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ERNEST LEGOUVÉ (1807-1895). Comment il faut lire les fables de La Fontaine...

Publié le 03/05/2011

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fontaine

Ernest Legouvé appartient à la critique par ses deux ouvrages sur la Lecture, dans lesquels il donne les conseils à la fois les plus simples et les plus précieux. Tous les élèves pourront profiter de cette page charmante consacrée aux fables de La Fontaine.

Comment il faut lire les fables de La Fontaine (1878).

La Fontaine n'est pas seulement un fabuliste, un moraliste, un dramatiste, il est encore poète et peintre. Eh bien, c'est précisément ce côté poétique et pittoresque qui disparaît souvent dans les fables lues; les plus habiles y sont trompés, je crois, par une règle fort juste en soi, mais d'application délicate. Les fables, disent-ils, doivent être lues simplement. Sans doute, mais il y a bien des sortes de simplicité. La simplicité peut être nue, froide, plate, ou expressive, imagée, pathétique. Or, puisque La Fontaine a trouvé le moyen d'être grand poète et grand peintre, en restant dans la vérité et la simplicité, votre devoir, à vous lecteurs, est d'être poétiques et pittoresques, sans cesser d'être simples et vrais. Prenons quelques exemples :

Du palais d'un jeune lapin, Dame belette, un beau matin, S'empara.... C'est une rusée. Le maître étant absent, ce lui fut chose aisée. Elle porta chez lui ses pénates, un jour Qu'il était allé faire à l'aurore sa cour, Parmi le thym et la rosée.

J'ai entendu dire cette fable par un homme qui a porté l'art de la diction jusqu'au génie, par M. Samson. Eh bien, M. Samson se trompait, je crois, dans ce passage. Il disait Du palais comme s'il y avait du logis, Dame belette comme s'il y avait la belette. Elle porta chez lui ses pénates, comme s'il y avait s'installa, et il était allé faire à l'aurore sa cour parmi le thym et la rosée, comme s'il y avait qu'il était allé brouter le thym dans la rosée. Sous prétexte de naturel et de vérité, il dissimulait la poésie de ces mots... palais..., pénates..., faire à l'aurore sa cour, il demandait pour ainsi dire grâce pour eux, il les noyait dans le cours de la diction. J'ose penser contre lui qu'il faut les faire valoir. L'art de La Fontaine a été précisément de mettre côte à côte et sans dissonance, dans ce court passage, des vers de pure comédie, comme s'empara... c'est une rusée; des vers de simple récit comme : Le maître étant absent, ce lui fut chose aisée; et les plus fraîches images poétiques. Puisque ces contrastes font si bon ménage dans sa fable, arrangez-vous pour qu'ils se marient aussi heureusement dans la diction. Soit ! direz-vous, mais comment? Le moyen est bien simple. Prononcez ces mots : palais... pénates... faire à l'aurore sa cour, avec une petite emphase ironique; ayez l'air, par votre intonation, de vous moquer un peu vous-même de ces mots; ils garderont leur effet et perdront leur apprêt; La Fontaine les a écrits en souriant, souriez en les disant.

Un autre exemple :

Un pauvre bûcheron tout couvert de ramée.

Beaucoup de lecteurs disent ce vers comme s'ils parlaient seulement d'un pauvre homme qui a une lourde charge de bois sur le dos; ils le plaignent, ils ne le peignent pas; le mot ramée devient un mot masculin, ils ne prononcent pas l'e muet, cet admirable vers n'est plus que le récit d'un fait ; chez La Fontaine, c'est un fait et un tableau! Loin de simplifier ce vers par la diction, il faut pour ainsi dire l'allonger! loin de supprimer l'e muet, il faut le prolonger! on prolongera ainsi la ramée elle-même ! J'ai besoin de voir, en vous entendant, ce pauvre vieux, enfoui, enseveli au centre d'un amas de branchages qui déborde de tous les côtés! Eh bien, étouffez la voix sur le mot couvert, mettez trois e à ramée, et au lieu d'un simple détail de narrateur, vous aurez ce qui est dans La Fontaine, un grand vers de poète et de peintre. Autre exemple :

Les alouettes font leur nid Dans les blés quand ils sont en herbe, C'est-à-dire environ le temps Que tout aime et que tout pullule dans le monde.

Nous tenons là, en plein relief, un des caractères du génie de La Fontaine. Trois premiers vers, très simples, terre à terre, presque prosaïques, aboutissent tout à coup à un grand vers à la Lucrèce, un vers superbe de tournure et d'énergie, et qui saute par-dessus la règle de césure, pour s'épandre plus largement. Or, savez-vous quelle faute se commet presque toujours? on récite tout ce passage sur le même ton, de façon qu'il va se perdre, se noyer dans la simplicité des trois premiers vers, ce splendide quatrième vers qu'il faut lancer à plein vol, les ailes étendues, comme un oiseau éclatant qui se lève tout à coup d'un buisson, et vous éblouit en s'envolant. Autre exemple tiré de l'Ours et l'amateur des Jardins :

Non loin de là, certain vieillard S'ennuyait aussi de sa part. Il aimait les jardins, était prêtre de Flore, Il l'était de Pomone encore; Ces deux emplois sont beaux, mais j'y voudrais parmi Quelque doux et discret ami.

Sentez-vous le contraste entre ces deux premiers vers, si modestes d'allures, et la tournure poétique des quatre autres? Oui ! Eh bien, faites-le sentir! Il est surtout un mot que je vous recommande, c'est le mot parmi. Il y a une faute grammaticale dans ce mot ainsi employé. Parmi est une préposition, il doit toujours être suivi d'un régime. Or, La Fontaine l'emploie absolument, comme un adverbe. Mais avec quelle grâce touchante! Ce terme, ainsi jeté tout seul à la fin du vers, a quelque chose d'inachevé, d'inexprimé, qu'il faut tâcher de rendre par la voix. Arrêtez-vous sur la voyelle finale, trouvez moyen par la douceur du ton, de peindre dans ce mot si court, le double charme de ce que possède ce vieillard et de ce qui lui manque, faites-moi rêver! Je pourrais multiplier les exemples à l'infini; ceux-ci suffisent pour rendre ma pensée, que je résume dans ce conseil : quand vous trouvez dans un vers un grain de poésie, recueillez-le précieusement, comme une parcelle d'or, et encadrez-le dans le cours de la phrase; il éclairera tout le reste.

(La Lecture en action, Hetzel, éditeur.)

QUESTIONS D'EXAMEN

I. — L'ensemble. — L'une des pages les plus charmantes de la Lecture en action. — 1 Quel est le conseil que donne Legouvé, et sur lequel il insiste tout particulièrement? 2 A-t-il recours à des explications purement théoriques pour montrer pourquoi et comment ce conseil doit être suivi? 3 Que fait-il ? (les exemples, après le précepte); 4 Convainc-t-il le lecteur de l'excellence du conseil donné? 5 Quelle impression laisse en vous la lecture de cette page ?

II. — L'analyse du morceau. — 1 Quelles vous paraissent être les divisions naturelles du morceau? a) Ce qu'est La Fontaine ; b) Conseil donné aux lecteurs des fables; e) Exemples à l'appui; 2 La Fontaine est-il seulement un fabuliste, un moraliste et un dramatiste? 3 Qu'est-il encore? 4 Quelle est la règle dont l'application induit le lecteur en erreur? 5 De quoi faut-il se préoccuper en lisant les fables? 6 Quels sont, dans le premier exemple, les mots qu'il faut prononcer avec une petite emphase ironique? 7 Dans l'exemple suivant, quel est le mot qui fait image et qu'il faut allonger par la diction? 8 Rappelez le vers qu'il faut lancer à plein vol, dans le passage cité ensuite comme exemple; 9 Et enfin, dans la dernière citation, quel contraste faut-il faire sentir; et quel mot le lecteur doit-il s'attacher à bien dire? roc, En quels termes l'auteur rappelle-t-il le conseil donné au début?

III. — Le style ; — les expressions. — to Montrez la clarté et l'animation du style (tout est clair, vivant.... L'esprit est heureux de comprendre aussi aisément, et l'on se dit à soi-même : Quel excellent et charmant professeur... ); 2 Faire ressortir également la netteté concise du style (...La Fontaine est encore poète et peintre...; ils le plaignent, ils ne le peignent pas...); 3 Legouvé ne peint-il pas lui-même par le style? (exacte appropriation du style au sujet; — relire notamment les phrases relatives à l'image du mot ramée, — à l'envolée du dernier vers de la troisième citation) ; 4 Relevez quelques belles images à la fin du morceau; 5 Quel est le sens de l'expression : un grand vers à la Lucrèce? Expliquez le mot dissonance.

IV. — La grammaire. — 1 Quels sont les mots de la même famille que palais et logés? 2 Indiquer quelques dérivés de vers et de or, — un synonyme de contraste, — de régime; 3 Nature et fonction de chacun des mots suivants : Soit! direz-vous, mais comment? Rédaction. — Quel plaisir prenez-vous à la lecture des Fables de La Fontaine? — Est-il une de ces fables qui vous plaise plus particulièrement (laquelle?) et que vous aimiez à relire? (dire pourquoi).

fontaine

« terre, presque prosaïques, aboutissent tout à coup à un grand vers à la Lucrèce, un vers superbe de tournure etd'énergie, et qui saute par-dessus la règle de césure, pour s'épandre plus largement.

Or, savez-vous quelle faute secommet presque toujours? on récite tout ce passage sur le même ton, de façon qu'il va se perdre, se noyer dans lasimplicité des trois premiers vers, ce splendide quatrième vers qu'il faut lancer à plein vol, les ailes étendues, commeun oiseau éclatant qui se lève tout à coup d'un buisson, et vous éblouit en s'envolant.

Autre exemple tiré de l'Ourset l'amateur des Jardins : Non loin de là, certain vieillardS'ennuyait aussi de sa part.Il aimait les jardins, était prêtre de Flore,Il l'était de Pomone encore;Ces deux emplois sont beaux, mais j'y voudrais parmiQuelque doux et discret ami. Sentez-vous le contraste entre ces deux premiers vers, si modestes d'allures, et la tournure poétique des quatreautres? Oui ! Eh bien, faites-le sentir! Il est surtout un mot que je vous recommande, c'est le mot parmi.

Il y a unefaute grammaticale dans ce mot ainsi employé.

Parmi est une préposition, il doit toujours être suivi d'un régime.

Or,La Fontaine l'emploie absolument, comme un adverbe.

Mais avec quelle grâce touchante! Ce terme, ainsi jeté toutseul à la fin du vers, a quelque chose d'inachevé, d'inexprimé, qu'il faut tâcher de rendre par la voix.

Arrêtez-voussur la voyelle finale, trouvez moyen par la douceur du ton, de peindre dans ce mot si court, le double charme de ceque possède ce vieillard et de ce qui lui manque, faites-moi rêver! Je pourrais multiplier les exemples à l'infini; ceux-ci suffisent pour rendre ma pensée, que je résume dans ce conseil : quand vous trouvez dans un vers un grain depoésie, recueillez-le précieusement, comme une parcelle d'or, et encadrez-le dans le cours de la phrase; il éclaireratout le reste. (La Lecture en action, Hetzel, éditeur.) QUESTIONS D'EXAMEN I.

— L'ensemble.

— L'une des pages les plus charmantes de la Lecture en action.

— 1 Quel est le conseil que donneLegouvé, et sur lequel il insiste tout particulièrement? 2 A-t-il recours à des explications purement théoriques pourmontrer pourquoi et comment ce conseil doit être suivi? 3 Que fait-il ? (les exemples, après le précepte); 4Convainc-t-il le lecteur de l'excellence du conseil donné? 5 Quelle impression laisse en vous la lecture de cette page? II.

— L'analyse du morceau.

— 1 Quelles vous paraissent être les divisions naturelles du morceau? a) Ce qu'est LaFontaine ; b) Conseil donné aux lecteurs des fables; e) Exemples à l'appui; 2 La Fontaine est-il seulement unfabuliste, un moraliste et un dramatiste? 3 Qu'est-il encore? 4 Quelle est la règle dont l'application induit le lecteuren erreur? 5 De quoi faut-il se préoccuper en lisant les fables? 6 Quels sont, dans le premier exemple, les mots qu'ilfaut prononcer avec une petite emphase ironique? 7 Dans l'exemple suivant, quel est le mot qui fait image et qu'ilfaut allonger par la diction? 8 Rappelez le vers qu'il faut lancer à plein vol, dans le passage cité ensuite commeexemple; 9 Et enfin, dans la dernière citation, quel contraste faut-il faire sentir; et quel mot le lecteur doit-ils'attacher à bien dire? roc, En quels termes l'auteur rappelle-t-il le conseil donné au début? III.

— Le style ; — les expressions.

— to Montrez la clarté et l'animation du style (tout est clair, vivant....

L'espritest heureux de comprendre aussi aisément, et l'on se dit à soi-même : Quel excellent et charmant professeur...

); 2Faire ressortir également la netteté concise du style (...La Fontaine est encore poète et peintre...; ils le plaignent,ils ne le peignent pas...); 3 Legouvé ne peint-il pas lui-même par le style? (exacte appropriation du style au sujet;— relire notamment les phrases relatives à l'image du mot ramée, — à l'envolée du dernier vers de la troisièmecitation) ; 4 Relevez quelques belles images à la fin du morceau; 5 Quel est le sens de l'expression : un grand vers àla Lucrèce? Expliquez le mot dissonance. IV.

— La grammaire.

— 1 Quels sont les mots de la même famille que palais et logés? 2 Indiquer quelques dérivés devers et de or, — un synonyme de contraste, — de régime; 3 Nature et fonction de chacun des mots suivants : Soit!direz-vous, mais comment?Rédaction.

— Quel plaisir prenez-vous à la lecture des Fables de La Fontaine? — Est-il une de ces fables qui vousplaise plus particulièrement (laquelle?) et que vous aimiez à relire? (dire pourquoi).. »

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