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Expliquer et apprécier ce sonnet de Jules Lemaître

Publié le 09/02/2012

Extrait du document

 

Que fuyais-tu, penseur, quand ton inquiétude

Vaguait par les chemins d'Amsterdam à Paris,

Et dérobait ta piste à tes meilleurs amis,

Descartes, fier génie, âme ombrageuse et rude?

Tu fuyais tous les jougs chers à la multitude :

L'opinion, collier du vulgaire soumis,

Et la tradition qui nous tient endormis,

Et l'asservissement qui naît de l'habitude ..

Pour conquérir le vrai, de solitude épris,

Tu cherchais, grand aïeul, sauveur de nos esprits,

Dans ta fuite sans fin, la lillerté sereine.

Déjouant des milieux l'obscure trahison,

Tu retrouvais, héros qui relève une reine,

Les titres oubliés de l'humaine Raison.

Un sonnet de J. Lemaître n'est point chose banale. Les vers du grand critique, à ses heures poète, sont drus, riches de pensée, ingénieux, toujours suggestifs. Mais avec lui on ne sait jamais si l'opinion d'aujourd'hui sera celle de demain et, lorsqu'on a bien contemplé l'un de ses « Médaillons «, il est prudent de regarder si le peintre n'y a pas adossé un « correctif « - comme à celui de La Rochefoucauld - ou l' « impression « seconde modifie ou dément même la première. On est à l'aise avec un pareil écrivain; aussi ne craindrons-nous pas de contredire, à l'occasion, celui qui s'est contredit par plaisir, par dessein....

« l'on a gravé avec raison sur le socle de sa statue le fameux Cf!gito, erg? sum : si sa mémoire demeure vivante parmi les hommes, c'est qu'Il a pense.

Le titre de Génie n'est pas moins justifié.

On accorde ordinairement ce nom à céux qui porte~t au plus J;laut.

degré les facultés hu~ai?es, e~, plus spécialement aux createurs, qm decouvrent quelque prmc1pe fecond.

Descartes, d~ns les deux sens, y a droit .• ~ 1? ans, il a fait l.e tour de ~a science de son temps et il en constate l md1gence.

Il conçmt le dessem audacieux de la sortir des écoles, de lui donner de l'air, de la mettre réso­ lument en contact avec le « monde », avec le « siècle ».

Il a une foi absolue en la valeur de son esprit et, sans effort apparent, il atteint ses fins.

Il n'a que 23 ans quand il fait sa grande découverte.

Il entrevoit, comme un songe, une Méthode universelle d'explication, dont les mathématiques sont le type.

Elle comporte, outre la généralisation de la géométrie par un nouveau mode d'union avec l'algèbre (géométrie analytique), la réduction de toute la science de la nature (physique) à la g~ométrie.

Et ct; .n'est pas q~:un ~~au rêve : cette vision s'accompagne de decouvertes pos1hves et de lmtmtwn d'un nombre incalculable d'applications.

Penseur, Génie, oui! mais Héros? Descartes mérite-t-il cet honneur? Ici, l'unanimité· cesse.

Il nous plaît de recueillir cette appellation sous la plume d'un Allemand : le philosophe Hegel : « C'est un heros : il a repris entière­ ment les choses par leur commencement.

» De fait, si l'on nomme héroïsme la volonté de se soutenir par soi seul, on peut dire que la façon de penser de Descartes est héroïque ...

Mais ce qu'affirme un philosophe, un autre le nie ...

Il s'est trouvé des Français, des philosophes, pour refuser à Des­ cartes tout héroïsme intellectuel.

Ils l'accusent de s'être montré lâche en face de Rome, d'avoir tremblé en apprenant la condamnation de Galilée (1633) et renoncé alors à publier son Traité de la Lumière, où il exposait l'ensemble de sa « Ph>'sique ».

Ils citent, comme preuve de sa pusillanimité, la lettre de Bossuet, ou il est dit.

: «M.

Descartes a toujours craint d'être noté par l'Eglise, et on lui vit prendre sur cela des précautions qui allaient jusqu'à l'excès.» - En réalité, Descartes ne fut- intellectuellement parlant - ni un lâche, ni un héros.

Plus encore que la vérité, il aimait la tranquillité; et lui, qui avait bravement combattu aux armées, n'eût pas affronté la mort pour faire triompher ses idées : « Il y a, écrit-il, déjà tant d'opinions en phi­ losophie qui ont de l'apparence, et qui peuvent être soutenues en dispute, que si les miennes n'ont rien de plus certain et ne peuvent être approuvées sans controverse, je ne les veux jamais publier.» PHYSIONOMIE MORALE DE DESCARTES.

-Quelques traits de la physionomie morale de Descartes nous sont déjà apparus à travers les titres que lui ciécerne J.

Lemaître, et que nous nous sommes permis d'examiner.

Pour­ suivons l'étude de cette miniature.

L'inquiétude, c'est-à-dire l'inaptitude à demeurer tranquille, voilà bien la bizarrerie la plus déconcertante chez un philosophe avide de tranquillité.

On l'a expliquée de diverses manières.

Curiosité étrangère à la curiosité scientifique, se complaisant dans les spectacles pompeux et, en dernière ana­ lyse, procédant d'une imagination romanesque : c'est la thèse de Paul Janet.

Agitation maladive, prétendent d'autres.

Fuite incessante de tous les jougs qu'imposent une résidence permanente, une société toujours la même, afin de conquérir une entière liberté et, par elle, la vérité, insinue J.

Lemaître.

Cette fois, il semble avoir pleinement raison et tenir la clef de l'énigme.

Nous comprenons ainsi ces disparitions mystérieuses, ces brusques changements de domicile, ces fugues lointaines au fond de la Bavière, de l'Allemagne du Nord, de la Suède glacée, cette navette entre Paris et Amsterdam, cette diver­ sité de travaux, d'occupations et de relations, et aussi cette obstination à n'accepter aucune charge, à tourner le dos à la fortune et à refuser le mariage.

Oui, il fuit tous les jougs qui pèsent sur les épaules des mortels.

Mais ces jougs n'ont-ils pas une raison d'être, ne sont-ils pas salutaires à nos âmes, nécessaires à la société? J.

Lemaître en parle bien légèrement· son '?~ocès est.

un peu sommaire, faute de place, sans doute.

-Certes, i•opi­ n!on, « _reme du monde», exerce sur nous un empire tyrannique; penser, 11hre, fmre « comme tout le monde », telle est la constante préoccupation de la plupart des.

hommes,, et.

c~la n'e~t guère noble.

Mais n'y a-t-il pas autant de danger a, braver l opmwn qu'a s'y soumettre servilement? N'est­ elle pas souvent l expression du commun bon sens, avec lequel il est. »

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