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dissertation poésie

Publié le 07/01/2011

Extrait du document

En prenant la défense du recueil de poèmes Les Fleurs du Mal de Baudelaire lors du procès de ce dernier, Maître Chaix d'Est Ange déclarait : "Vous comprendrez maintenant, Messieurs, le danger de juger une œuvre entière, une œuvre d'ensemble, sur quelques pièces isolées, sur quelques vers détachés, sur quelques expressions prises çà et là et habilement rapprochées."

La démarche qui consiste, comme vous l'avez fait cette année, à étudier un recueil de poésie dans son entier favorise-t-elle une meilleure compréhension de l'œuvre ?  

UN TRAITEMENT POSSIBLE DU SUJET

A) ANALYSE DU SUJET

1 - Comprendre le CONTEXTE

  • En 1857, Charles Baudelaire va être condamné à payer une amende et à retirer des poèmes de son édition des Fleurs du Mal. Les éditions suivantes appelleront d'ailleurs ces poèmes, les "pièces condamnées". La raison de cette condamnation est essentiellement morale : on reproche à Baudelaire d'avoir écrit des textes qui offensent la morale publique. Les pièces condamnées seront ainsi liées pour la plupart à des thèmes érotiques, voire sexuels. En fait, c'est la mentalité bourgeoise qui réagit ici violemment, celle qui condamne, la même année, Flaubert pour Madame Bovary, et qui condamnera quelques années plus tard le caractère vulgaire du naturalisme. On accepte mal que la poésie aborde des sujets autres que l'amour, la beauté, la nature...et se plonge plutôt dans le mal, le vice, l'ennui, l'érotisme, etc. 

  • Pour les candidats sans doute nombreux qui ne connaissent rien au contexte, n'ayant pas étudié Les Fleurs du mal, pas d'inquiétude ! On peut très bien comprendre le sujet sans connaître le déroulement du procès de Baudelaire. Dans ce cas, il faudra bien analyser les termes employés. 

2 - La compréhension du sujet

  • La citation de l'avocat : l'argument de l'avocat de la défense qui est ici cité vient vraisemblablement, à titre de conclusion : "vous comprendrez maintenant", suppose qu'il vient de faire une démonstration. Le travail du candidat consistera à comprendre de quelle démonstration il s'agit. La phrase repose sur une opposition :    - "œuvre entière, œuvre d'ensemble" : ceci fait référence à la structure d'ensemble du recueil étudié, au choix des parties ou sections, de leur titre, au choix de l'enchaînement des poèmes, au choix de certains textes en ouverture ou en conclusion, etc.    - "quelques pièces isolées, quelques vers détachés, quelques expressions prises çà et là" : les expressions sont ici faciles à comprendre, il s'agit des poèmes ("pièces"), des vers ou, plus court encore, des expressions. Il faudrait remarquer qu'on part effectivement du plus large (le poème) pour arriver au plus bref (le mot ou l'expression). L'avocat oppose ainsi deux types de lecture : celle qui consiste à cueillir au hasard des textes ou des expressions, celle qui consiste au contraire à lire l'œuvre in extenso, c'est-à-dire en entier et en continu. Bien sûr, lui préfère la lecture intégrale...Nous expliquerons pourquoi. 

  • la consigne donnée au candidat : sans doute est-elle aussi importante que la citation de l'avocat, puisqu'elle la reformule en partie : "lire un recueil de poésie dans son entier". Elle invite surtout à parler de la réaction personnelle du candidat : sa "meilleure compréhension de l'œuvre". Il s'agit donc de réfléchir sur votre propre apprentissage de la lecture de la poésie. Souvent vous n'avez étudié que des poèmes isolés. Le fait d'en avoir étudié un ensemble complet vous a-t-il permis de mieux lire la poésie ? Ainsi, ceux qui n'auront pas travaillé sur Baudelaire, pourront aussi répondre à cette question qui touche à la sensibilité. 

B) PROBLEMATIQUE ET PROPOSITION DU PLAN GENERAL

  • Problématique : il s'agit de vous demander ce qu'apporte ou n'apporte pas la lecture de poèmes isolés ; ce qu'apporte ou n'apporte pas la lecture d'une œuvre dans son intégralité. En d'autres termes : quelle lecture est la meilleure, existe-t-il une LECTURE IDEALE pour un recueil poétique ?

  • Partant de là, les 3 parties s'imposent assez naturellement : 

  1. La lecture qui vagabonde, celle qui cherche une pièce, un vers, une expression : son intérêt et ses dangers. 

  2. La lecture de l'œuvre intégrale : ses difficultés, son intérêt. 

  3. Une autre forme de lecture, à inventer...

C) PLAN DETAILLE

REMARQUE IMPORTANTE : le corrigé proposé va s'appuyer sur Les Fleurs du mal de Baudelaire, le sujet y faisant référence, et beaucoup d'élèves sans doute ayant travaillé sur ce recueil durant l'année. Il est évident cependant que TOUS les recueils étudiés peuvent être utilisés dans le plan proposé : pas d'inquiétude pour ceux qui ont étudié du Verlaine, du Rimbaud, du Eluard ou même du Ponge...

I   La lecture vagabonde

1 - Lecture la plus simple, naturelle et évidente

La première réaction lorsqu'on aborde un recueil poétique est précisément de cueillir, au hasard de la table des matières, des poèmes, selon leur titre. Tel lecteur sera attiré par des titres provocateurs : "Le Vampire", "La Charogne". Tel autre sera attiré par des titres plus mystérieux auxquels il ne comprend rien : "Moesta et errabunda", "De Profundis clamavi", "L'Héautontimérouménos". Tel autre enfin sera attiré par des thèmes : "La Musique", "A une passante", "La Chevelure".

Le lecteur a aussi le droit de se promener au hasard des pages et de cueillir à l'intérieur d'un poème, un seul vers, une seule strophe. Si on est honnête, on ne peut que reconnaître que les poèmes trop longs découragent souvent et que, dans leur cas, on lit souvent le début...avant de passer à un autre.

Le mot "recueil" fait d'ailleurs allusion au fait de cueillir, de recueillir, de lier ensemble les pages isolées...

2 - Le danger d'une telle lecture 

C'est ce que dénonce l'avocat de Baudelaire... Pourquoi ? Une telle lecture est tellement libre qu'elle peut mener à une fausse interprétation de l'œuvre et donc à un contresens par rapport à ce qu'a voulu l'auteur. Ainsi, on va "juger" alors qu'on n'a pas vraiment lu dans la totalité ou dans la continuité. Dans le cas de Baudelaire, on peut lui reprocher d'écrire des poèmes sur les lesbiennes, sur Satan, sur un cadavre en décomposition, sur une jeune fille décapitée, sur l'alcoolisme ou les vertus de l'opium. On pourra ainsi en déduire que ce poète est malsain, sadique ou masochiste selon les cas, cruel, morbide, provocateur, etc. Nombreux sont d'ailleurs les élèves qui, lisant des poèmes au hasard, disent de ces poètes de la deuxième moitié du siècle, qu'ils sont malsains, un peu "fous", peu fréquentables...

Remarque : pour ceux qui auront étudié un recueil de Hugo comme Les Châtiments par exemple, la démonstration vaut aussi. Hugo, pris au hasard, peut donner simplement l'impression d'un poète critique, uniquement satirique et négatif...Or, la lecture de l'ensemble montre tout autre chose : une foi dans le genre humain, un message d'espoir.

Transition : la lecture vagabonde, si elle est plus naturelle, semble donc inadaptée à la bonne et complète compréhension de l'œuvre. Il s'agit donc de lire aussi en intégralité et en continu...

II   La lecture de l'œuvre dans sa totalité et en continu

1 - La difficulté d'une telle lecture

Elle n'est pas naturelle, pour la bonne raison qu'un recueil ne raconte pas une histoire, comme un roman ou une pièce de théâtre. Le lecteur est donc tenté de sauter des pages, et ne comprend pas toujours le lien entre les poèmes. Chaque texte semble d'ailleurs raconter une histoire isolée.

Cette lecture dans la continuité exige donc un effort réel de concentration, de rapprochements. On comprend mieux "La Cloche fêlée" quand on sait qu'elle est en ouverture de plusieurs poèmes intitulés "Spleen". En effet le poème lance le thème du spleen qui sera ensuite développé.

2 - La nécessité d'une telle lecture

Une telle lecture est pourtant indispensable car elle permet de mieux comprendre les intentions du poète. Baudelaire, dans Les Fleurs du mal, dit avoir voulu faire une œuvre morale et demande qu'on la lise DANS SON ENSEMBLE pour comprendre. La structure du recueil est en effet essentielle. 

Le poète constate d'abord qu'il est déchiré entre deux aspirations contraires (le spleen et l'idéal). Il en déduit qu'il doit chercher des divertissements à ce déchirement, pour moins souffrir. Ce sont les 4 sections suivantes : "Les Tableaux parisiens" qui évoquent les rencontres dans la ville, "Le Vin" qui fait allusion à tous les paradis artificiels, "Les Fleurs du mal" qui représentent les femmes, enfin la "Révolte" contre Dieu. Or, toutes ces solutions étant vouées à l'échec, il se tourne finalement vers "La Mort", titre de la dernière section. La structure globale du livre est donc claire : les poèmes provocateurs ne sont qu'un passage, qui de plus mène à l'échec...

De même, le premier poème du recueil, "Bénédiction", montre que le poète, dès sa naissance est maudit par sa propre mère...Il n'est donc pas responsable de ce mal dans lequel il tombe pour oublier sa douleur de vivre.

Transition : ainsi, la lecture globale de l'œuvre permet de mieux la comprendre, surtout de mieux la juger. Est-elle pour autant la lecture idéale ? Ne revient-il pas à chacun de choisir son approche personnelle ?

III   La lecture idéale

1 - Le travail du poète

Tout dépendra de l'exemple étudié. Certains livres sont des florilèges, des recueils dont l'unité et la construction sont plus ou moins aléatoires, d'autres sont des livres d'une grande cohérence et exigent qu'on les lise d'un bout à l'autre comme un récit.

Cependant très souvent, le poète écrit d'abord des poèmes isolés, ensuite seulement il les réunit en un recueil. Les exemples sont nombreux : Baudelaire a proposé plusieurs éditions des Fleurs du mal, remaniant sans cesse leur structure d'ensemble. Les pièces condamnées n'ont été officiellement replacées dans le recueil qu'en 1946, le recueil étant jusque là proposé aux lecteurs dans une édition amputée... 

Par ailleurs, on ne sait pas encore comment Rimbaud aurait vraiment voulu que soient ordonnées ses poésies : Une saison en enfer a-t-elle été écrite avant ou après les Illuminations ? Rares sont les auteurs qui pensent à la structure avant l'écriture ou en même temps : on peut citer Hugo, qui, dans Les Châtiments, va de "Nox" (la nuit) à "Lux" (la lumière), laissant deviner ainsi une progression du malheur vers l'espoir.  Ces hésitations du poète devant la structure de son œuvre invitent donc à être prudent devant l'importance à accorder à l'ensemble de l'œuvre.

2 - La lecture : une aventure personnelle et subjective

En fait, il revient à chacun d'entre nous de nous approprier l'œuvre comme nous l'entendons. Il s'agit de trouver un équilibre entre une lecture trop myope qui se contenterait de survoler les poèmes, et une lecture trop laborieuse qui déciderait de passer au suivant uniquement après avoir lu le précédent ! La lecture de poésie est sans doute la plus libre de toutes. Ce qui est certain c'est que plus on lit de poésie, et mieux on comprend... En ce sens la lecture d'un recueil entier a permis aux élèves de se familiariser avec ce genre, souvent réputé difficile.

Conclusion

  • Il faut d'abord répondre à la problématique posée : existe-t-il une lecture idéale ? On pourrait dire qu'il existe deux lectures indispensables et qui se complètent : une lecture pour le plaisir, qui cueille au hasard des mots, des citations (que l'on recopie sur des classeurs...), une lecture plus synthétique, pour la compréhension, qui creuse et relie les différents poèmes entre eux. La lecture idéale reste un intermédiaire entre les deux. 

  • On peut rappeler que l'essentiel reste d'être ouvert, réceptif. Baudelaire commence son recueil par ces mots : "hypocrite lecteur, mon semblable, mon frère" , il le termine par : "lis-moi; pour apprendre à m'aimer !" Au seuil de son recueil comme à sa fermeture, il en appelle à l'amour, la fraternité...et la lecture. Lisons les poètes et nous les aimerons ! 

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