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Faut-il être pessimiste ?

Publié le 23/02/2004

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Comment expliquer, dès lors, que la plupart des hommes s'accrochent à la vie ? Qu'est-ce qui leur fait endurer toutes ces souffrances ? L'amour de la vie ? L'espoir d'une vie meilleure ? Ou tout simplement la peur de la mort, qui est toujours là, « quelque part cachée », prête à se manifester à tout instant ? La vie n'est-elle pas, au fond, une fuite continuelle devant cette même mort que nous désirons parfois, qui nous attire irrésistiblement ? « Ce qui fait l'occupation de tout être vivant, ce qui le tient en mouvement, c'est le désir de vivre. Eh bien, cette existence, une fois assurée, nous ne savons qu'en faire, ni à quoi l'employer ! Alors intervient le second ressort qui nous met en mouvement, le désir de nous délivrer du fardeau de l'existence, de le rendre insensible, "de tuer le temps", ce qui veut dire de fuir l'ennui. » C'est la raison pour laquelle nous voyons bien des hommes à l'abri du besoin et des soucis, « une fois débarrassés de tous les autres fardeaux, finir par être à charge à eux-mêmes ». A chaque heure qui passe, ils se disent : autant de gagné ! A chaque heure, c'est-à-dire « à chaque réduction de cette vie qu'ils tenaient tant à prolonger ».

« Souffrance quand le désir n'est pas satisfait, ennui quand la volonté vient à manquer d'objet ou quand uneprompte satisfaction vient lui enlever tout motif de désirer.La plus heureuse vie est celle qui comporte le moins de souffrance, c'est-à-dire celle où le désir et lasatisfaction « se suivent à des intervalles qui ne sont ni trop longs, ni trop courts ».

Une telle vie vaut-elle,pour autant, la peine d'être vécue ? Le jeu en vaut-il la chandelle ? Et Schopenhauer de railler Leibniz qui,dans la Théodicée, affirme que notre monde est le meilleur des mondes possibles, ainsi que son disciple Wolf.Que l'on dresse le bilan des joies et des souffrances d'une vie humaine prise dans son entier, on découvriraque la colonne « peines » l'emporte sur la colonne « joies ».

A quoi il faut ajouter que les plaisirs, s'ils sontmoins nombreux, dans l'existence, que les peines, sont aussi et surtout moins « réels ».

Qu'est-ce à dire,sinon que le plaisir ne se ressent pas, qu'il n'est, à la limite, que vacuité ? Car si le manque et la privation sontressentis comme douleur, le comblement du manque, la satisfaction ne font que ramener à l'état qui a précédél'apparition du besoin.

Autrement dit :« Nous sentons la douleur, mais non l'absence de douleur; le souci mais non l'absence de souci; la craintemais non la sécurité [...] Seules, en effet, la douleur et la privation peuvent produire une impression positiveet par là se dénoncer d'elles-mêmes : le bien-être, au contraire, n'est que pure négation.

»Si le plaisir apparaît lui-même comme négatif, alors il est vain de considérer le bonheur comme une fin quel'homme pourrait se donner.

Répétons-le : « La vie n'admet point de félicité vraie, elle est foncièrement unesouffrance aux aspects divers, un état de malheur radical.

» Et l'optimisme, pire qu'un « verbiage dénué desens, comme il arrive chez ces têtes plates, où pour tous hôtes logent des mots », est « une façon de penserabsurde », « une opinion réellement impie, une odieuse moquerie ».

Il suffirait, pour s'en convaincre, « pournous mettre sous les yeux des images », « pour nous peindre en des exemples notre misère sans nom »,d'invoquer les faits et l'histoire.

Mais ce serait un « chapitre sans fin ».

Contentons-nous, une fois sortis desrêves de la jeunesse, de tenir compte de notre propre expérience et de celle des autres.Comment expliquer, dès lors, que la plupart des hommes s'accrochent à la vie ? Qu'est-ce qui leur fait endurertoutes ces souffrances ? L'amour de la vie ? L'espoir d'une vie meilleure ? Ou tout simplement la peur de lamort, qui est toujours là, « quelque part cachée », prête à se manifester à tout instant ? La vie n'est-ellepas, au fond, une fuite continuelle devant cette même mort que nous désirons parfois, qui nous attireirrésistiblement ?« Ce qui fait l'occupation de tout être vivant, ce qui le tient en mouvement, c'est le désir de vivre.

Eh bien,cette existence, une fois assurée, nous ne savons qu'en faire, ni à quoi l'employer ! Alors intervient le secondressort qui nous met en mouvement, le désir de nous délivrer du fardeau de l'existence, de le rendreinsensible, "de tuer le temps", ce qui veut dire de fuir l'ennui.

»C'est la raison pour laquelle nous voyons bien des hommes à l'abri du besoin et des soucis, « une foisdébarrassés de tous les autres fardeaux, finir par être à charge à eux-mêmes ».

A chaque heure qui passe, ilsse disent : autant de gagné ! A chaque heure, c'est-à-dire « à chaque réduction de cette vie qu'ils tenaienttant à prolonger ».La joie que procure l'union avec autrui, dans l'amour, n'est-elle pas suffisante pour donner un sens à notre vie? La réponse de Schopenhauer ne fait pas dans le détail.

L'amour qui orne notre morne vie, comme un diamantétincelant, n'est qu'un instinct déguisé qui sert, à travers la reproduction sexuelle, l'intérêt de l'espèce et nondes individus :« Les amants parlent en termes pathétiques de l'harmonie de leurs âmes; mais cette harmonie n'est autrechose [...] que cette convenance de leurs natures capable d'assurer la perfection de l'être à engendrer..

»Force est, d'ailleurs, de constater que cette « harmonie des âmes » se dissipe souvent, peu après le mariageou une fois la descendance assurée, et dégénère en « une criante discorde ».

Car l'illusion ne dure pastoujours : à l'entente des sexes succède inévitablement le malentendu des âmes.

L'amour n'est donc qu'uneillusion tragique.

C'est à la fois la grande affaire des mortels et leur supplice poignant.

Et Schopenhaueraperçoit, dans l'amour, l'affligeante manoeuvre du « vouloir-vivre » qui, ne cessant de nourrir la plus vivedouleur du coeur humain, conduit inexorablement au « Je souffre donc je suis ».

Perte de la bien-aiméeenlevée par un rival ou par la mort, jalousie, anxiété...

ou à terme une intimité plus que banale, l'ennui ànouveau.L pensée pessimiste n'est pas née avec Schopenhauer et il en est conscient, Que le monde soit mauvais n'estpas une idée nouvelle, qu'il n'y ait pas, dans l'existence, de bonheur durable, non plus.

L'originalité deSchopenhauer, c'est, sans doute, d'affirmer que toute la souffrance que l'homme assume est, au fond, lerésultat de cet effort incessant qui se nomme « volonté de vivre ».

Si l'homme souffre, c'est donc avecjustice, pourrait-on dire, tant qu'il est identique à cette volonté.

Et il y a pour le sage « des moyens de selibérer du Vouloir omniprésent ».

Ce sont les fameuses trois étapes de la régénérescence spirituelle pardétachement progressif du « vouloir-vivre » : l'art contemplatif, la morale de la pitié, et enfin l'oubli total duVouloir, atteint dans le nirvana.Il s'agit, dans cet itinéraire spirituel vers le nirvâna ou extinction du désir, plus précisément du « vouloir-vivre» (la notion de nirvâna est empruntée à la philosophie hindoue et signifie la suprême félicité dont jouit celui quis'est défait de tout attachement), de s'arracher progressivement à son individualité qui est la source detoutes souffrances.

Dans cet itinéraire, la joie de l'artiste ou celle de la contemplation désintéressée del'oeuvre d'art est toute négative.

Le plaisir n'est pas de jouir d'une oeuvre mais de ne plus souffrir, grâce àelle, de sa propre volonté.

De même, la morale de la pitié invite à une communion avec autrui qui permet detranscender sa volonté individuelle.

Enfin, le nirvâna est le détachement suprême, le moment suprême où lavolonté se retourne contre elle-même.Il y a bien, dans cette possibilité affirmée de se libérer de sa volonté, de se retourner même contre elle, uncertain optimisme chez Schopenhauer.

Mais dans cette vision de la libération, on retrouve les vertus. »

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