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Les Fables, La Fontaine: "C'est une ample Comédie aux cent actes divers, / Et dont la scène est l'Univers"

Publié le 16/10/2010

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fontaine

 

Ce sont les Fables publiées à partir de 1668 et écrites en référence à l'inspirateur grec Esope qui marquent le mieux le talent inventif de La Fontaine. Sous prétexte de mettre ces histoires « sues de tout le monde « en vers, il renouvelle le genre en les égayants. On doit aussi à ce poète des poésies, des pièces de théâtre et des livrets d'opéra. La Fontaine est multiple et semble côtoyer tous les genres, il fait alors de sa carrière un travail de diversité. Il fige cette diversité que le caractérise et en fait une description de ses fables dans un vers du Bucheron et Mercure (Livre V, fable 1): « C'est une ample Comédie aux cent actes divers, / Et dont la scène est l'Univers «.

Comment comprendre alors que les fables de la Fontaine soient une comédie, c'est-à-dire une construction théâtrale, une feinte destinée à être représentée mais qu'elles soient en même temps le juste reflet de l'univers dans toute sa diversité?

Pour y répondre, nous verrons dans un premier temps que les fables sont effectivement une comédie, une mise en scène de fiction pour plaire à la cour, mais qu'en deuxième temps, les fables sont aussi le reflet juste et véritable de la société et du monde dans sa diversité et qu'en troisième temps, les fables sont une « ample comédie « qui dépeint fidèlement la réalité à travers le prisme du poète grâce à une écriture plaisante faite pour instruire.

 

Si La Fontaine parle d'une "ample comédie" en qualifiant ses fables c'est que de nombreuses fables peuvent s'apparenter à des pièces de théâtre, à des comédies. Le mot comédie vient du latin comoedia et possède le sens général de « pièce de théâtre «. La fable qui est l'"expression d'une vérité sous le voile de quelque fiction" (dictionnaire de l'Académie Française) a en commun avec la pièce de théâtre la "feinte" (du latin fictio). Beaucoup de fables de La Fontaine s'apparentent à des pièces de théâtre par leur construction et leur structure. La dramaturgie classique donne les codes de construction d'une pièce, que ce soit une tragédie ou une comédie. La pièce s'organise en trois temps avec tout d'abord l'exposition puis la progression de l'action et enfin le dénouement. Au théâtre, l’exposition est le premier moment de la pièce destinée à faire part au public de tout ce qu’il a besoin de connaître pour comprendre l’action et en suivre la marche. L’auteur doit annoncer le sujet au public, lui exposer le temps et le lieu de l’action, lui en présenter les personnages, en expliquer les ressorts, les intérêts et les passions en présence. Pour ne pas lasser ni choquer le public, cette étape doit être rapide. Il en est de même dans les fables: la concision caractérise l'écriture de La Fontaine. Ainsi dans Les Deux Coqs ( Livre VII, fable 12 ) l'exposition est faite en deux vers: "Deux coqs vivaient en paix; une Poule survint, et voilà la guerre allumée." ou dans Le Lion devenu vieux (III, 14 ) l'exposition est faite aussi rapidement: "Le Lion, terreur des forets,/ Chargé d'ans, et pleurant son antique prouesse,/ Fut enfin attaqué par ses propres sujets,/ Devenus fort par sa faiblesse.". Le déroulement de l'action, lui est progressif. La fable, de même qu'une pièce de théâtre peut être découpée en actes, chaques actes apportant un élément supplémentaire.  Dans Le Loup et l'Agneau (I, 10) il y a une exposition où l'agneau se désaltère, un premier acte quand le loup arrive actes, puis un deuxième acte lorsque le loup discute avec l'agneau et comme dans une pièce de théâtre, le dénouement est bref et complet: "Là-dessus, au fond des forêts/ Le loup l'emporte, et puis le mange, / Sans autre forme de procès.".

Depuis Jodelle (1552) le mot comédie prend le sens plus précis de « pièce divertissante représentant des personnages de moyenne et basse condition « en opposition à la tragédie.   Au XVII ème siècle la comédie se termine gaiement. Selon La Fontaine, la gaieté n'est pas simplement « ce qui excite le rire «. Elle est davantage « l’air agréable « que l’on donne à un sujet sérieux lorsque l’on souhaite inviter le lecteur à la réflexion. Le poète pratique ainsi une sorte d’esthétique de la gaieté. Dans la fable Les Deux Coqs il n'y a pas de  gravité dans l'évocation du combat fratricide des deux Coqs ou dans l'intervention du Vautour , mais une moquerie joyeuse. La Fontaine utilise le mécanisme employé par les auteurs de comédies: le renversement de situation qui fonctionne lorsque le résultat est l'inverse de celui escompté. Le lecteur souri quand le personnage est pris à son propre défaut, comme par exemple dans Le cerf se voyant dans l'eau (VI, 9) où l'animal aveuglé par sa beauté se rend compte que sa vie tient à ce à quoi il ne faisait pas attention, ses jambes et non pas ses bois. La Fontaine joue avec ses personnages et crée l'amusement de son lecteur grâce notamment à de nombreux procédés comique: le comique de caractère présent dans les Devineresses (VII, 14) où il est représenté la naïveté de ceux qui vont voir les voyantes; le comique de situation lorsque après avoir fait le souhait de l'abondance, le personnage de la fable Les Souhaits (VII, 5) se trouve heureux du retour de la médiocrité;  ou encore le grossissement burlesque quand dans Les Deux Coqs le combat dans le poulailler est comparé à la guerre de Troie. Mais la fable tout comme la comédie est faite pour plaire à la cour du roi. Elle doit être construite pour être plaisante. La Fontaine reconnaît dans la « Préface « de Psyché: « Mon principal but est toujours de plaire «.

 

Nous avons vu que Les Fables de La Fontaine étaient le fruit d'une construction, qu'elles s'apparentaient au théâtre, et qu'elles mettaient en place un système de feinte pour plaire à l'époque. Mais au contraire les fables sont ce qu'il y a de plus réaliste, elles rendent compte de l'univers dans sa diversité grâce à une écriture plurielle. Le mot comédie ne renvoie plus au théâtre mais à une représentation de l'univers. Les Fables de La Fontaine étudient les mœurs et en ce sens qu'elles sont une véritable "comédie humaine". Nous allons voir que c'est à l'aide d'une écriture plurielle que La Fontaine fait la peinture du monde et montre « cent actes « à travers tout d'abord les différents genres et registre puis les différentes situations et mœurs représentées et enfin la diversité des acteurs des fables.

A l'origine la fable (de Phèdre ou d'Esope) était un récit bref où en quelques mots était conté une aventure suivie d'une morale rapide. Chez La Fontaine on voit apparaître des histoires plus détaillées. Le poète complexifie les traits de caractère et les actions des personnages. Beaucoup de fables sont des récits comme Les Animaux malades de la peste (VII, 1), mais d'autres ne renferment aucune action. Parmis elles il y a des discours sous forme de réflexions philosophique: le livre IX  s'achève par le Discours à Madame de La Sablière sur l'âme des animaux ainsi que le Discours à Monsieur de La Rochefoucauld à la fable 14 du livre X, qui parle de la ressemblance de comportement des êtres humains et des animaux. D'autres encore sont des conversations ( La mort et le mourant (VII, 1), L'Aigle et le Hibou (V ,18 )), un songe (Le Songe d'un habitant du Mogol (XI, 4)), ou des méditations (Un animal dans la lune (VII, 17)). Il y a des récits aux personnages mythologiques: La fille de minée et Philémon et Baucis et des contes au livre XII: La Matrone d'Ephèse et Belphégor. La pluralité des genres contribue à faire des fables le mime de la réalité à travers les différents degrés que peut avoir l'univers. La pluralité de registre contribue à cet effet de reflet de la réalité. Malgré les contraintes du classicisme les fables s'ouvrent au lyrisme et  portent à la rêverie (La laitière et le pot au lait (VII, 9)) et à l'émerveillement par exemple à travers l'interrogation rhétorique de L'Horoscope (VIII, 16): "Comment percer des airs la campagne profonde?". Il y a aussi la présence du registre élégiaque: ce lexique au service de l'expression de la souffrance amoureuse se remarque dans le vers "L'absence est le plus grand des maux" de la fable Les Deux Pigeons (IX, 2). Ainsi La Fontaine se sert de multiples registres différents et de tous les genres pour mimer la vie et faire de ses fables le reflet de la réalité.

La Fontaine évoque l'univers dans sa diversité à travers des situations et des personnages différents. Les "cent actes" représentent cet univers constamment en effervescence grâce à de nombreux acteurs: les animaux et les hommes. Les animaux peuvent être très variés: On y trouve d'abord les forts et les puissants: le chat, le lion, la lionne, le loup, le renard, l'aigle, le milan et le vautour et les faibles, les victimes: le mouton, l'agneau, la brebis, le chevreau, l'âne, la souris, les poissons...Les êtres humains eux sont définis par leur fonction sociale et ils sont de toutes les fonctions : roi, médecin, paysan, fermier, meunier, marchand, chasseur... Les animaux empruntent la voix des hommes et tous les rôles de la comédie sociale. Ils ne sont pas des bêtes, "ce sont des bêtes qui jouent le rôle des hommes quand les hommes font les bêtes.".La Fontaine dépeint une humanité livrée à ses passions à travers le trait de caractère des animaux. Les vices innombrables l'emportent sur la vertu: la fourberie, la flatterie, la sottise, le bavardage l'emportent sur les vertus rares de l'amour, de l'amitié, du courage. Les animaux incarnent et mettent en mouvement des idées et des notions morales, à les rendre parlantes et expressives.  Le passage de l'humanité à l'animalité permet à La Fontaine de montrer que la bête est dans l'homme, image du désir et des pulsions qu'il y a en lui. Car la Fontaine dans ses Fables fait la peinture d'un monde avec ses mauvais pendants et ses noirceurs. C'est d'ailleurs ce qui fait que son écriture est le reflet de la réalité aux faces multiples. Les fables nous donnent à voir un monde régit par la force brutale, c'est-à-dire la loi de la nécessité de l'appétit: le plus fort dévore le plus faible...Cette violence est partagée par les animaux et les hommes. La cruauté est dans toutes les fables comme une condition à l'existence, la cruauté même de la vie est dépeinte: "Enfin n'en pouvant plus d'effort et de douleur, / Il met bas son fagot, il songe à son malheur" (la Mort et le Bucheron (I, 15). La mort est souvent présente et même personnifiée comme dans le Mort et le Malheureux (I, 15) ainsi que la maladie et la fatalité représentée dans Les Animaux malades de la peste: "Ils ne mourraient pas tous, mais tous étaient frappés". La diversité des actants, des situations et des mœurs fait des fables le reflet de la pluralité de l'univers.

Pour faire ses fables La Fontaine fait preuve d'une observation minutieuse. Il fait une peinture quasi complète de la société du XVIIème siècle et reproduit le schéma d'une société de sacrifice c'est en cela qu'il est celui qui capture la réalité de son temps. Il décrit la cour comme un monde à part et utilise le terme de "pays" (les Obsèques de la Lionne VIII, 14). Ce monde est cruel (Les animaux malades de la Peste (VII,1), Les Devineresses (VII,14)...) et les courtisans qui veulent plaire au roi sont " peuple caméléon, peuple singe du maître" ( les Obsèques de la Lionne).La noblesse est représentée par Le Marchand, Le Gentilhomme, le Pâtre et le fils du Roi (X, 15) et leur manque d'esprit pratique les identifie. Les grands seigneurs ont des dettes qu'ils ne remboursent pas, ou le plus tard possible comme dans La Chauve-souris, Le Buisson et Le Canard (XII, 7) où il y a un "simple grand seigneur, qui tous les jours se sauve/ Par un escalier dérobé." mais aussi la noblesse se désintéresse de l'éducation de ses enfants: on peut le voir dans L'Education (VIII, 24). Les fables traitent de la bourgeoisie la plus en vue: le financier, où dans Le Savetier et le Financier (VIII,2), il jalouse un savetier pour sa tranquillité; les marchands ou les "trafiquants" . La fontaine donne un indice historique en parlant de ceux qui pratiquent le commerce maritime et qui affrètent des bateaux vers l'Orient ou les Indes. Ainsi il parle de la politique coloniale de la France  dans les années 1670 comme dans la fable Le Paysan du Danube (XI, 7). Il traite, comme Molière le sujet des médecins incompétents et cupides. Les magistrats et plus particulièrement la justice est traitée dans Le Chat, la Belette et le petit Lapin (VII, 15). Il fait enfin le portrait dans gens de la campagne à travers les paysans, bucherons, meuniers exploités par les classes sociales supérieures.

 

Enfin, La Fontaine opère une reconstruction complète de l'univers dans la comédie que sont les fables. Les fables sont une construction, comme la pièce de théâtre mais sont aussi le reflet du réel. Nous verrons donc qu'il s’agit d'un condensé de réalité mis en scène grâce à une écriture de l'animation, comme l'écriture dramatique puis qu'il s’agit d'une réalité qui décrite par l'humour donne la satire et qu'enfin les fables, les miroirs de la réalité visent par le réalisme de la comédie à instruire et plaire.

La Fontaine fait de ses fables un condensé de réalité. Grâce au talent du poète, la fable devient une comédie, elle donne l'illusion du vrai à l'aide d'une écriture animée. A l'origine, toute pièce classique doit entretenir le spectateur dans l'illusion pour qu'il assiste non pas à la représentation d'une œuvre de fiction mais au déroulement sur scène d'une histoire réelle. Pour cela La Fontaine donne aux histoires un ton animé par la vivacité du récit: le narrateur s'adresse directement au lecteur "Elle en dit tant, que Monsieur à la fin/ Lassé d'entendre un tel lutin, / Vous la renvoie à la campagne" Le mal marié (VII, 2); il est fait la description imagée des attitudes (La Fille VII, 4); l'effet de surprise participe également à la vivacité du récit comme dans des expressions telle qu'une  " ignorante à vingt trois carats" dans Les Devineresses, ainsi que les jeux sur les sonorités et les vers (La laitière et le Pot au lait VII, 9). Mais aussi La Fontaine donne la parole à ses personnages pour des scènes qui se rapprochent du dialogue théâtral. Tantôt surgissent les monologues: "Moi, des tranches? Dit il, Moi le Héron que je fasse/ Une si pauvre chère? Et pour qui me prend-on ? " (Les Héron VII, 4); et tantôt des dialogues par exemple dans Le Loup et l'Agneau (I, 10)ou le loup s'adresse à l'agneau: "Si ce n'est pas toi, c'est donc ton frère./-Je n'en ai point. - C'est donc quelqu'un des tiens".

Pour La Fontaine, nous venons de le voir, l'animation du récit procure l'enseignement par le plaisir qu'il procure, mais il fait aussi de sa "comédie humaine" une satire fruit justement de son observation de l'univers. D'ailleurs, une des étymologies du mot comédie est "poème satirique". Mais La Fontaine disperse et mêle ses remarques satiriques à des plaisanteries. Le roi apparaît peu intelligent dans Les Obsèques de la Lionne, injuste dans Le Chat, la Belette et le petit Lapin mais toujours fait sous la coupe de l'humour. La première image du pouvoir que nous pouvons voir dans les fables est l'iniquité, le cynisme et les abus commis  aux dépends du plus faible, du plus timide et du moins hypocrite. La cour est sans scrupule. Ainsi dans Les animaux malades de la peste, l'âne est mis à mort non pas parce qu'il est le plus coupable mais parce qu'il est le plus faible. De plus la fable illustre le despotisme le plus effréné à travers la figure du lion représentant du roi. La figure du berger dans Le Berger et le Roi ainsi que dans Le Marchand, le Gentilhomme, le Pâtre et le Fils du Roi (X, 15) apparait comme la figure christique par excellence, celui qui guide le peuple, celui aussi qui est aux antipodes du roi. L'humour présent tout au long des fables permet de dédramatiser la satire. On peut le voir avec l'utilisation de jeu de mot dans Le Chat et le Renard (IX,14) au vers: "Croquant mainte volaille, escroquant maint fromage" ainsi que des comparaisons: "Les sages autrefois, ainsi que l'écrevisse/ Marchent à reculons." (L'Ecrevisse et sa fille (XII, 10).  La Fontaine nous présente sa réalité, sa vérité qui est présentée dans un écart, donc plus aisément recevable pour le lecteur. Avant d'être indigné, le lecteur est divertit. La Fontaine ainsi atteint son but. Faire voir la société de son temps à travers le prisme de la fable.

Par l'animation et l'humour que La Fontaine donne à son discours il fait une certaine mimesis c'est-à-dire imitation (mime-sis) de l'univers. La mimésis est développée par Aristote et est opérationnelle au théâtre. Dans les fables on peut aussi parler de mimésis car il s'agit d'un nouvel objet représentant le réel et qui opère un apprentissage. Cet apprentissage peut sembler contradictoire aux vues des mœurs représentées ou des morales qu'on peut discuter comme dans L'Enfouisseur et son compère où il est dit: "il n'est pas malaisé de tromper un trompeur". Mais par la mimésis de la réalité on voit apparaitre la catharsis développée par Aristote  c'est-à-dire à dire "l'épuration des passions par le moyen de la représentation dramatique". La fable en tant que comédie opère la catharsis et c'est donc "en assistant à un spectacle théâtral, l'être humain se libère de ses pulsions, angoisses ou fantasmes en les vivant à travers le héros ou les situations représentées sous ses yeux. La catharsis désigne donc la transformation de l'émotion en pensée. ". Dans le cadre de la morale, qu'elle soit présente ou non, la fable opère un enseignement à travers le plaisir et la gaité qu'elle représente. Et c'est exactement ce que voulait La Fontaine en disant: "Il faut plaire pour instruire".

 

Les Fables de La Fontaine peuvent s'apparenter à des pièces de théâtre dans leur forme avec le respect des actes et les dialogues, mais aussi dans le contenu qui est le reflet du réel dans toute sa diversité. Le poète se sert d'une écriture animée et gaie pour faire la peinture d'une "comédie humaine" pour ainsi plaire et instruire tout en donnant sa vision propre de la réalité de son temps. Avec les fables La Fontaine est le metteur en scène de l'univers.

 

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