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Doit-on voir en l'oubli l'échec de la mémoire ? (Pistes de réflexion seulement)

Publié le 24/03/2004

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? * On peut se demander s'il n'est pas nécessaire d'oublier (de ne pas « retenir » ou de ne pas « se souvenir ») de tout à tout moment. Cf. à cet égard, les réflexions de Bergson. * Prendre en compte (sur un certain plan et selon un certain plan) les mises en garde de Nietzsche. Selon Nietzsche, la personnalité saine « agit » ses réactions, tandis que la personnalité décadente (et malheureuse pleine de fiel, de vengeance et de res-sentiment) ne sait pas littéralement ré-agir mais res-sent. L'explication de ce phénomène est à rechercher dans un trouble fondamental de la mémoire. Selon Nietzsche, l'équilibre psychique dépend de la coopération entre trois instances essentielles : - l'inconscient réactif, qui est la mémoire des traces (« appareil végétatif et ruminant ») ; - la conscience, qui permet l'adaptation de la réaction à l'excitation présente en « agissant » la réaction elle-même; - la faculté d'oubli, qui n'est pas une simple « force d'inertie » mais une force plastique, régénératrice et curative, grâce à laquelle les traces mnésiques de l'inconscient réactif sont repoussées en dehors du champ de la conscience. Autrement dit, selon Nietzsche, si l'individu est englué dans les traces mnésiques de sa mémoire réactive, il est livré au jeu des impressions sensibles et il se révèle incapable de vouloir. Alors la réalité n'est plus pour lui ce qui peut aiguillonner sa volonté mais ce qui torture sa sensibilité. Il ne ré-agit plus mais il ressent (dans le res-sentiment).

« Pour répondre à la question du sujet, il faut d'abord distinguer avec Bergson deux types de mémoire, même si ellessont toujours plus ou moins étroitement mêlées, d'un côté, la mémoire-souvenir, qui est le retour à la consciencedes événements, plus ou moins déformés, de notre passé, et de l'autre, la mémoire-habitude, qui représenteessentiellement les aptitudes à acquérir et à conserver un savoir. § 2.

L'oubli des souvenirs et la mémoire involontaire Il est banal de constater que la mémoire-souvenir a chez tout homme ses échecs, ses manques, ses altérations.

Ilest donc une forme de l'oubli, la plus courante, qui est une gêne permanente et qui consiste dans l'incapacité oùnous sommes très souvent de rappeler tel ou tel moment de notre passé au moment même où nous en aurionsbesoin.

En ce sens, l'oubli est négatif et il représente en quelque sorte le contraire de la mémoire.

Plus grave encore: l'oubli porte sur le souvenir évoqué lui-même, qui est dégradé, schématisé, simplifié.

Nous oublions beaucoup etnous nous souvenons mal, comme le montre la psychologie du témoignage, en particulier dans les enquêtesjudiciaires.

Et, même pour le passé qui nous a touché personnellement, le souvenir a perdu sa nuance propre, sacoloration, son ton affectif : notre intérêt a changé.C'est ce que Proust nomme le temps perdu.

Quant à ce qu'il nomme le temps retrouvé, ses minutieuses descriptions,selon lesquelles nos sensations les moins représentatives seraient les véhicules favorables de ce retour intégral dupassé qui nous affranchirait du temps, ne concernent au mieux que de rares expériences, qui sont le fait du hasard.L'oubli est la règle, et peut-être est-il heureux que la conscience soit sélective, qu'elle ne retienne que ce qui aintérêt pour nous dans le présent et qu'elle oublie ensuite très vite ce qui n'en a plus, car, comme dit W.

James, «sesouvenir de tout serait, en bien des circonstances, aussi fâcheux que ne se souvenir de rien ; il faudrait, pour nousrappeler une portion déterminée de notre passé, exactement le temps qu'il a fallu pour le vivre, et nous ne viendronsjamais à bout de penser ».

La mémoire totale serait donc un obstacle invincible de notre vie, elle pèserait sur nousde tout son poids, à la manière de ces souvenirs obsédants qui parfois encombrent notre existence.

De ce point devue, l'oubli peut avoir un rôle bienfaisant, mais il reste qu'il est indépendant de notre volonté et que dans bien descas nous le déplorons.

Encore est-il que nous pouvons soutenir et étayer nos souvenirs par le recours à ce queHalbwachs a appelé les cadres sociaux de la mémoire.

Chacun de nous est constamment invité à mettre sabiographie à jour, et notre temps individuel, que nous conservons en le rappelant à notre entourage, s'inscrit dans letemps commun du calendrier, des commémorations et des grands événements de l'histoire. § 3.

L'oubli volontaire et l'acquisition des différentes formes du savoir Si l'oubli a donc surtout une fonction négative dans la mémoire-souvenir, spontanée et contemplatrice de notrepassé, on peut se demander si ceux qui se plaignent de ne rien pouvoir apprendre ne manquent pas tant de mémoireque de méthode et si, dans ce domaine, l'oubli n'a pas une fonction positive.

L'acquisition des connaissances et dusavoir dans le moment de leur assimilation demande une organisation systématique.

L'on a affaire alors à unemémoire intelligente et volontaire, car apprendre, c'est faire un choix, retenir l'important, laisser tomber l'insignifiantet l'art d'oublier est partie intégrante de l'art d'apprendre.

Il s'agit d'une mnémotechnique, mais non de cettemnémotechnique publicitaire, qui, si elle permet de réaliser des prouesses de salon, ne développe que l'automatismede la mémoire brutale, au détriment de l'intelligence et du jugement, mais d'une mnémotechnique rationnelle. C'est ce que montre Bergson dans L'effort intellectuel.

L'organisation méthodiquedes connaissances, grâce à une analyse préalable qui en saisit les articulationset les enchaînements, aboutit à une totalité qui se ramasse dans l'unitésynthétique et économique d'un schéma dynamique, qui contient potentiellementtous les éléments qui l'ont formé et dont la propriété est de les retrouver, àpoint nommé, en vertu de son dynamisme propre.

La volonté s'appuie ici surl'intelligence, faculté de mise en rapport.

L'intelligence analyse, classe, assimileselon les exigences logiques de principe à conséquence, de cause à effet, de finà moyen, etc.

Il y a une parenté profonde entre comprendre et apprendre.

La loifondamentale de la mémorisation est qu'un élément, s'il est isolé, se perd et qu'ilne se fixe dans notre mémoire que s'il est rattaché à l'ensemble de ce que nousportons déjà en nous.

Mémoriser, c'est éviter de toucher à tout, c'est laisservolontairement de côté tout ce qui ne peut s'intégrer à un réseau deconnaissances déjà organisé, qui constitue notre personnalité dans ce qu'elle ade cohérent.

Ainsi oublier et se souvenir sont les deux faces complémentaires dutravail de l'esprit.

La répétition elle-même est sans efficacité si elle n'est pasréfléchie et si l'attention ne s'y concentre sur ce qui doit être conservé.

Commele dit saint Thomas, «il importe de méditer fréquemment ce que nous voulonsrappeler ».

Dans une grande mesure, tout homme a la mémoire qu'il mérite.. »

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