Faut-il avoir confiance en l'homme ?
Publié le 22/02/2004
Extrait du document
«
Platon)Certes, l'homme est imparfait, fini et borné.
Mais ce n'est pas une raison pour se montrer misanthrope et lecritiquer sans cesse.
Celui qui n'aime pas les autres ne peut s'aimer lui-même.
Et les hommes n'attendentparfois qu'un regard bienveillant pour se montrer sous leur meilleur jour.
C'est pourquoi, que ce soit en soi-même, en ses amis ou en l'humanité entière, mieux vaut avoir confiance.C'est dans le « Gorgias » de Platon que l'on trouve exposé le paradoxe socratique : « Nul n'est méchantvolontairement ».
Cette thèse surprenante de prime abord doit être reliée aux deux autres : « Commettrel'injustice est pire que la subir » ; « Quand on est coupable il est pire de n'être pas puni que de l'être ».L'injustice est un vice, une maladie de l'âme, c'est pourquoi, nul ne peut vraiment la vouloir (on ne peutvouloir être malade), et la punition, qui est comparable à la médecine, est bénéfique à celui qui la subit.
Commettre l'injusticeest pire que la subir,et j'aimerai mieuxquant à moi, la subirque la commettre(Gorgias)
Commettre l'injustice c'est perdre sa dignité etpasser le reste de sa vie en compagnie d'un injuste.L'assassin est celui qui perd l'estime de soi.
Cettephrase fonde l'idée moderne de conscience morale :il n'est pas de crime sans témoin car il est en moi untémoin intérieur qui me juge.
A rapprocher de laphrase de Montaigne : Je me fais plus d'injure en mentant que je n'en fais à celui à qui je mens(Essais )
L'attitude commune face à la justice est résumée par Polos dans « Gorgias » et Glaucon au livre 2 de la «République ».
Les hommes souhaiteraient être tout-puissants et pouvoir commettre n'importe quelle injusticepour satisfaire leurs désirs.
Il vaut donc mieux, selon eux, commettre l'injustice que la subir.
Cependant,comme subir l'injustice cause plus de dommage que la commettre de bien, les hommes se sont mis d'accordpour faire des lois en vue de leur commune conservation.
Nous ne sommes donc justes, en vérité, que parpeur du châtiment.
Si nous pouvions être injustes en toute impunité, comme Gygès qui possède un anneau lerendant invisible, nous agirions comme lui : nous ne reculerions devant aucune infamie pour nous emparer dupouvoir, devenir tyran.
Bref, nous serions injustes pour satisfaire nos désirs.Platon réfute inlassablement cette thèse, cette hypocrisie qui consiste à ne vouloir que l'apparence de lajustice, l'impunité, pour pouvoir accomplir n'importe quelle injustice.Le nerf de l'argument consiste à montrer que, en réalité, « Commettre l'injustice est pire que la subir ».
C'estpar une ignorance du bien réel que les hommes souhaitent pouvoir être injustes.
Parce que nous confondonsle bien apparent (le plaisir, la satisfaction immédiate des désirs les plus déréglés) avec le bien réel, la santé del'âme.
Nous croyons vouloir commettre l'injustice, alors que c'est impossible, que « nul n'est méchantvolontairement », parce que nous voulons.
Être injuste est faire son malheur en croyant se faire plaisir.L'antagonisme entre le point de vue habituel et la position de Socrate est magnifiquement exposé par le débatentre Calliclès et Socrate, dans le « Gorgias ».
Calliclès prétend : « Voici, si l'on veut vivre comme il faut, ondoit laisser aller ses propres passions, si grandes soient-elles, et ne pas les réprimer .
» Socrate pense, lui,que l'accès au bonheur, au Bien, « cela veut dire être raisonnable, se dominer, commander aux plaisirs et auxpassions qui résident en soi-même ».Pour tenter de réfuter Calliclès, Socrate lui montrera que son idéal de mode de vie ressemble bien à une «passoire ».
L'intempérance consiste à accumuler des plaisirs qui n'ont aucune consistance, à ne pas savoir semesurer, se satisfaire, mais au contraire à être habité par des désirs tels que pour les combler il faut «s'infliger les plus dures peines ».
L'erreur fondamentale de Calliclès est de confondre l'agréable et le bon, deconfondre la démesure des désirs déréglés et irrationnels avec l'équilibre de la satisfaction véritable.C'est que l'injustice est une maladie de l'âme, et plus précisément encore la subversion d'un ordre.
Lemagnifique mythe de l'attelage ailé dans le « Phèdre » décrit d'une façon imagée ce qu'est l'âme.
Elle estcomparée à un attelage composé d'un cocher et de deux chevaux.
L'un est blanc, docile, l'autre est noir, àles oreilles poilues et se montre sourd aux injonctions du cocher ; il menace ainsi l'équilibre de l'attelage.
Il y adonc trois instance dans l'âme.
Le cocher figure la raison, qui a pour tâche de diriger.
Le « cheval blanc »représente le siège de l'honneur, de la colère.
Le « cheval noir » symbolise l'âme concupiscible, siège desdésirs, et plus précisément des désirs liés au corps.
Or ces désirs ont pour caractéristiques d'être multiples,tyranniques, de ne rien respecter (Platon anticipe dans certaines descriptions sur tous les cas cliniquesdécrits par Freud).Or, la justice consiste d'abord dans le respect de la hiérarchie naturelle des trois instances, qui doivents'ordonner sous la conduite de la raison.
Se dominer, être maître de soi, tenir en bride le « cheval noir », c'estfaire régner l'ordre.
L'injustice consiste au contraire dans la subversion de cet ordre, dans la prédominanceque l'on accorde à l'âme concupiscible.
C'est une maladie, une perversion, qui remet en cause la totalité del'individu.
Dans cette tyrannie du supérieur par l'inférieur, l'homme devient esclave des désirs sans frein ; c'estpourquoi il est nécessairement malheureux.
Il devient incapable de jugement, d'honneur, et, au lieu d'êtremaître de soi, il est soumis à ce qu'il y a de plus bestial en lui.Céder aux passions, au désir, rêver d'être tyran est donc en fait rêver d'être impuissant, confondre ce qui estagréable avec ce qui est bon.
Nul ne peut être véritablement maître des autres sans être d'abord maître desoi.
Le projet d'hommes comme Calliclès est contradictoire : on ne peut à la fois être soumis à ses propresdésirs et libre, être maître et serviteur.Le « Grogias » filait la métaphore des deux tonneaux.
L'homme maître de lui-même, ordonné, est celui qui sait.
»
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