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L'efficacité persuasive du genre de l'apologue

Publié le 14/02/2011

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apologue

INTRODUCTION

 

-        Thème du devoir : 

     Définition et formes de l’apologue; succès et pérennité d’un genre : des fables de la Fontaine avec leur message moral au récit de SF du XX° siècle avec son message anti-scientifique et anti-utopique, en passant par le conte philosophique des Lumières.

 

-         Problématique (annonce de la thèse nuancée qui va être défendue et du plan) : 

     D’où la question : pourquoi ce succès ? La citation de La Fontaine suggère une réponse :   l’aspect divertissant de l’histoire (\"C'est proprement un charme\"); l’efficacité persuasive (l'auteur peut mener \"à son gré les coeurs et les esprits\"). A ces avantages on pourrait d'ailleurs en ajouter quelques autres, qui donneront raison à La Fontaine. 

     Mais le genre de l'apologue a les revers de ses qualités : argumentation par essence masquée, elle peut facilement échapper au lecteur insuffisamment averti qui n'y verra qu'un récit superficiel et enfantin; on pourra aussi lui reprocher d'agir par des moyens détournés qui reviennent à manipuler le lecteur : La fontaine ne dit-il pas lui-même : \"il rend l'âme attentive / Ou plutôt, il la rend captive\"?

 

 

 

1° AXE : LES AVANTAGES DE L'APOLOGUE.

 

1)      l’avantage de la brièveté

 

Argument : L’apologue donne la possibilité d’exprimer des idées souvent complexes sous une forme d’une extrême simplicité et d’une extrême concision ; facilité d’accès, évite l’ennui, permet de toucher un vaste public.

 

Exemples :

-     exemple classique de la fable animalière (La Fontaine)

-         la richesse de signification d’un texte de quelques lignes comme « Petite digression »

-         un autre exemple voltairien : la parabole des rats et du navire dans le dernier chapitre de Candide

 

2)      l’aspect divertissant de l’histoire

 

Argument : on persuade mieux le lecteur en l’amusant, en l’intéressant à une histoire pleine de rebondissements, qu’en lui tenant des discours sérieux . C’est la thèse défendue par La Fontaine dans sa fable : « Le pouvoir des fables ».

 

 Exemples :

 - le charme de Candide dû à la rapidité de l’histoire, à l’accumulation des péripéties, et à l’ironie constante du récit, met les rieurs du côté de l’auteur.

- de même, le comique d’un film comme Les Temps modernes

- de façon générale, les auteurs d'apologues savent toucher un large public en empruntant aux genres populaires à la mode ( le récit de SF au XX° siècle - Huxley, Orwell -; le récit de voyage imaginaire dans Les Voyages de Gulliver de Jonathan Swift, le conte populaire dans Gargantua de Rabelais, etc...)

 

3)      la force de persuasion de l’histoire

 

Argument : l’apologue permet d’incarner des idées politiques, des attitudes morales ou des choix philosophiques dans des personnages (sympathiques ou antipathiques) et des situations qui marquent le lecteur

 

Exemple : la polémique Voltairienne contre la religion, les jésuites, l’explication providentielle du monde dans Candide : Voltaire emporte facilement l’adhésion en caricaturant le point de vue chrétien sous les traits ridicules de Pangloss ou du frère de Cunégonde ; les situations catastrophiques qu’il accumule convainquent sans peine le lecteur que le monde est un chaos.

 

4)      l’effet protecteur de l’argumentation allusive.

 

          Argument : l’apologue permet d’éviter la formulation explicite de la thèse soutenue. Lorsque le caractère subversif de cette thèse pourrait mettre en danger l’auteur du texte, cette particularité peut être salutaire. Par ailleurs, elle permet d’éviter l’effet parfois rebutant pour le lecteur effarouché et à demi-convaincu d’un discours trop violent ou d’une dénonciation trop précise. Condorcet – dans l’extrait de son essai : « Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain » - souligne le talent des philosophes : « couvrant la vérité d’un voile qui ménageait les yeux trop faibles, et laissait le plaisir de la deviner ».

 

        Exemples :

 -         les attaques de Cyrano de Bergerac contre la monarchie dans « Les empires de la lune et du Soleil » passent plus facilement parce qu’elles se situent dans un décor de conte carnavalesque ou de SF

-         Petite Digression : Les attaques contre le pouvoir (le Petit Conseil = le gouvernement, le conseil des ministres, le \"Petit Conseil\" de Genève) sont masquées par la fiction de l’hospice des quinze-vingts.

-         Les attaques d’Orwell contre le système soviétique étaient moins choquantes en 1947 pour un homme de gauche sous le masque des animaux de la ferme etc…

-    le discours anti-moderniste de Huxley contre le fordisme, la génétique, la libération sexuelle choque moins certaines sensibilités sous la forme indirecte du Meilleur du monde que s’il avait écrit un pamphlet avec les mêmes thèses

 

5)      Le plaisir de deviner.

 

Argument : l’apologue instaure entre l’auteur et le lecteur un jeu de complicité qui en fait aussi le succès. Condorcet le souligne quand il note dans la phrase citée plus haut : « et laissait le plaisir de la deviner ».

 

 Exemples :

 -         le fonctionnement allégorique de récits comme Gargantua , Gulliver ou la ferme des animaux, mettant en scène sous des masques des personnages politiques connus : Charles Quint, François Ier ; Horace Walpole, Georges 1er ; Staline, Trotsky … est pour le lecteur informé un attrait supplémentaire.

-         De même dans Candide, les allusions à Frédéric II de Prusse (le château de Sans-Souci, qui n’a qu’une porte et des fenêtres), à la guerre de 7 ans…

 

 

 

2° AXE : LES RISQUES DE L'APOLOGUE.

 

 

1) Un risque d'incompréhension :

 

Argument : Nous avons noté comme un avantage le plaisir de deviner : l'apologue exige une certaine communauté de culture, une certaine complicité entre l'auteur et le lecteur. Mais cette communauté de culture n'existe pas nécessairement.

 

Exemples : 

- Ainsi, on peut parfaitement lire \"La ferme des animaux\" d'Orwell, sans comprendre qu'il y a là une réflexion sur le destin de l'idée communiste dans la première moitié du XX° siècle, à partir de l'expérience de la révolution russe. 

- On peut même faire de véritables contre-sens : par exemple, croire que Voltaire dans Candide critique les Philosophes des Lumières sous prétexte que Pangloss y apparaît comme le type du Philosophe. 

     De telles erreurs ou insuffisances de lecture, dues à une connaissance déficiente du contexte sont fréquentes dans l'apologue et en partie inévitables dès lors que le discours de l'auteur est un discours codé. La Fontaine lui-même insiste dans la Préface de 1668 de ses Fables pour que le lecteur n'y voie pas des \"badineries\", \"car dans le fond elles portent un sens très solide\". Preuve que le grand fabuliste craignait une mécompréhension du sens profond de son oeuvre.

 

 

 

 2) Un risque de manipulation :

 

Argument : En prenant l'exemple de Candide, nous avons montré l'efficacité persuasive de l'apologue : simplification des idées, incarnation de l'idée adverse sous forme de personnages caricaturaux, choix de situations puissamment symboliques. Mais cette façon de convaincre respecte-t-elle toujours la liberté de penser du lecteur? s'adresse-t-elle toujours à son intelligence? n'a-t-elle pas trop tendance à jouer sur des oppositions manichéennes entre les bons et les méchants?

 

Par exemple : quand on voit le film « Mission », qui inverse complètement la problématique politique et religieuse concernant certains événements historiques évoqués par Voltaire (les missions jésuites du Paraguay), on est tout aussi convaincu qu'à la lecture de Candide. Preuve de la force de conviction d’une histoire : les jésuites sont incarnés dans des personnages sympathiques, les missions jésuites deviennent un Eldorado. Il suffit que l'histoire soit racontée autrement et le lecteur ou le spectateur change sa façon de voir : n'a-t-il pas été manipulé? Par l'un et l'autre auteurs ?

 

 

 

CONCLUSION

 

 L’apologue est une arme efficace dans le combat idéologique . Cette particularité explique sans doute la permanence du genre, et son renouvellement. Mais il faut en reconnaître les limites, les dangers, et savoir en tenir compte, en tant qu'auteur, en tant que lecteur.

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