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L'expérience est-elle la condition nécessaire, est-elle la condition suffisante du plein exercice de la pensée rationnelle ?

Publié le 26/03/2004

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Sous prétexte de penser par soi-même, il ne faut pas s'isoler du monde des êtres pensants, car le résultat de cet isolement serait désastreux pour la pensée personnelle elle-même : la société d'individus qui pensent est un stimulant indispensable de l'esprit qui, dans la solitude, s'assoupit et s'endort. A plus forte raison irait-on à l'encontre du but poursuivi si l'on négligeait systématiquement les penseurs qui ont fait leurs preuves dans le passé ou même dans le présent : c'est leur personnalité qui leur a valu l'influence qu'ils exercent et pour se former é la pensée personnelle la modestie et la sagesse conseillent de se mettre à leur école. b) On se ferait encore une grossière illusion si l'on considérait comme penseur personnel celui qui affecte de prendre systématiquement le contre-pied des idées communément admises par les personnes de bon sens. Quoiqu'il puisse paraître personnel au vulgaire qu'il déconcerte, quiconque s'abandonne à la manie de la contradiction ou au culte du paradoxe subit l'influence de son milieu, tout comme l'esprit sans envergure qui adopte de confiance les opinions reçues. Lui aussi est déterminé par l'exemple des autres, et ce n'est pas l'habitude de réagir en sens contraire qui lui donne une véritable personnalité. c) D'ailleurs il n'est pas nécessaire, pour penser personnellement, de trouver des idées nouvelles que personne n'avait encore formulées. Si par l'observation des hommes et celle de ma propre vie intérieure je parviens à la découverte d'un principe psychologique que je retrouve ensuite chez un auteur qui a profondément pénétré dans le coeur humain, ma pensée reste tout aussi personnelle que si j'étais le premier à obtenir ce résultat. B. Interprétation authentique. - Qui voudra penser par lui-même, commencera donc par bannir toute prétention de se faire remarquer par les autres ou de l'emporter sur eux.

« II.

— VALEUR. Le conseil de penser par soi-même pouvant être mal interprété, on ne salirait assurer qu'il n'est pas de meilleur motd'ordre.A.

Dangers.

— Sans doute il y a pour tout être qui pense un domaine dans lequel il est capable de penser par lui-même, mais l'invitation générale à penser par soi-même peut amener des esprits simplistes à vouloir dépasser leslimites de ce domaine : le manoeuvre voudra en remontrer à l'ingénieur; le simple électeur, tout juste compétentdans le modeste cadre de sa profession, à l'économiste qui a passé des mois, aidé d'une équipe de spécialistes, àarrêter le plan de la production nationale.

On entrevoit les néfastes conséquences d'une telle disposition d'esprit.a) Au point de vue intellectuel, provoqués prématurément à penser par eux-mêmes, nombre de jeunes n'atteindrontjamais le stade de la véritable pensée .personnelle.

Ils négligeront le long et rude labeur nécessaire pour acquérir lesconnaissances sans lesquelles on ne saurait émettre un jugement motivé; par suite, à défaut de raisons véritables,c'est d'après de vagues impressions personnelles et, plus souvent encore, d'après les influences inconsciemmentsubies qu'ils se prononceront dogmatiquement.

En effet, le souci de rester ou plutôt de paraître indépendantsassocié à l'ignorance de la complexité des problèmes les rendra imperméables aux critiques des autres en l'absencedesquelles il est bien difficile de s'éveiller à l'esprit critique ou de le conserver..b) Du point de vue moral, la prétention injustifiée à penser par soi-même est une forme de fatuité et d'orgueil qu'onappelle la suffisance.

Cette attitude n'est pas seulement ridicule : elle est la manifestation d'un état d'esprit quipeut amener à des actes réprouvés par le sens moral le...

moins délicat : celui qui se met au-dessus des autres estprédisposé à sacrifier les autres à soi.

Aussi une insistance inopportune pour amener quelqu'un à penser par lui-même risque de le faire descendre dans l'échelle de la moralité.c) Il est plus facile encore de prévoir les regrettables résultats que peut avoir, dans le domaine social, une invitationinconsidérée à penser par soi-même.

Si, dans une société où chacun se flatte d'avoir une pensée personnelle, il n'ya guère d'esprit critique, l'esprit de critique est fort développé.

Il n'est point d'idée ou de projet qui ne soit discutéet tourné en ridicule.

Dès lors, une action commune serait impossible si l'État ne disposait de puissants moyens defaire l'opinion.

Mais ces propagandes orchestrées pour amener la masse à penser ce qu'on désire qu'elle pense,nécessaire dans un pays qui reconnaît à chacun le droit d'avoir sur toutes choses sa pensée personnelle,aboutissent à la disparition de la pensée véritablement personnelle.

Sur le plan collectif comme sur le plan individuel,il suffit de prétendre penser par soi-même pour manquer le but. B.

Bienfaisance.

— Donné à bon escient, le conseil de penser par soi-même n'en est pas moins louable.

On peutmême considérer comme l'essentiel de l'éducation intellectuelle de savoir proposer à chacun, aux différents stadesde son développement intellectuel, la matière sur laquelle pourra s'exercer sa pensée personnelle.a) En effet, la formation intellectuelle doit rendre capable de penser personnellement.

Or, la nécessité dans laquellese trouvent l'écolier et l'étudiant modernes d'accumuler une grande masse de connaissances, la facilité que donne lacivilisation d'augmenter son savoir, risquent d'amenuiser à l'extrême la part de réflexion personnelle : à la fin de sesétudes, le jeune homme est un puits de science, mais il parfois moins de bon sens que l'ouvrier du même âge qui adû tous les jours porter des jugements sur les hommes et sur les choses.

Aussi les maîtres Colt-ils grandementraison d'insister pour que leurs élèves, dans leurs réponses aux questions qui leur sont posées, fassent appel à leurraison plus qu'à leurs livres. b) D'ailleurs, étant donné que la formation morale consiste à devenir maître de soi, c'est l'homme tout entier, et nonpas seulement l'intelligence que développera l'effort pour penser par soi-même.

En effet, c'est par paresse etindolence que nous nous contentons de répéter ce que di-.

sent les autres.

La tendance à penser véritablement parsoi-même implique donc le renoncement aux solutions faciles : celui qui prétend à une pensée personnelle secondamne aux recherches nécessaires pour se faire une opinion justifiée il se surveille pour ne pas céder àl'entraînement de la mode ou aux conceptions qui le flattent.

Ainsi, le maître qui a donné à ses élèves une idée justede là pensée personnelle et les 'entraîne dans cette voie est un remarquable éducateur. CONCLUSION. - Penser par soi-même est un idéal vers lequel tout jeune homme doit tendre.

Mais, comme toutes les vertus, il ne se développe que par l'exercice, et pour être profitable l'exercice doit être adapté à la force de celuiqui l'exécute.

Il ne s'agit donc pas de se répéter : « pensons par nous-mêmes », pas davantage de chercher à sefaire des idées dans des domaines étrangers à nos occupations ordinaires.

Pour l'écolier ou l'étudiant, il n'est pas demeilleur moyen de développer en eux une personnalité originale que de ne pas esquiver les efforts de réflexionpersonnelle que leur demande leur travail professionnel.. »

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