
  Dès les premières phrases, Dorval affirme sa préférence pour les tableaux plutôt que pour les coups de théâtre.
  « J’aimerais bien mieux des tableaux sur la scène, où il y en a si peu, et où ils produiraient un effet si agréable et si sûr, que ces coups de théâtre qu’on amène d’une manière si forcée… «
  Le tableau utilisé dans le drame bourgeois est le reflet littéraire d’une bourgeoisie naissante. Diderot préfère le tableau au coup de théâtre, car ce dernier s’inspire d’un modèle social qui se fonde à la fois sur le hasard, mais aussi sur le retournement de situation et l’effet de surprise, reflétant alors une réalité qui n’est plus celle de la nouvelle classe bourgeoise. Le tableau, en revanche, est l’image même de la stabilité familiale et de la vertu domestique. Aussi Dorval veut-il remplacer les coups de théâtre par des tableaux.
 
  Dans ce « Premier entretien sur le fils naturel «, Dorval lui confie donc nettement sa préférence pour les tableaux sur scène plutôt que pour « ces coups de théâtre qu’on amène d’une manière si forcée, et qui sont fondés sur tant de suppositions singulières, que pour une de ces combinaisons d’évènements qui soit heureuse et naturelle, il y en a mille qui doivent déplaire à un homme de goût. «
 
  Dans ce discours s’élevant contre la sophistication du coup de théâtre, Dorval reflète le sentiment d’aversion qui caractérise l’époque de Diderot pour tout ce qui est relatif au théâtre et à la théâtralité en général.
 
     b. Les atouts du tableau à l’instar du coup de théâtre
  En préconisant l’emploi du tableau, Dorval insiste donc sur l’effet : « … et où ils produiraient un effet si agréable et si sûr «.
 
  Mais, le coup de théâtre n’enfreint pas forcément la logique dramatique ni la vraisemblance, il peut aussi être interprété comme la conséquence d’évènements antérieurs. Il n’en demeure pas moins que Diderot en discute le bien-fondé par rapport « au naturel « et « au vrai «.
 
  La scène est le cadre du tableau et, pour Diderot, un drame est une succession de tableaux. Il insiste sur l'action bienfaisante que pourrait exercer un peintre dans la mise en scène :
  « Il faut que l'action théâtrale soit bien imparfaite encore, puisqu'on ne voit sur la scène presque aucune situation dont on pût faire une composition supportable en peinture… Je pense, pour moi, que si un ouvrage dramatique était bien fait et bien représenté, la scène offrirait au spectateur autant de tableaux réels qu'il y aurait dans l'action de moments favorables au peintre. «
  Dorval est très attaché à l’esthétique du tableau. Il aspire à voir reproduire la réalité sur scène et à y retrouver ce qui pourrait donner lieu à des tableaux en peinture ; cette ambition est moins paradoxale qu'il n'y paraît si l'on songe que, à l'époque, la peinture est conçue comme un art qui imite la réalité, même si ses éléments en sont choisis.
 
  Le personnage appelé « Moi « oppose alors ces deux procédés : « Un incident imprévu qui se passe en action et qui change subitement l’état des personnages, est un coup de théâtre. Une disposition de ces personnages sur la scène, si naturelle et si vraie, que rendue fidèlement par un peintre, elle me plairait sur la toile, est un tableau. « Le tableau favoriserait donc davantage l’expression du « vrai «.
 
Conclusion partielle de la première partie
  Le tableau, contrairement au coup de théâtre, favoriserait donc davantage l’expression du « vrai «. Ainsi, dans ce « Premier entretien sur le fils naturel «, Dorval confie nettement sa préférence pour les tableaux sur scène plutôt que pour les coups de théâtre. En effet, selon lui, le tableau, plus naturel, renvoie de ce fait à des réactions dites naturelles. Diderot aspire à voir reproduire la réalité sur scène afin que le spectateur puisse ainsi ressentir une émotion au moment choisi et s’identifier aux personnages.
 
II. L’effet du théâtre est de produire des sensations fortes
 
     a. Un théâtre « vivant «, synonyme d’émotion pour le spectateur
  Nous avons vu précédemment que le tableau favoriserait davantage que le coup de théâtre l’expression du « vrai «. En effet, le tableau, plus naturel, renvoie de ce fait à des réactions dites naturelles, comme évoquées dans cette phrase : « Ces cris formaient un vers peu nombreux. Mais les entrailles du spectateur en étaient déchirées. « Dorval entend par cette image mettre en avant l’esthétique du tableau qui a le pouvoir d’émouvoir le spectateur jusqu’à le bouleverser. Le tableau, mieux qu’un coup de théâtre, atteint directement la sensibilité du public.
 
  En préconisant l’emploi du tableau, Dorval insiste donc sur l’effet : « Mais les entrailles du spectateur étaient déchirées «, « La véritable dignité, celle qui me frappe, qui me renverse, c’est le tableau de l’amour maternel dans toute sa vérité. «
  Ce dernier exemple est très révélateur de l’effet produit par le tableau. La peinture puise sa « vérité « dans l’effet qu’elle produit chez le spectateur et dans la force avec laquelle elle réussit à l’affecter. Dès lors, la peinture se pose en un univers autonome, distinct de l’univers réel. Elle possède ses propres valeurs et sa propre vérité.
 
  Comme Diderot le souligne, l’effet du théâtre est avant tout de produire des sensations fortes en se concentrant sur l’essentiel. De plus, élever la peinture au rang de modèle permet d’envisager un théâtre « vivant «, auquel Diderot est très favorable. Le spectateur pourra ainsi ressentir une émotion au moment choisi, et découvrir à l’instant voulu, l’action la plus pathétique et produire ainsi l’impression la plus forte sur le spectateur.
 
     b. Quand est-il de la notion de bienséance, caractéristique du théâtre bourgeois ?
 
  « Mais la décence ! La décence ! «
  La réaction immédiate de Moi est assez vive, mais cette injonction à la décence est un rappel ironique à la règle de la bienséance. Si la règle de la vraisemblance est liée à une exigence intellectuelle et esthétique, celle de la bienséance manifeste les conditions sociales auxquelles le vraisemblable lui-même est soumis. Cette exclamation de Diderot est donc à la fois le rappel d’une règle établie au théâtre et contre laquelle il veut combattre, mais aussi l’axe central de l’analyse évoquée dans la conversation entre Dorval et Moi. Pour ce dernier, il vaut mieux faire allusion à quelque chose, plutôt que de carrément la montrer. Le côté passionnel du spectateur doit être tempéré, mais aussi ménagé.
 
  Pour Dorval, à l’inverse, les images sont plus fortes que les mots et émeuvent plus facilement que n’importe quelle allusion métaphorique. Le spectateur doit ne faire qu’un avec la pièce qu’il regarde. Il bafoue ainsi les notions de décence, dans la mesure où il cherche à troubler le public et à l’émouvoir, jusqu’à le faire pleurer. La critique de Diderot est tout autant une rupture avec le code classique du XVIIe siècle qu’un appel à en retrouver le véritable sens.
 
  « Je n’entends répéter que ce mot. La maîtresse de Barnwell entre échevelée dans la prison de son amant. Les deux amis s’embrassent, et tombent à terre. Philoctète se roulait autrefois à l’entrée de sa caverne. Il y faisait entendre les cris inarticulés de la douleur. Ces cris formaient un vers peu nombreux. Mais les entrailles du spectateur en étaient déchirées. Avons-nous plus de délicatesse et plus de génie que les Athéniens ?... Quoi donc, pourrait-il y avoir rien de trop véhément dans l’action d’une mère dont on immole la fille ? Qu’elle coure sur la scène comme une femme furieuse ou troublée ; qu’elle remplisse de cris son palais «
  Dans ces quelques lignes où il est fait référence à Marchand de Londres de Georges Lillo ou bien encore à Sophocle, entre autres, l’auteur veut, en effet, démontrer qu’une mise en scène doit être construite autour de grands gestes, qu’ils soient de désespoir ou d’effusion, ou bien encore une démonstration de douleur ou d’amitié. Il s’élève contre les déclamations figées. Il faut des cris et, mieux encore de l’hystérie à l’image de cette « mère dont on immole la fille «. Le spectateur doit être dans le « ressenti «, dans ce qu’il éprouve au plus profond de ses « entrailles «, au-delà des mots, dans un mouvement qui doit lui parvenir de la scène. Le spectateur assiste à une représentation théâtrale pour avoir des sensations. Il doit avoir la possibilité de s’identifier au sujet dramatique. Partant de ce principe, Diderot veut par-dessus tout rétablir le théâtre dans sa fonction sociale.
 
Conclusion partielle de la première partie
  Dorval prône donc un théâtre « vivant « afin d’atteindre directement la sensibilité du public. Face à cette prise de position, la réaction immédiate de Moi se fait sans attendre. C’est une manière subtile pour Diderot de faire un rappel ironique à la règle de la bienséance. Cependant, Dorval ne tarde pas à argumenter en disant que les images sont plus fortes que les mots et qu’ainsi, le spectateur pourra plus facilement s’identifier aux personnages et ne faire qu’un avec la pièce, en ressentant les émotions comme s’il les vivait.
 
Conclusion
 
  Dans cet extrait du Premier Entretien, Moi est toujours pour l’usage classique du « coup de théâtre «, tandis que Dorval préconise qu’on substitue ce dernier par le « tableau « au sens nouveau du terme. Il renverse ainsi l’esthétique traditionnelle, qui incite l’auteur à s’éloigner des mots qui symbolisent quelque chose, par la valorisation du tableau qui a l’intention de rapprocher visuellement le spectateur de cette chose, voire de devenir la chose même. Dorval est en totale opposition avec les règles classiques du théâtre, et au contraire il prône un théâtre vivant. Diderot préfère de loin le « tableau « « au coup de théâtre « qui est à la base du théâtre classique, reprochant à ce dernier son aspect arbitraire, forcé, invraisemblable, qui s’éloigne de l’idéal de vérité et de naturel auquel il aspire dans l’art. Il admire pour cela la simplicité du théâtre grec dans le sens où ce modèle antique vise à réformer la société en faisant du théâtre un modèle idéal.

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