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Enfermé comme un rat

Publié le 31/01/2011

Extrait du document

I

l n’y pouvait rien, vraiment rien. Tout était contre lui. Il avait beau ressasser dans sa tête rien ni personne ne viendrait à son secours. Il était pris au piège comme un rat. Ses mains tremblaient par l’effort surhumain, ses muscles étaient bandés au maximum en poussant sur la porte, mais rien n’y fit, elle ne bougea point. Il retomba en pleurs sur le plancher froid et rude.

Jean s’endormit d’épuisement comme une bête, à même le sol, sans couverture. Ses ronflements et gémissements pouvaient s’entendre à des mille à la ronde. Mais qui pouvait bien s’en préoccuper, personne, car d’où il était, le ciel étoilé était son seul compagnon.

Ses cauchemars ne pouvaient donc pas le laisser tranquille! Il n’y voyait que dalle. Sur son front suintait un mélange de sueur et de parfum malodorant prouvant le stress qu’il subissait. Il du sauter pour s’accrocher et monter la palissade qui se dressait devant lui. Ses muscles étaient en feu après cet effort. Heureusement sa jeunesse lui servait pour une fois et il ne l’aurait pas. Il sourit en pensant à la charogne dénommé Robert, cet homme abject jusqu’à la moelle, qui le pourchassait.

 

 

 

Il pensa à sa propre mort qui serait une libération pour tout le monde. Mais lui n’était pas vraiment pressé de mourir. Il jeta un coup d’œil, juste à temps pour voir apparaitre les chiens qui le pourchassaient, et qui se rivaient le museau à la barrière. Il se retourna brusquement dans son sommeil en gémissant de plus belle.

Pourquoi se sentait-il ainsi? Son cœur battait la chamade, tellement l’étau lui serait la poitrine. Jean comprit enfin qu’il ne pouvait en être autrement, car une balle lui avait transpercée le poumon droit, et là tout lui revint en mémoire. La course en auto, la poursuite à pied de ses assaillants qui voulaient le tuer et enfin la balle qui lui vrilla le corps .Il pensait bien y rester cette fois-ci, et comme toujours sa bonne étoile l’avait sauvée. Il se retourna dans son sommeil pour une deuxième fois. Le reste de la nuit se passa comme elle avait commencée. Des cauchemars l’assaillirent la nuit durant.

À son réveil, son corps était si endolori, comme s’il avait couché sur la corde raide. Tout son corps lui criait sa douleur, mais lui oublia tout, car son regard fut attiré par le filet de lumière qui perçait à travers les persiennes À son arrivée, il faisait un noir d’encre et maintenant le jour était là. Un espoir s’alluma dans son cœur. L’espoir de la dernière chance.  

 

 

Il mit tout en œuvre pour voir au travers des volets et tout ce qu’il vit ne fit rien pour le rassurer. La forêt à perte de vue. Son désespoir était palpable, tant il se sentait seul. Il remarqua dans un coin une assiette avec de la nourriture et une carafe d’eau. Son cœur ne fit qu’un bond. Il s’en voulut plus encore, parce que son instinct de survit était au point mort, parce qu’il n’eut conscience de leur venu. Ce qui lui fit dire qu’il vieillissait, et que bientôt son tour viendrait de passer l’arme à gauche. Jean mit des heures à analyser et pour saisir que plus rien n’avait de sens. Il ne comprenait pas pourquoi il était ici, il ne comprenait vraiment pas, car Robert, non pas Robert, ça ne se pouvait pas, pas lui. Il était mort dans une rixe à la sortie d’un bar il y a presque dix ans. Sa mort ne fut pas celle dont Bob rêvait. Mourir sans éclat comme si il n’avait pas vécu est plutôt une mort indigne pour une crapule comme lui. Non vraiment pas à sa hauteur.

Il trouva des détritus dans un coin et essaya de les décortiquer. Une tasse à café toute ébréchée qui ne lui disait rien. Des sacs ayant appartenue à un autre temps. Il n’en finirait donc jamais avec ce monde. Tout à coup son regard fut attiré par un journal qui trainait en dessous de choses diverses. Il réussit à l’extirper et l’ouvrit en son milieu. L’image qui lui apparut le jeta par terre. Il n’eut aucunement conscience que ses ravisseurs l’épiaient par un miroir sans tain, comme ceux qu’on retrouve dans un poste de police et qui nous semble si inoffensif. Jean se dit qu’il délirait, qu’il rêvait, et qu’il était dans une rêverie tout éveillé. Le journal lui

 

tomba des mains quand la porte s’ouvrit et  vit le visage de l’homme. Son cœur s’arrêta et la balle partit droit au cœur.

 

« tramway, quatre heures de travail, repas, sommeil et lundi mardi mercredi jeudi vendredi et samedi sur le mêmerythme, cette route se suit aisément la plupart du temps.

Un jour seulement, le «pourquoi» s'élève et toutcommence dans cette lassitude teintée d'étonnement.

«Commence», ceci est important.» (Le Mythe de Sisyphe, Gallimard, coll.

Folio/Essais, p.

29.) 2 Si donc un accident, voire un incident minime, est la cause de ce «commencement», il ne fait en réalité querévéler un Malheur essentiel, et c'est évidemment à celui-là que pense surtout Baudelaire.

Ce Malheur est pour lui lié avant tout, à la notion d'exil.

L'homme n'est pas à sa place dans ce monde.

Il est toujours plus ou moins tiré versailleurs, vers le haut ou vers le bas, Idéal ou Spleen, la fameuse «postulation» double et contradictoire.

Certes,dans un monde rempli de Correspondances et d'Analogies, l'exil n'est pas tout à fait définitif (s'il l'était d'ailleurs, il neserait pas ressenti comme un exil) et les choses adressent des signes à l'homme.

Mais celui-ci n'en ressent que plusdouloureusement la nostalgie d'une Unité perdue et l'impression du «secret douloureux» dont parle La Vie antérieure , la Mélancolie de la «douce langue natale» oubliée que L'Invitation au voyage suggère dans un pays de rêve.

Mais aucun endroit réel n'est capable d'adoucir cette angoisse : la nature, les bois, l'océan parlent un langage trop connuet donc invitent l'homme à rejoindre autre chose (Obsession).

Quand à la ville, tout y est allégorie et exil (Le Cygne, ibidem, p.

470).

Bref, le Malheur humain est profond pour Baudelaire parce que rien ne permet à l'homme d'oublier qu'il n'est pas chez lui dans le Monde ; tout l'engage à aller ailleurs, Anywhere out of the world, sans pourtant qu'il soit guidé nettement vers cet Ailleurs, perpétuellement exilé qu'il est dans sa propre patrie, comme dira encoreCamus.

Cette situation intenable est en revanche source de création artistique parce que l'art se situe trèsvolontiers dans ce mouvement vers quelque chose d'autre, pressenti, mais non atteint.

Même chez les artistesassez éloignés du système baudelairien, le mouvement de la création est souvent analogue : devant le monde,l'écrivain éprouve la double impression que le monde ne le satisfait pas, mais qu'il pourrait le remodeler au nom d'uneIdée qu'il s'en fait et qui lui semble plus vraie que le monde réel.

Rousseau ne cessera d'opposer deux humanités :l'humanité réelle, où il ne voit que corruption, bassesse, intérêt sordide, ambition mesquine, et une humanité idéale,la vraie, celle qu'il porte en son coeur, et qu'il s'acharne à vouloir retrouver dans la première.

Faute d'y arriver, ildécide de la créer, imagine des «êtres selon son coeur», se fait romancier, et écrit La Nouvelle Héloïse, pédagogue, et trace le portrait d'Emile, mémorialiste, et fait son propre portrait, celui d'un homme qui eut ses faiblesses, maisvécut suivant la nature.

On dira certes que Rousseau préfigure l'attitude romantique et qu'il était un espritparticulièrement chimérique, mais en des époques plus classiques, chez des artistes en apparence plus solides, neretrouverait-on pas ce malheur profond à l'origine de l'oeuvre d'art ? Qu'est-ce que Phèdre (indépendamment de toute considération biographique et historique), si ce n'est l'évocation d'un univers intenable, où l'homme est sanscesse mis en accusation, impitoyablement jugé sur ses pensées les plus intimes, toujours corrompues en leursource, et où il ne peut ni être heureux ni espérer en un ailleurs consolant ? Exil dans une sorte de purgatoire qui nedébouche sur aucun paradis assuré, mais en rend toujours la nostalgie inévitable, ne sont-ce pas là les conditionsmêmes dans lesquelles doit s'élever la plainte très pure du chant poétique ? 3 Il faut sans doute pousser encore plus loin l'analyse du Malheur baudelairien.

Le Malheur n'est pas seulement pourlui le divorce qui est à l'origine de l'oeuvre d'art, il conduit aussi à une attitude qui va donner à celle-ci tout son prixet toute sa concentration : en effet, ce que Baudelaire reproche à la Joie, c'est qu'elle est épanouissement etdispersion.

L'homme heureux projette son Moi sur tous les objets du monde avec une sorte de générosité où ils'éparpille et peut-être finalement se perd.

Au contraire le Malheur fait refluer vers le plus intime de nous- mêmes toutes nos préoccupations.

Baudelaire tient en tout cas beaucoup à cette idée que le Malheur aboutit à une esthétique convergente et refluante : il le dit dès le Salon de 1846 pour définir le romantisme, à propos duquel il associe la «couleur», l'«aspiration vers l'Infini» avec l'«intimité», la «spiritualité»(Pléiade, Œuvres complètes, t.

II, p. 421) : il le répète à propos du célèbre tableau de Delacroix, Femmes d'Alger dans leur appartement, où il loue «une certaine beauté intérieure» de ces femmes qui ont l'air malade, mais dont les yeux expriment une «douleur morale»(Salon de 1846, ibidem, p.

440), un «secret douloureux, impossible à enfouir dans les profondeurs de la dissimulation.

Leur pâleur est comme une révélation des batailles intérieures.

Qu'elles se distinguent par le charmedu crime ou par l'odeur de la sainteté, que leurs gestes soient alanguis ou violents, ces femmes malades du coeur oude l'esprit ont dans les yeux le plombé de la fièvre ou la nitescence anormale et bizarre de leur mal, dans le regard,l'intensité du sumaturalisme.» (Article sur l'Exposition universelle de 1855 ) Enfin, dans le contexte de la pensée qui nous occupe (Fusées, XVI), il parle d' «amertume refluante», de «besoins spirituels», d' «ambitions ténébreusement refoulées» pour essayer de définir une belle tête de femme ou d'homme et c'est en ce sens qu'il conclut que «le plusparfait type de Beauté virile est Satan, - à la manière de Milton».

Il faut relier sans doute cette conception à cellede l'alchimie baudelairienne : pour Baudelaire le Beau est toujours plus ou moins une quintessence, et seul le Malheurassure comme il faut la concentration nécessaire au niveau du plus intime de nous-mêmes.

Cette concentrationaura peut-être comme envers une certaine stérilité, elle aboutira peut-être à cette raréfaction de l'art dontsouffriront certains successeurs de Baudelaire, Mallarmé notamment.

Elle répond en tout cas à une conception trèspure, très aristocratique de la poésie : cette alchimie de la douleur, devenue «sage» et «plus tranquille», s'exprimedans la promenade un peu compassée de Recueillement et prend tout son sens métaphysique et religieux dans le premier poème des Fleurs du Mal, Bénédiction, où elle est «la noblesse unique», où elle est comme un extrait de «tous les temps» et de «tous les univers», bref, et le mot est capital, une «Essence» : ...

La meilleure et la plus pure Essence Qui prépare les forts aux saintes voluptés. II La part de la joie. »

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