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EPICURE  : La Lettre à Ménécée

Publié le 21/07/2010

Extrait du document

epicure

 

Préambule de la lettre Il s’agit d’une lettre écrite à un jeune disciple, qui traite d’une morale du bonheur en quatre points ("quadruple remède"). Son propos est de montrer l’importance de la philosophie à tout âge de la vie, en expliquant le rapport entre la philosophie et le bonheur : étant donné qu’à tout âge nous désirons être heureux, il faut faire de la philosophie à tout âge. Epicure commence par souligner l’urgence de la philosophie aux âges extrêmes de la vie, jeunesse et vieillesse. Il remet ainsi en question l’opinion qu’à ces âges la philosophie serait secondaire ou inutile. En effet, on pourrait croire que philosopher ne sert de rien à un jeune, car il a devant lui beaucoup de temps de vie, et d’autres préoccupations ont pour lui plus d’importance ; et quant aux vieillards, fatigués, qui ont abondamment appris de la vie, on pourrait douter que la philosophie puisse leur être utile. Epicure explique ensuite cette urgence par le rapport entre philosophie et bonheur. C’est parce que la philosophie apprend à être heureux qu’on en a besoin pendant toute sa vie. La philosophie est une médecine de l’âme. La notion de santé renvoie à ce qu’Epicure appelle ataraxie (absence de trouble, tranquillité de l’âme). Refuser de philosopher revient à refuser d’être heureux, ce qui est absurde. D’après Epicure, le jeune comme le vieil homme doivent donc philosopher, ils peuvent même le faire ensemble. Ne recherchant pas les même bonheurs, ils pourront s’apporter mutuellement ce qui leur manque : le jeune homme l’élan de sa jeunesse, le vieillard son expérience. La philosophie va permettre au vieil homme la "réminiscence affective" : se souvenir de sa jeunesse. En effet, selon la conception matérialiste d’Epicure, notre passé est conservé matériellement en nous, et toujours disponible : se souvenir du passé, c’est le revivre matériellement. Le vieillard peut donc revivre le plaisir dont il a fait provision durant sa jeunesse. Au jeune homme, la philosophie va apporter la tranquillité face à l’avenir. En effet, le jeune vit l’incertitude de l’ample avenir devant lui, qui comporte une part de hasard. La philosophie va lui permettre de mieux maîtriser le futur. Elle lui apprend à ne craindre ni les dieux, ni la mort, et à maîtriser ses désirs, lui rendant ainsi le bonheur accessible. Le jeune homme devient en quelque sorte "blindé" contre les coups du sort. Epicure reprend ensuite la conception aristotélicienne du bonheur comme fin de la vie, pour insister sur l’idée que la philosophie est essentielle. Le bonheur est notre seul but : tout ce que nous faisons est orienté vers lui. Le bonheur arrive grâce aux remèdes que va nous apporter la philosophie, à savoir, des manières de mieux penser ce qui nous fait peur. Epicure insiste sur la dimension pratique de la philoso-phie : il ne s’agit pas de connaître pour connaître, mais en vue d’agir et de vivre autrement. Le plaisir visé ici n’est pas d’ordre intellectuel, c’est le plaisir de l’âme et du corps apaisés, libérés des troubles qui les menacent. Ce préambule est une sorte de mise en condition. Epicure y insiste sur la valeur par rapport au bonheur des remèdes qui seront présentés ensuite. Il invite tous les hommes à philosopher, et non seulement quelques-uns à qui cet exercice serait réservé. §§ 123 et 124 – Premier élément du bonheur : éliminer la crainte des dieux La divinité est un être possédant des caractéristiques de félicité et d’incorruptibilité qui contredisent l’idée qu’un tel être pourrait intervenir dans la vie des hommes. Les dieux n’appartiennent pas au temps humain, mais sont en dehors de lui, hors d’atteinte. Ils sont aussi indépendants de nous les hommes, que nous sommes indépendants d’eux : nous n’avons donc pas à les craindre, puisqu’ils ne se soucient nullement de nos affaires. Dans tout ce développement, Epicure veut montrer que le bonheur ne provient pas de l’attitude des dieux envers nous, ni de nos pratiques à leur égard (les cultes), mais que sa possi-bilité dépend de la représentation que nous nous faisons d’eux. Bref, le bonheur dépend non d’éléments extérieurs à nous-mêmes, mais de nos représentations. Epicure se lave de l’accusation d’athéisme qui était portée contre lui : il n’est pas athée puisqu’il croit aux dieux ; il se place toutefois en marge de la croyance traditionnelle selon laquelle les dieux inter-viennent dans le monde des hommes. En cela il est proche de Socrate ; comme lui, il prend le risque d’être accusé par la société de son temps, où toute représentation et tout discours sur les dieux non conformes au discours populaire paraissaient dangereux, subversifs. En effet, la religion est un ciment essentiel et un point de repère fondamental de la société antique. On peut récapituler la démarche d’Epicure comme suit : 1.Les dieux existent parce que leur connaissance est claire et évidente en nous. 2.C’est plutôt la masse populaire qui ne croit pas aux dieux, parce que la façon dont ils sont pensés dans le peuple est contraire à leur existence. 3.Donc, la masse est elle-même impie, attribuant aux dieux des caractéristiques incompatibles avec leur nature. La conclusion d’Epicure est que les bonnes comme les mauvaises choses ne proviennent pas directement des dieux, mais bien de nos représentations : les mauvaises choses sont nos propres angoisses, causées par des opinions fausses au sujet des dieux. Ceci montre que nous sommes entièrement maîtres de notre bonheur ou de notre malheur. §§ 124 à 127 – Second élément du bonheur : la mort n’est rien pour nous

a) La mort est privation de la sensation (§ 124) b) La pensée que nous sommes mortels et son acceptation sont bénéfiques (§§ 124 et 125) c) La mort n’existe pas pour nous parce que vie et mort s’excluent mutuellement (§§ 125 et 126) a) Epicure affirme que c’est la sensation qui provoque toute joie et toute souffrance. Puisque la mort est privation de la sensation, nous n’y ressentons plus rien, en particulier aucun mal. La mort n’est donc pas un mal. Elle abolit la sensation et est étrangère au bien et au mal. b) La représentation que la mort n’est rien pour nous, avec la conscience clairement acceptée que nous sommes mortels, nous rendent heureux par la libération d’un vain désir d’immortalité (celui-ci ne saurait jamais être assouvi, il est en effet irréalisable), et par la capacité de profiter du moment présent. La concentration sur le moment présent comme source de toute joie est un grand principe de la philosophie d’Epicure. c) Démonstration de ce que la mort n’est rien pour nous (raisonnement bâti sur un principe d’exclusion, la vie et la mort s’excluant l’une l’autre) : la crainte de la mort est vaine dans la mesure où on la craint quand on est en vie, état où la mort n’a pas de réalité. La crainte de la mort est donc sans objet. La foule redoute en général la mort et la fuit, tandis que le sage accepte aussi bien la vie telle qu’elle est, que la perspective de ne plus vivre. Il y a là une opposition rigoureuse entre le non philosophe et le philosophe. Ce qui nous afflige souvent, ce n’est en fait pas la mort elle-même, mais l’attente de celle-ci, temporalité contre laquelle le seul remède est la pratique de la philosophie. La connaissance claire de notre qualité de mortels nous permet de jouir plus pleinement de la vie, car nous nous concentrons sur le temps qui nous est donné et ne le perdons plus à désirer en vain l’immortalité. C’est justement parce que nous vivons au présent, et devons vivre en étant attentifs au présent, sans regrets ni angoisses, que la philosophie est identique pour tous : certes, pour les uns s’ouvre plutôt une longue durée de vie, alors que d’autres sont au seuil de la mort – mais dans tous les cas, il s’agit de vivre bien, de façon agréable, ce temps de vie qui nous est imparti, notamment avec des représentations saines. Une notion va servir de transition entre le thème de la crainte de la mort et celui du plaisir : c’est la notion de désir. §§ 127 et 128 – Analyse des désirs Première remarque : avec l’analyse épicurienne des désirs, le corps se voit accorder une importance aussi grande que l’âme. L’importance du corps dans cette philosophie est ce qui la distingue de la plupart des autres philosophies de l’antiquité. Elle s’explique par le constat que les critères de la vérité, ce sont les sensations du corps. Le désir est lié à l’angoisse dans la mesure où il est une tension vers le futur. Or il n’y a de désir que pour ce que nous n’avons pas encore. Epicure montre d’autre part qu’il est lié au plaisir, dans la mesure où le plaisir est le but vers lequel tend le désir. L’être humain est confronté à un donné qui peut lui paraître contraignant, mais il a en lui la capacité de dégager une marge de manoeuvre lui permettant d’être heureux à l’intérieur des limites de ce donné, en s’en faisant par exemple une représentation qui le libère de toute angoisse (il calculera ses désirs de façon à ne pas tomber dans des frustrations). Epicure divise les désirs en deux classes : A – Les désirs naturels (manger, boire, ne pas avoir froid, voir de belles choses, etc.) B – Les désirs vains (comme le désir d’immortalité reposant sur une fausse opinion de la mort). Les désirs naturels se subdivisent en : A1 – Les désirs nécessaires à la survie (manger, boire, etc.) A2 – Les désirs seulement naturels, non nécessaires à la survie (par exemple, les désirs esthétiques). Trois sortes de désirs nécessaires sont distingués : les désirs nécessaires pour le bonheur, ceux qui sont nécessaires pour le bien-être du corps, et ceux nécessaires pour la vie elle-même. En fait, la santé du corps et la tranquillité de l’âme sont le but de la vie bienheureuse. Pour Epicure, le bonheur n’apparaît pas comme le bien-être exclusif de l’âme, mais inclut aussi nécessairement le bien-être du corps : une belle innovation ! Il est question du bonheur dans la Lettre à Ménécée dès le début du texte, mais d’abord comme d’un état négatif, l’absence d’anxiété. Mais maintenant (§§ 127 et 128), par le biais de l’analyse des désirs, le bonheur est qualifié de manière positive : il est le but des désirs humains, un état de plaisir. Se profilent ici les deux principes sur lesquels repose la philosophie épicurienne : un exercice spirituel concernant la crainte de la mort et des dieux, et une canalisation des désirs. Le bonheur épicurien est obtenu par la conjonction de deux termes positifs : le bien-être, l’absence d’entraves du corps, et la tranquillité, l’absence de trouble de l’âme. Epicure nous dit de tout faire pour obtenir ces deux états et éviter leurs contraires, désignés comme la souffrance et le trouble. Les deux états positifs représentent la satisfaction des besoins de l’âme et du corps, la souffrance et le trouble représentant des états de manque. Il faut noter que cette plénitude, cet équilibre naturel, c’est le plaisir, obtenu comme résultat d’une sélection des désirs essentiels. Le plaisir est un état subtil, car lorsque nous l’éprouvons, nous ne nous rendons pas compte précisément que nous sommes en train de l’éprouver : nous n’avons la conscience du plaisir que dans l’état de privation du plaisir lui-même. Il ne s’agit pas de plaisirs fugitifs appelant d’autres plaisirs, mais d’un état de plénitude parfaite représentant le plus grand bien (les Cyrénaïques concevaient le plaisir en mouvement, par exemple tous les types de plaisir qui "titillent" les sens et ne durent pas ; les Epicuriens apportent une distinction nouvelle, le souverain bien ne pouvant plus être dans les plaisirs en mouvement, mais dans un état de plaisir stable). L’élément fondamental du bonheur : le plaisir – Analyse du plaisir (§§ 129 à 132) Le type d’affection relatif au plaisir du corps et au plaisir de l’âme est le même. Il faut avoir cela à l’esprit pour comprendre la théorie d’Epicure. Les Epicuriens disent que "le plaisir est le commencement et la fin de la vie bienheureuse". Le plaisir est le commencement du bonheur et sa composante principale. Il est un bien premier qui nous est "conaturel" . Les anciens Grecs concevaient la finalité de l’être humain comme l’accomplissement de sa pleine nature ; l’important, c’est que cette finalité garde un caractère naturel, qu'elle ne soit pas imposée de l’extérieur. Le plaisir est un de ces accomplissements naturels, ce qui veut dire que tout homme tend par nature à l’état de plaisir, et que toutes ses actions doivent viser à instaurer ou restaurer cet état. Le plaisir, dont l’expression en nous est "l’affection" (pathos), est au centre de la théorie éthique épicu-rienne. En effet, quelque chose sera dit bon ou mauvais parce que nous l’éprouverons comme tel sur le plan de cette "affection" de plaisir, sans aucune sorte de jugement moral a priori. De même, la sensation, parce qu’elle conduit à "l’affection", est aussi un critère grâce auquel nous dirons si quelque chose est bon ou mauvais, en fonction de l’impression toute subjective que nous en recevons. Avec l’affirmation que le plaisir est à la fois le bien fondamental, le but de notre existence et de notre action, et notre critère d’évaluation éthique, il est évident qu’Epicure pouvait choquer ses contemporains, par exemple les Platoniciens qui identifiaient le bien comme une norme transcendante et rationnelle, notre bien particulier étant l’application d’une telle norme à nos actions, sous forme d’un ordre. Or il n’y a rien de transcendant ou de rationnel dans le bien épicurien. Dans la pratique, il va falloir adapter cette théorie aux circonstances, en tenant compte de l’utile et du nuisible, c’est-à-dire en appliquant ce que l’on appelle généralement le calcul des plaisirs. Cette attitude consiste à choisir les plaisirs en tenant compte des conséquences : si, en supportant une certaine souffrance, nous devons aboutir ensuite à un plaisir plus grand, nous devons supporter cette souffrance ; à l’inverse, si par le choix d’un certain plaisir, nous devons rencontrer un mal, mieux vaut nous détourner de ce plaisir. La raison pour laquelle nous prenons un mal pour un bien, et vice versa, est la même qui nous fait craindre les dieux et la mort : ce sont les fausses opinions et les préjugés dénoncés au début de la lettre. C’est une même raison qui nous empêche chaque fois d’être heureux, soit parce que de l’angoisse apparaît, soit parce qu’elle nous fait errer dans nos choix. Sérénité et choix du bien – le plaisir – apparaissent en effet comme les deux grands principes du bonheur. Le calcul des plaisirs a une résonance immorale, dans le mesure où chez Platon ou Aristote, par exemple, le bien doit être choisi pour lui-même, sans tenir compte de conséquences. Dans le Gorgias par exemple, Socrate pose l’alternative suivante : faut-il mieux être injuste et rester impuni, ou être juste en étant puni, en subissant la souffrance ? Pour Socrate, c’est clair : il faut en tous cas choisir le bien, même s’il doit en résulter une souffrance (cf. l’anneau de Gygès). Le calcul des plaisirs peut donc paraître immoral à un Platonicien. Après avoir montré que le bien est le plaisir, Epicure va préciser de quel type de plaisir il s’agit : il s’agit de l’autarcie (autosuffisance), c’est-à-dire la quantité de plaisir minimale pour s’assurer un état de bien-être sans rien de superflu. La modération, c’est se contenter de ce qui suffit exactement pour couvrir nos besoins physiques, et sur le plan moral, éviter tout orgueil et toute prétention exagérées. Il faut se contenter de peu : il ne s’agit pas de se priver dans le seul but de se priver (comme font les Cyniques, tels Diogène dans son tonneau), mais de s’habituer au peu afin d’être toujours satisfait et indépendant en matière de plaisirs. Dans le cas où nous recevrions davantage, nous apprécierions encore plus ce qui nous apparaîtrait alors comme un supplément agréable. Savoir se contenter de peu équivaut à limiter ses désirs aux seuls désirs naturels et nécessaires. Epicure nous propose un idéal de vie très raisonnable. La maîtrise des plaisirs concerne le corps aussi bien que l’âme. Pour le corps, nous pouvons, et devons donc, nous contenter de pain et d'eau, en éliminant certains plaisirs sensuels jugés superflus (cf. la frugalité qui était de mise au Jardin d’Epicure). Pour l’âme, c’est la tranquillité due à la facilité d’atteindre la satisfaction. L’idéal de vie d’Epicure est raisonnable, à la fois au sens de modéré et de fondé en raison. Le plaisir s’accompagne toujours de la conscience du plaisir (en l’occurrence, la conscience de ce qu’il est modéré), et c’est cette conscience qui donne sens au plaisir épicurien. Le bien selon Epicure n’est pas la simple sensation du plaisir, mais la conscience réfléchie que nous parvenons à nous libérer des troubles quels qu’ils soient. Le modération a un premier effet qui est d’ôter la douleur due au manque et de satisfaire les besoins, et un effet supplémentaire, qui est de nous libérer pour l’avenir des désirs démesurés, et de nous rendre plus sereins, une fois que nous avons l’assurance qu’en toute situation nous savons nous contenter de peu. Tout au long de sa lettre, Epicure a en vue un unique idéal : l’obtention de la sérénité, sous les deux aspects de l’absence de crainte pour le futur, et de la pleine satisfaction dans le présent. Le "quadruple remède" (§ 133) La première moitié du § 133 est une sorte de récapitulatif. Les principes peuvent se ramener à quatre (ce sont les piliers de la philosophie d’Epicure) : 1.Avoir une opinion correcte et respectueuse à l’égard des dieux 2.N’avoir aucune crainte de la mort 3.Comprendre que les maux sont faciles à supporter 4.Comprendre que le "terme" des biens est un but facile à atteindre Nous observons un changement dans la situation d’énonciation : au début de la lettre, Epicure s’adressait à un "toi" représenté par Ménécée, puis parlait au nom d’un "nous" englobant Epicure lui-même et tous les hommes. Au début du § 133, nous notons un retour au "toi" (“ Qui, selon toi, est plus admirable que celui qui… ”). Ce "toi" implique davantage le lecteur. De plus, à partir de ce paragraphe, il ne s’agit plus seulement d’exposer des phénomènes et des principes, mais de donner à voir leur application dans la personne d’un individu "admirable" : c’est la figure du sage qui apparaît ici, et il va en être question jusqu’à la fin du texte. Le portrait du sage (§§ 133 à 135) A côté de caractéristiques comme l’intelligence, la vertu et la vie agréable que mène le sage, le trait fondamental qui va être mis en valeur est la liberté dont ce sage jouit. Epicure distingue les trois modalités selon lesquelles les évènements peuvent survenir : la nécessité ou le destin la fortune notre libre-arbitre ("ce qui dépend de nous") Ces modalités vont être distinguées selon le critère de la liberté de manoeuvre qui nous est laissée. Nous n’avons aucune prise sur les deux premières : la nécessité est irresponsable, aveugle (“ elle est ramenée au destin dont parlent les physiciens ”) ; le destin est l’image populaire que prend la nécessité (cette idée que les hommes sont enfermés à l’avance dans un réseau d’événements qui va forcément leur arriver : idée très présente dans la tragédie grecque – la fatalité tragique – et chez des philosophes comme les stoïciens, qui se représentent l’homme comme un élément indissolublement lié au cosmos dans lequel il s’insère, entièrement dépendant de celui-ci). Quant à la fortune, elle est instable ; le sage épicurien ne croit pas à la fortune comme à une divinité, mais il ne la croit pas non plus inexistante, parce qu’elle peut avoir une influence sur la vie de l’homme. Mais la sagesse permet de s’y opposer et de corriger les caprices de la fortune dont ne dépendent, à la limite, que les occasions d’agir. Tout le reste est laissé à nous-mêmes, si bien que la sagesse apparaît comme une raison beaucoup plus déterminante que la fortune. La fortune nous livre un donné, et c’est à nous, en tant qu’agents, de tirer de ce donné la matière de nos actes. A ce moment, c’est notre libre-arbitre qui vient se combiner avec la fortune pour produire l’acte moral. En effet, seul ce qui dépend de nous est l’expression de notre liberté, et ce libre-arbitre permet de considérer l’action en termes de responsabilité, donc en termes proprement éthiques (seules les actions qui dépendent de nous peuvent être jugées bonnes ou mauvaises). L’importance donnée ici par Epicure au libre-arbitre et à la responsabilité est une preuve que son système n’est en aucun cas un déterminisme. "Le sage comme un dieu" (§ 135) Le portrait du sage joue le rôle d’un modèle à imiter : dans sa lettre, Epicure a commencé par exposer les préceptes essentiels, puis il a brossé l’image du sage comme résultat de la mise en pratique des préceptes, et il revient maintenant à l’exhortation proprement dite, à ce "toi" essentiel qui a désormais connaissance des principes et du contenu de la vie heureuse. C’est ici une invitation à l’exercice spirituel : Ménécée ne doit pas méditer les principes simplement en lui-même, mais “ avec ses semblables ”. La philosophie n’a de sens que comme pratique communautaire ; c’est bien pour cela qu’Epicure a ouvert l’école du Jardin qui, plus que les autres écoles de l’Antiquité, était fondée sur des rapports d’amitié très fidèles. Si le sage épicurien ne s’adonne pas à la politique, c’est parce qu’il a d’abord à s’occuper de son âme ; et si l’autarcie est prônée, ce n’est pas au sens d’une autarcie sociale, mais d’une suffisance à l’égard de désirs dont l’immodération entraverait notre liberté. La dimension sociale est essentielle, ici notamment sous la forme d’une pédagogie. Parce que pour Epicure la philosophie est une thérapie, écrire de la philosophie n’a de sens que dans la relation à l’autre. On discerne cependant un rapport de maître à disciple bien particulier : on est loin de la maïeutique socratique, qui joue du dialogue pour faire accoucher l’interlocuteur de vérités qu’il porte en lui ; Epicure impose du dehors une doctrine – en ce sens, le rapport de maître à disciple est plus contraignant, mais ensuite tout est laissé au disciple qui doit sans cesse se remémorer les préceptes, et surtout les mettre en pratique en éprouvant leur vérité, nul ne pouvant exécuter cela à sa place. Chacun est donc responsable de sa propre libération. La forme que prend l’assimilation au "dieu" est originale chez Epicure : c’est en effet la liberté qui assure le passage de notre condition d’homme à la condition divine, et non l’intellect. Cette liberté s’acquiert par la libération à l’égard de l’angoisse. Plus que la liberté, c’est la conscience d’être libres qui nous élève. Est ainsi libre celui qui sait qu’il est entièrement maître de sa vie, que le futur n’est pas un donné terrifiant, mais au contraire une chose modelable au gré de ses décisions. Est libre celui qui sait dire non à certains désirs qui l’asserviraient. Maîtrisant les divers aspects de la temporalité de son existence, l’homme devient semblable au "dieu" également en ce qu’il se met comme hors du temps, par le fait même de vivre pleinement l’instant présent : c’est la signification du plaisir épicurien. La fin de la lettre résume bien ce que la philosophie d’Epicure a de profondément humaniste.

 

epicure

« a) Epicure affirme que c'est la sensation qui provoque toute joie et toute souffrance.

Puisque la mort est privationde la sensation, nous n'y ressentons plus rien, en particulier aucun mal.

La mort n'est donc pas un mal.

Elle abolit lasensation et est étrangère au bien et au mal. b) La représentation que la mort n'est rien pour nous, avec la conscience clairement acceptée que nous sommesmortels, nous rendent heureux par la libération d'un vain désir d'immortalité (celui-ci ne saurait jamais être assouvi, ilest en effet irréalisable), et par la capacité de profiter du moment présent.

La concentration sur le moment présentcomme source de toute joie est un grand principe de la philosophie d'Epicure. c) Démonstration de ce que la mort n'est rien pour nous (raisonnement bâti sur un principe d'exclusion, la vie et lamort s'excluant l'une l'autre) : la crainte de la mort est vaine dans la mesure où on la craint quand on est en vie,état où la mort n'a pas de réalité.

La crainte de la mort est donc sans objet.

La foule redoute en général la mort etla fuit, tandis que le sage accepte aussi bien la vie telle qu'elle est, que la perspective de ne plus vivre.

Il y a là uneopposition rigoureuse entre le non philosophe et le philosophe.Ce qui nous afflige souvent, ce n'est en fait pas la mort elle-même, mais l'attente de celle-ci, temporalité contrelaquelle le seul remède est la pratique de la philosophie.

La connaissance claire de notre qualité de mortels nouspermet de jouir plus pleinement de la vie, car nous nous concentrons sur le temps qui nous est donné et ne leperdons plus à désirer en vain l'immortalité.

C'est justement parce que nous vivons au présent, et devons vivre enétant attentifs au présent, sans regrets ni angoisses, que la philosophie est identique pour tous : certes, pour lesuns s'ouvre plutôt une longue durée de vie, alors que d'autres sont au seuil de la mort – mais dans tous les cas, ils'agit de vivre bien, de façon agréable, ce temps de vie qui nous est imparti, notamment avec des représentationssaines. Une notion va servir de transition entre le thème de la crainte de la mort et celui du plaisir : c'est la notion de désir. §§ 127 et 128 – Analyse des désirs Première remarque : avec l'analyse épicurienne des désirs, le corps se voit accorder une importance aussi grandeque l'âme.

L'importance du corps dans cette philosophie est ce qui la distingue de la plupart des autres philosophiesde l'antiquité.

Elle s'explique par le constat que les critères de la vérité, ce sont les sensations du corps.Le désir est lié à l'angoisse dans la mesure où il est une tension vers le futur.

Or il n'y a de désir que pour ce quenous n'avons pas encore.

Epicure montre d'autre part qu'il est lié au plaisir, dans la mesure où le plaisir est le butvers lequel tend le désir.

L'être humain est confronté à un donné qui peut lui paraître contraignant, mais il a en lui lacapacité de dégager une marge de manoeuvre lui permettant d'être heureux à l'intérieur des limites de ce donné, ens'en faisant par exemple une représentation qui le libère de toute angoisse (il calculera ses désirs de façon à ne pastomber dans des frustrations). Epicure divise les désirs en deux classes :A – Les désirs naturels (manger, boire, ne pas avoir froid, voir de belles choses, etc.)B – Les désirs vains (comme le désir d'immortalité reposant sur une fausse opinion de la mort).Les désirs naturels se subdivisent en :A1 – Les désirs nécessaires à la survie (manger, boire, etc.)A2 – Les désirs seulement naturels, non nécessaires à la survie (par exemple, les désirs esthétiques).Trois sortes de désirs nécessaires sont distingués : les désirs nécessaires pour le bonheur, ceux qui sontnécessaires pour le bien-être du corps, et ceux nécessaires pour la vie elle-même. En fait, la santé du corps et la tranquillité de l'âme sont le but de la vie bienheureuse.

Pour Epicure, le bonheurn'apparaît pas comme le bien-être exclusif de l'âme, mais inclut aussi nécessairement le bien-être du corps : unebelle innovation !Il est question du bonheur dans la Lettre à Ménécée dès le début du texte, mais d'abord comme d'un état négatif,l'absence d'anxiété.

Mais maintenant (§§ 127 et 128), par le biais de l'analyse des désirs, le bonheur est qualifié demanière positive : il est le but des désirs humains, un état de plaisir.

Se profilent ici les deux principes sur lesquelsrepose la philosophie épicurienne : un exercice spirituel concernant la crainte de la mort et des dieux, et unecanalisation des désirs.

Le bonheur épicurien est obtenu par la conjonction de deux termes positifs : le bien-être,l'absence d'entraves du corps, et la tranquillité, l'absence de trouble de l'âme.

Epicure nous dit de tout faire pourobtenir ces deux états et éviter leurs contraires, désignés comme la souffrance et le trouble.

Les deux états positifsreprésentent la satisfaction des besoins de l'âme et du corps, la souffrance et le trouble représentant des états demanque.Il faut noter que cette plénitude, cet équilibre naturel, c'est le plaisir, obtenu comme résultat d'une sélection desdésirs essentiels.

Le plaisir est un état subtil, car lorsque nous l'éprouvons, nous ne nous rendons pas compteprécisément que nous sommes en train de l'éprouver : nous n'avons la conscience du plaisir que dans l'état deprivation du plaisir lui-même.

Il ne s'agit pas de plaisirs fugitifs appelant d'autres plaisirs, mais d'un état de plénitudeparfaite représentant le plus grand bien (les Cyrénaïques concevaient le plaisir en mouvement, par exemple tous lestypes de plaisir qui "titillent" les sens et ne durent pas ; les Epicuriens apportent une distinction nouvelle, lesouverain bien ne pouvant plus être dans les plaisirs en mouvement, mais dans un état de plaisir stable). L'élément fondamental du bonheur : le plaisir – Analyse du plaisir (§§ 129 à 132). »

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