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Émotion produite par la mort soudaine d'Henriette d'Angleterre (1670). BOSSUET

Publié le 13/06/2011

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angleterre

Bossuet avait prononcé, le 16 novembre 1669, l'oraison funèbre d'Henriette de France, reine d'Angleterre; moins de dix mois après, le 21 août 167o, il rendait le même devoir à Henriette d'Angleterre, sa fille, duchesse d'Orléans. — Cette princesse était morte presque subitement, à Saint-Cloud, âgée de vingt-sept ans, au moment où elle était, par sa grâce et par son intelligence, la véritable reine de la cour. Bossuet, avec un sens très pénétrant de l'actualité, et de l'exemple qu'on pouvait en tirer pour la conversion des grands, insiste sur la soudaineté de cette catastrophe. Il en profite pour engager ses auditeurs à ne pas différer leur conversion, puisque la mort frappe sans les avertir ceux qui ne se croyaient pas exposés à ses coups.

Analyse. — Bossuet prend pour texte ces mots de l'Ecclésiaste : Vanité des vanités, tout n'est que vanité, et il divise son discours en deux parties; — Dans la première, il montre ce qu'une mort soudaine a ravi à Madame; beauté, jeunesse, esprit, tout lui a été enlevé. — Dans la deuxième partie, il examine ce qu'une sainte mort a donné à Madame, à savoir, le salut éternel en échange des vanités de la terre. Le mérite original de cette Oraison funèbre est dans l'émotion sincère éprouvée par Bossuet, qui connaissait et admirait Henriette, et qui a été frappé par sa mort imprévue.

Considérez, Messieurs, ces grande; puissances que nous regardons de si bas; pendant que nous tremblons sous leur main, Dieu les frappe pour nous avertir. Leur élévation en est la cause, et il les épargne si peu qu'il ne craint pas de les sacrifier à l'instruction du reste des hommes. Chrétiens, ne murmurez pas si Madame a été choisie pour nous donner une telle instruction : il n'y a rien ici de rude pour elle, puisque, comme vous le verrez dans la suite, Dieu la sauve par le même coup qui nous instruit. Nous devrions être assez convaincus de notre néant : mais s'il faut des coups de surprise à nos coeurs enchantés de l'amour du monde, celui-ci est assez grand et assez terrible. O nuit désastreuse! ô nuit effroyable! où retentit tout à coup, comme un éclat de tonnerre, cette étonnante nouvelle : Madame se meurt! Madame est morte ! Qui de nous ne se sentit frappé à ce coup, comme si quelque tragique accident avait désolé sa famille? Au premier bruit d'un mal si étrange, on accourut à Saint-Cloud de toutes parts; on trouve tout consterné, excepté le coeur de cette princesse : partout on entend des cris; partout on voit la douleur et le désespoir, et l'image de la mort. Le roi, la reine, Monsieur, toute la cour, tout le peuple, tout est abattu, tout est désespéré; et il me semble que je vois l'accomplissement de cette parole du Prophète : « Le roi pleurera, le prince sera désolé, et les mains tomberont au peuple de douleur et d'étonnement . « Mais les princes et les peuples gémissaient en vain ; en vain Monsieur, en vain le roi même tenait Madame serrée par de si étroits embrassements. Alors ils pouvaient dire l'un et l'autre, avec saint Ambroise : Stringebam brachia, sed jam amiseram quam tenebam : « Je serrais les bras, mais j'avais déjà perdu ce que je tenais. « La princesse leur échappait parmi des embrassements si tendres, et la mort plus puissante nous l'enlevait entre ces royales mains. Quoi donc! elle devait périr si tôt ! Dans la plupart des hommes, les changements se font peu à peu, et la mort les prépare ordinairement à son dernier coup; Madame cependant a passé du matin au soir, ainsi que l'herbe des champs ; le matin elle fleurissait, avec quelles grâces! vous le savez : le soir nous la vîmes séchée ; et ces fortes expressions par lesquelles l'Écriture sainte exagère l'inconstance des choses humaines devaient être pour cette princesse si précises et si littérales! ... La voilà, malgré ce grand cœur, cette princesse si admirable et si chérie! la voilà telle que la mort nous l'a faite. Encore, ce reste tel quel, va-t-il disparaître; cette ombre de gloire va s'évanouir, et nous l'allons voir dépouillée même de cette triste décoration. Elle va descendre à ces sombres lieux, à ces demeures souterraines, pour y dormir dans la poussière avec les grands de la terre, comme parle Job, avec ces rois et ces princes anéantis, parmi lesquels à peine peut-on la placer, tant les rangs y sont pressés, tant la mort est prompte à remplir ces places ! Mais ici notre imagination nous abuse encore; la mort ne nous laisse pas assez de corps pour occuper quelque place, et on ne voit là que les tombeaux qui fassent quelque figure. Notre chair change bientôt de nature, notre corps prend un autre nom; même celui du cadavre, dit Tertullien, parce qu'il nous montre encore quelque forme humaine, ne lui demeure pas longtemps; il devient un je ne sais quoi qui n'a plus de nom dans aucune langue : tant il est vrai que tout meurt en lui, jusqu'à ces termes funèbres par lesquels on exprimait ses malheureux restes !

Oraison funèbre d'Henriette d'Angleterre (2e partie)

QUESTIONS D'EXAMEN

I. — L'ensemble; — le caractère général du morceau. — Un admirable récit de la mort d'Henriette d'Angleterre. — Quel vous parait être le caractère général de ce récit? (bien voir qu'il est plutôt lyrique que narratif); N'est-ce pas l'émotion qu'éprouve Bossuet lui-même qui donne au récit ce caractère? (dire par quoi est suscitée cette émotion); Montrez que la sensibilité inspire à l'orateur chrétien des mouvements d'une émouvante éloquence (indiquer quelques-uns de ces mouvements); Comprend-on que l'effet produit par les paroles de Bossuet ait été très grand sur l'auditoire, et que cet auditoire, à certains moments, ait éclaté en sanglots? Quelle impression vous laisse à vous-même la lecture de ce morceau? II. — L'analyse du morceau. — Distinguez les deux parties essentielles du morceau : a) La leçon donnée par la mort de Madame; b) Le récit de sa mort; Quels sont les différents points développés par l'orateur dans le récit de la mort? (a) La nouvelle de la mort foudroyante de Madame; - b) On accourt à Saint-Cloud; -- c) Madame a passé comme l'herbe des champs; — d) La voilà telle que la mort nous l'a faite; —e) L'oeuvre du temps; — terrible vision de la lente décomposition et de la disparition du cadavre); Faites remarquer ln gradation observée par l'auteur dans ce récit; L'oraison funèbre ne contient-elle pas toujours un enseignement? Quelle leçon Bossuet dégage-t-il de la mort de Madame? III. — Le style; — les expressions. — Le style de Bossuet n'est-il pas rapide, entraînant? (le montrer à l'aide de quelques passages bien choisis); N'est-il pas souvent rythmé, et pour ainsi dire musical? (indiquer quelques phrases où est marqué ce caractère); La langue de Bossuet ne se distingue-t-elle pas aussi par le mouvement et par l'abondance des images (relever quelques images; — montrer que Bossuet a l'imagination d'un poète); Son style n'est-il pas empreint, ici, d'une vive sensibilité? Quel est le mouvement d'éloquence qui nous donne l'impression exacte de la mort foudroyante de Madame? (quelle figure de style emploie ainsi Bossuet?) Indiquez le sens du mot littérales (expressions si littérales!). IV. — La grammaire. — Indiquez quelques mots de la même famille que émotion, — néant,— chair ; Distinguez les propositions contenues dans la première phrase du morceau (nature de chacune d'elles); Nature et fonction de chacun des mots suivants : que nous regardons de si bas. Rédaction. — Henriette d'Angleterre. — Sa naissance; son mariage; son rôle à la cour de Louis XIV ; sa mort.

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