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On dit souvent pour expliquer, ou même excuser, un comportement humain : c'est naturel Quel est le sens de cette expression Que faut-il en penser

Publié le 20/03/2004

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«C'est naturel«, autrement dit : c'est normal, mais en un sens nouveau : c'est conforme àce qui doit être, à une règle qu'on tient pour bonne, c'est comme il est bien ou juste que ce soit.

■ Par exemple, trouver naturel qu'une mère s'occupe d'une certaine façon, jugée convenable, de ses enfants, revient à approuver sa conduite sur le plan moral. Et inversement, celui qui parle de parents «dénaturés« les accuse ou les condamne : il ne se contente nullement de trouver leur comportement inhabituel. C'est encore plus net dans l'expression : une conduite «contre nature«, qui, note Lalande, «est une expression énergique de réprobation morale« à l'égard de manières d'agir qu'on estime, à tort ou à raison, non seulement peu fréquentes mais mauvaises, choquantes, voire monstrueuses.

■ Mais pourquoi utilise-t-on précisément le mot «naturel« et non un autre mot pour exprimer ces idées ? Pourquoi dire «c'est naturel« plutôt que «c'est normal«, par exemple ? Que faut-il penser de la présence ici du concept de «nature?« 2. C'est compréhensible, excusable a) Des conduites qui dépendraient de notre nature

■ Ce qu'on dit être «naturel«, ce n'est pas seulement qu'une femme, par exemple, désire avoir des enfants ou qu'une mère aime ceux qu'elle a mis au 'monde. Le mot «c'est naturel« s'appliquera non seulement aux conduites «normales« de ces personnes, mais aussi à certaines manières d'agir, même «anormales« (aux deux sens du mot), lorsque celle-ci paraîtront clairement explicables par leur «nature« même.

On pense pouvoir expliquer et excuser un comportement en le disant naturel. Est-ce que cela est possible, judicieux, pertinent, valable? Le caractère naturel, c'est-à-dire spontané ou prévisible, d'un geste suffit-il à l'expliquer et à l'excuser? Notons que cette question vaut surtout pour les actes répréhensibles.

« ses conduites.

L'idée d'une conscience qui travaillé à le libérer des déterminismes qui peuvent peser sur elle estremplacée par l'idée d'un destin dont on prétend constater qu'il explique et excuse les comportements.

Cette femmen'avait pas le choix.

Elle a fait «naturellement» ce que sa «nature» rendait nécessaire ou fatal.

Mais est-il légitimede parler ici de «nature» ?c) La nature : une coutume ? «Les pères, écrit Pascal, craignent que l'amour naturel des enfants nes'efface.

Quelle est donc cette nature, sujette à être effacée ?La coutumeest une seconde nature, qui détruit la première» (Pensées, n° 93 de l'éd.Brunschvicg, Hachette).

Nous sommes peut-être dans l'illusion lorsque nousdisons «c'est naturel» et pensons : telle est la nature de l'homme (ou de telhomme).

Nous connaissons alors ce qui, en nous, résulte d'une éducation.Nous prenons pour attitude innée ce qui est le fruit d'un apprentissage, pourinstinctif ce qui est acquis.

«Mais qu'est-ce que nature ?» interroge encore Pascal.

Antérieure à touteéducation, à toute habitude, n'y aurait-il pas une nature humaine authentique? «J'ai grand peur, répond Pascal, que cette nature ne soit elle-même «qu'une première coutume comme la coutume est une seconde nature» (ibid.).Nous n'avons jamais accès aune nature antérieure à toute éducation, nousrencontrons toujours des êtres dont la «nature» est travaillée par une culture,modelée par un milieu familial, transformée par des données culturelles.

Bergson souligne que tout ce qui est habituel en l'homme finit par semblernaturel.

Ainsi, dit-il, lorsqu'une hiérarchie sociale est durablement établie (parexemple entre les sexes), elle paraît congénitale : «Il faut bien qu'il y aitsupériorité innée, se dit-on, puisqu'il y a privilèges héréditaires» (Les deuxsources de la morale et de la religion, 1932, p.

71 ).En effet, un impératif qui, dans une société donnée, «s'adresse à tout le monde, se présente un peu à nous comme une loi de la nature» et « une infraction à l'ordre social revêt ainsi uncaractère anti-naturel : même si elle est fréquemment répétée, elle nous fait l'effet d'une exception qui serait à lasociété ce qu'un monstre est à la nature».

Mais ce ne sont là que des apparences.

Ce qui semble naturel, en fait nel'est pas, mais est d'origine sociale.

A-t-on toujours raison de dire qu'il est «naturel» qu'une mère aime ses enfants, s'il existe une histoire de ce qu'oncroyait un instinct ? «A parcourir l'histoire des attitudes maternelles, naît la conviction que l'instinct maternel est unmythe.

Nous n'avons rencontré aucune conduite universelle et nécessaire de la mère.

Au contraire, nous avonsconstaté l'extrême variabilité de ses sentiments, selon sa culture, ses ambitions ou ses frustrations.

Comment, dèslors, ne pas arriver à la conclusion, même si elle s'avère cruelle, que l'amour maternel n'est qu'un sentiment et,comme tel, essentiellement contingent.

Ce sentiment peut exister ou ne pas exister ; être et disparaître.

Se révélerfort ou fragile.

Tout dépend de la mère, de son histoire et de l'Histoire.

Non, il n'y a pas de loi universelle en cettematière qui échappe au déterminisme naturel.

L'amour maternel ne va pas de soi.

Il est «en plus» (E.

Badinter,L'amour en plus, Flammarion, 1989, p.

369). Conclusion L'expression ; «c'est naturel» paraît donc lourde de conséquences philosophiques.

Cette formule que nousprononçons sans plus d'attention peut impliquer des thèses sur la valeur desquelles il faut s'interroger, en particulierdans la mesure où l'explication qu'elles avancent de certaines de nos conduites débouche sur l'affirmation dedéterminismes naturels qui contestent implicitement l'idée et l'idéal d'une existence libre.. »

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