Devoir de Philosophie

Les faits parlent-ils d'eux-mêmes ?

Publié le 22/02/2004

Extrait du document

..des choses... participant au caractère de la chose en soi ». Pour Brunschvicg, la science qui substitue à l'épaisseur énigmatique du monde un réseau translucide de relations mathématiques, justifierait plutôt l'idéalisme. Ne transforme-t-elle pas la matière en idées, en formules algébriques transparentes pour l'esprit ? Pour Bergson, la science représente un ensemble de conventions commodes mais artificielles qui permettent plutôt de manipuler le monde que de le comprendre. Merleau-Ponty, plus proche de Bergson qu'il ne le pense, écrit dans cet esprit que « la science manipule les choses et renonce à les habiter ». C'est là une interprétation nominaliste de la science. La philosophie de Bachelard n'est pas une réflexion a posteriori sur la science déjà faite. Elle veut tirer des enseignements du travail lui-même, de la science en train de se faire. C'est pourquoi elle apparaît plus complexe et plus nuancée.

« constater.

Je constate que la terre tremble.

Le géologue, se référant à la tectonique, expliquera la cause dece phénomène.

Cette cause est extérieure au fait lui-même.

Il ne livre jamais, en se produisant, les élémentsqui le rendent intelligible. Dans son « Introduction à l'étude de la médecine expérimentale » (1865), Claude Bernard caractérise la démarche expérimentale comme un processus qui comporte trois moments : § L'observation .

Le savant constate purement et simplement le phénomène qu'il a sous les yeux.

Il doit observer sans idée préconçue, en évitant toute erreur, en faisant usage des instruments quipourront l'aider à rendre son observation plus complète.

Photographe passif des phénomènes,l'observateur « écoute la nature et écrit sous sa dictée ». § L'interprétation ou hypothèse .

Le fait constaté et le phénomène bien observé appellent l'idée. § L'expérimentation .

Le savant institue une expérience qui puisse confirmer ou infirmer l'hypothèse. L'expérience n'est qu'une « observation provoquée ou préméditée dans le but de vérifier la validité d'une hypothèse ». Claude Bernard montre bien que, sans hypothèse, il n'existe pas de méthode expérimentale.

Une idée anticipée est le point de départ de tout raisonnement expérimental.

Sans cela, le savant ne pourraitqu'accumuler des observations stériles.

Mais d'un autre côté, Bernard affirme que l'observateur doit, sous peine de prendre les conceptions de son esprit pour la réalité, éviter toute idée préconçue etenregistrer passivement les phénomènes.

Le développement des sciences expérimentales amèneraBachelard à s'opposer à cette idée de passivité de l'observateur. Une des grandes découvertes de Bernard lui-même, la fonction glycogénique du foie, nous en fournira le bon exemple.

Les théories en vigueur divisaient le monde vivant en deux règnes distincts : lesvégétaux, qui produisent le sucre, et les animaux, qui le consomment et en tirent leur énergie.

Or,Bernard découvre du sucre dans le sang de chiens nourris exclusivement de viande.

L'organisme animal produit donc par lui-même du sucre et c'est dans le foie que Bernard localisera cette production.

Il semble bien ici, conformément à ce que dit Bernard , que c'est un fait –la découverte de sucre dans le sang de chiens nourris exclusivement de viande- qui provoque l'hypothèse de la fonctionglycogénique du foie.

Mais ce n'est qu'une apparence.

Car ce fait ne peut faire naître une tellehypothèse que parce qu'il est problématique, ou, comme le disait Louis de Broglie , « polémique ».

Et s'il est problématique qu'en regard des théories antérieures admises.

Si aucune théorie n'avait soutenula thèse de la production exclusivement végétale du sucre, le fait de la découverte d'un sucre animaln'aurait posé aucun problème et fait naître aucune hypothèse.

L'hypothèse naît donc d'un problème etle problème dépend lui-même directement d'un contexte théorique. Illustrons plus précisément cette idée par un exemple emprunté cette fois à la physique.

Qu'est-ce quiconduisit Newton à la formulation de la théorie de la gravitation universelle ? La pomme que, paraît-il, il reçut sur la tête n'explique évidemment rien, mais on peut remarquer qu'ici comme souvent la légendede la science rejoint l'inductivisme en invoquant les « faits », fussent-ils imaginaires, à l'origine de la théorie.

Il faut en vérité comprendre la nature des problèmes que la physique du temps de Newtonpouvait se poser, et leurs présupposés théoriques.

Pour ce faire, un aperçu de l'histoire des théoriesphysiques du mouvement n'est pas inutile. Pour l'antiquité grecque, avec Aristote , le mouvement est par nature passager, transitoire.

Son essence est de finir.

Ce n'est pas un état de la matière.

L'univers n'est en ordre qu'à l'état de repos.

Le mouvement est alors l'indice d'un désordre –soit comme la cessation de l'état naturel d'ordre (lancerune pierre en l'air)- soit comme tendance à rétablir l'ordre naturel (quand la pierre retombe).

Cettethéorie semble, il faut le souligner, tout à fait correspondre à certaines données évidentes del'expérience : chacun peut constater qu'aucun mouvement ne dure indéfiniment.

A partir du XVII ièmesiècle, les théories modernes du mouvement vont promouvoir celui-ci au rang de passage à celuid'état.

Leur principe fondamental est le principe d'inertie, selon lequel un corps a tendance à conservertout état nouveau qui lui est communiqué : lorsqu'un corps en mouvement s'arrête, c'est donc dû, noncomme le croyait Aristote à des causes inhérentes, mais à des facteurs extérieurs, tels les frottements, la résistance de l'air, etc. Or ce principe d'inertie va poser des problèmes nouveaux.

Par exemple, comment se fait-il que la Terretourne autour du soleil, puisque, selon ce principe d'inertie, elle devrait se mouvoir d'un mouvementrectiligne correspondant à une tangente de son orbite ? Pour Copernic qui, au XVI ième, ne connaissait pas le principe d'inertie, le problème ne se posait pas, et Copernic pouvait considérer alors, comme les Grecs, le mouvement circulaire des planètes comme un mouvement naturel et auto-explicatif.

A l'époque de Newton au contraire compte tenu de l'état nouveau des théories du mouvement, ce qui n'était pas un problème cent cinquante ans plus tôt en devient un.

Il faut expliquerle mouvement orbital des planètes, qui ne s'explique plus de lui-même.

La théorie de la gravitationsera cette explication. Les faits sont des données fragmentaire. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles