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S'engager, est-ce perdre ou affirmer sa liberté ?

Publié le 09/03/2004

Extrait du document

« Celui qui prend conscience en lui de cette contradiction explosive - entre ce qu'il est pour lui-même et ce qu'il est aux yeux d'autrui - celui-là connaît la vraie solitude, celle du monstre raté par la Nature et la société ; il vit jusqu'à l'extrême, jusqu'à l'impossible, cette solitude latente, larvée qui est la nôtre et que nous tentons de passer sous silence «. C'est dans les situations extrêmes lorsqu'aucun modèle ne vient orienter notre choix que l'homme fera authentiquement acte de liberté. Sartre revient à plusieurs reprises dans son oeuvre sur l'exemple de la Résistance. Les résistants, lorsqu'ils étaient pris n'avaient le choix qu'entre le silence (l'héroïsme) et la dénonciation (l'abjection) : entre les deux extrêmes de la condition humaine au-delà desquels il n'y a plus rien. Mais l'existence humaine doit à tout instant être rachetée, sauvée, justifiée contre toutes les tentations de l'existence «brute «, naturelle, qualifiée (aussi bien dans « l'Être et le Néant « que dans « Les Mouches «) d'« obscène «, « fade « et « visqueuse «, qui procède par classification, distinctions bien tranchées du bien et du mal, du permis et du défendu. L'existence humaine n'a de sens et de valeur que pour autant qu'elle accepte ou du moins qu'elle tente de réconcilier, dans une action particulière, les deux termes de la dichotomie. « Ou bien, la morale est une faribole ou c'est une totalité concrète qui réalise la synthèse du Bien et du Mal... la séparation abstraite exprime simplement l'aliénation de l'homme. Reste que cette synthèse dans la situation historique n'est pas réalisable. Aussi toute morale qui ne se donne pas explicitement comme impossible aujourd'hui, contribue à la mystification et à l'aliénation des hommes.

«Engagement« et «Liberté« : a priori, deux termes antithétiques et qui n'ont absolument rien de compatible. Mais est-ce vraiment le cas ? Est-ce que s'engager porte nécessairement atteinte à  notre liberté ou est-ce que d'une certaine manière, cela ne nous permet pas au contraire de l'affirmer ? S' engager pour une cause implique une sorte de contrat, de promesse qui nous lie à ceux qui soutiennent la même cause, et cela induit que l'on devra inévitablement faire des concessions. Cependant, rien ne nous oblige à nous engager pour cette cause, c'est nous qui en avons fait le choix, or choisir, c'est affirmer sa liberté. Mais de toutes manières, la question se pose-t-elle vraiment, ne sommes-nous pas «condamnés à être libres«...?

« liberté. Un engagement a valeur de loiCertains engagements se traduisent par un contrat légal.

C'est le cas, par exemple, du mariage.

Lorsque je memarie, je prends l'engagement de rester fidèle à une personne, de subvenir à une partie de ses besoins, de laprotéger, de veiller à son bien-être comme si c'était le mien.

Si je m'engage à rester fidèle à ma femme, celaréduit ma liberté car je ne peux plus séduire toutes les autres, car cela serait moralement condamnable.

Lemariage crée des obligations légales qui font que je ne suis plus libre.

Je peux être poursuivi en justice parmon conjoint si je ne les respecte pas. L'engagement est un lien«S'engager porte malheur», disait une inscription sur le temple d'Apollon à Delphes.

Celui qui s'engage ou estengagé - que ce soit dans l'armée, dans une entreprise, vis-à-vis d'un assureur, dans une relation de couple -n'est plus le seul maître de sa destinée.

Il doit rendre compte de ses actes aux personnes avec lesquelles ils'est lié.

[Il n'y a de liberté possible que si l'on s'engage dans un lien avec autrui.

M'engager envers quelqu'un, ce n'est pas m'enchaîner à lui mais, au contraire,choisir librement de remplir mes responsabilités à son égard.

L'engagement envers autrui est donc une manière de réaliser ma liberté.] Je réalise ma liberté en m'engageantPour Sartre, liberté, action et engagement sont étroitement liés.

Eneffet, la liberté ne se réalise que dans l'action.

Être libre, c'est être libred'agir.

Celui qui ne fait rien ne préserve pas sa liberté mais, aucontraire, la gaspille.

Par ailleurs, l'action ne se réalise que dansl'engagement envers autrui.

Agir, en effet, ce n'est pas faire n'importequel geste sans conséquence, mais c'est me situer par rapport auxautres, m'impliquer dans un contexte social, bref, m'engager.L'expérience de la guerre et de ses atrocités, la découverte dutotalitarisme, la présence dans le monde dit « libre » de formesouvertes ou dissimulées d'exploitation de l'homme — du prolétaire aussibien que du colonisé —, révèlent la présence massive et incontournabledu mal.

La bonne conscience, la fuite dans l'anonymat du « on » n'estplus possible à moins de se ranger dans la catégorie des « salauds »,ces « gros pleins d'être » qui feignent de trouver l'existence naturelle etqui continuent à vaquer à leurs affaires et à leurs amours.

Certainschoisissent — à titre individuel — de faire le bien : accomplirscrupuleusement leur devoir de père, de citoyen, voire secourir unvoisin dans la détresse, mais cela n'empêche aucunement la mauvaisefoi.

Les hommes ne sont pas placés côte à côte comme des petits poisdans une boîte : ils entretiennent entre eux des relations étroites,même si elles sont masquées par l'idéologie individualiste, même si elles sont exposées à une réification.Sartre reprend ici les analyses du marxisme qui sont focalisées sur la pleine conscience des réseaux multiplesde détermination constitutifs de la trame sociale de l'existence.

Toutefois le marxisme privilégie l'action et laprise de conscience collectives : je ne peux modifier la situation de l'homme dans le monde pour rendrechacun maître de son existence que si je m'engage consciemment dans une action collective (la révolution)qui transformera les bases de la société, par exemple en supprimant la propriété privée des moyens deproduction.

En définitive, je devrais pour réaliser cette fin, utiliser tous les moyens à ma portée, y compris lemensonge et la violence.

Ici éclate le paradoxe de la morale que l'oeuvre littéraire de Sartre, (théâtre,romans, essais) s'attache à exprimer : ou bien je vais traiter (selon l'expression kantienne) quelques-uns demes proches comme des fins et je vais garder les « mains pures », mais je me condamne à accepter tout cequi ne dépend pas de moi ; ou bien je vais m'engager dans un parti strictement révolutionnaire et par-là mêmeje me condamne à traiter tous les hommes en moyens pour une fin (la société sans classe, réconciliée) dontje ne verrai jamais la réalisation effective, et ce faisant j'aurai les « mains sales ». « Celui qui prend conscience en lui de cette contradiction explosive — entre ce qu'il est pour lui-même et cequ'il est aux yeux d'autrui — celui-là connaît la vraie solitude, celle du monstre raté par la Nature et la société; il vit jusqu'à l'extrême, jusqu'à l'impossible, cette solitude latente, larvée qui est la nôtre et que noustentons de passer sous silence ».. »

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