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Faut-il être seul pour être soi-même ?

Publié le 15/09/2005

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Cela signifie-t-il que l'ordre social dont sont parties prenantes les grandeurs d'établissement possède malgré tout sa justification, et que toute perturbation ou contestation de cet ordre serait illégitime ? La dernière phrase du premier paragraphe le suggère assez nettement : « la chose était indifférente avant l'établissement : après l'établissement elle devient juste, parce qu'il est injuste de la troubler ». Cette incitation au conformisme et à la soumission peut sembler difficilement conciliable avec la relativisation radicale du statut des grandeurs d'établissement qu'appelle tout le texte. Tout se passe comme si Pascal amorçait la révolte ou la contestation en en posant les principes, tout en la désamorçant par la condamnation anticipée de toute velléité d'insoumission à l'égard des grandeurs d'établissement. Singulière dialectique, car elle conjugue une éradication décisive du prestige attaché aux grandeurs d'établissement et un conformisme social dont la justification peut sembler énigmatique, d'autant qu'elle est simplement posée dans le texte - sans y être explicitement établie. Dire qu'une attitude est « selon la raison », ou qu'il est injuste de troubler une chose établie du fait qu'elle est établie, ce n'est pas faire une réelle démonstration, mais présupposer des conceptions déterminées. Cette difficulté se retrouve dans la distinction proposée entre les deux types de respect et de considération que requièrent les grandeurs naturelles et les grandeurs d'établissement. Opposées dans leurs essences, celles-ci le sont aussi dans leurs genèses respectives, et cette double opposition fonde, dans l'esprit de Pascal, la hiérarchie qu'il convient d'établir entre deux types de respects : aux unes, les « cérémonies extérieures » ; aux autres l'estime, l'adhésion intérieure que sous-tend la conscience intime de se trouver en présence d'une grandeur authentique. Mais là encore, Pascal semble atténuer ce qu'un tel propos pourrait avoir de subversif ou de dangereux pour les autorités en place (« établies »), en précisant que le « respect d'établissement » doit s'accompagner d'une « reconnaissance intérieure ». La question se pose de savoir ce que peut signifier cette dernière dès lors qu'on a procédé à une certaine désacralisation des autorités en place en leur ôtant le prestige dont elles tendent à s'envelopper.

« En effet, dans la mort, il en va du tout de mon existence : la mort est ce qui est absolument propre et mien.Aussi l'angoisse devant la mort est-elle en quelque sorte l'angoisse devant la liberté, devant notre être aumonde.

Et s' « il est exclu de confondre l'angoisse de la mort avec la peur de décéder », c'est précisémentque « l'angoisse de la mort est angoisse « devant » le pouvoir-être le plus propre, absolu, indépassable ».La capacité d'assumer la possibilité de la mort propre, et par suite de se découvrir comme être au monde ,comme jeté, librement, dans le monde, a donc partie liée avec la capacité du Dasein d'être soi.Or, précisément les bavardages du On à propos de la mort, là encore sombrent dans l'inauthenticité et lerecouvrement.

Il s'agit de camoufler cette mort qui est la mienne en événement, en bien connu.« Si jamais l'équivoque caractérise en propre le bavardage, c'est bien lorsqu'il prend la forme de ce parler surla mort.

Le mourir, qui est essentiellement et irreprésentablement mien, est perverti en événementpubliquement survenant.

»Le discours du On transforme la mort en accident : « le On meurt, propage l'opinion que la mort frapperaitpour ainsi dire le On ».

Là encore il s'agit de se démettre de ses responsabilités et même de soi-même.Ces bavardages interdissent à l'angoisse de la mort de se faire jour : en ce sens, ils privent l'individu de lapossibilité de l'accès à son être propre.

« Dans l'angoisse de la mort, le Dasein est transporté devant lui-même[...] Or le On prend soin d'inverser cette angoisse en une peur d'un événement qui arrive.

»En faisant miennes ces ratiocinations, sans doute gagnerais-je d'être rassuré, d'être indifférent à ce qui m'estle plus propre, mais au prix de l'aliénation, de la perte de soi.Mais si les analyses d'Heidegger ne se donnaient que comme une dénonciation de la pression des bavardagesde la masse, de la dictature anonyme qui régit les rapports humains et interdit à chacun l'accès à lui-même etau monde, elles perdraient de leur pertinence.Le On n'est pas extérieur au Dasein, à l'individu, il est au contraire l'un de ses modes d'être premier etoriginaire.

IL n'y a pas à faire le départage entre individus authentiques ou inauthentiques.« Le Dasein est de prime abord Un et le plus souvent il demeure tel.

Lorsque le Dasein découvre et s'approcheproprement du monde, lorsqu'il s'ouvre à lui-même son être authentique, alors cette découverte du « monde »et cette ouverture du Dasein s'accomplissent toujours en tant qu'évacuation des recouvrements et desobscurcissements, et que rupture des dissimulations par lesquelles le Dasein se verrouille l'accès à lui-même.

»Il n'y a pas d'accès véritable au monde et à soi-même, de façon authentique d'être qui ne se fasse jour àpartir de ce fond originaire d'inauthenticité.

Le « On » n'est personne, mais il est un mode d'être de chacun.La dictature du « on » dont parle Heidegger est d'abord la façon commune de se préoccuper d'autrui.

C'estaussi ce que Heidegger nomme « déchéance », c'est-à-dire la façon de ne pas être soi.

L'inauthenticité estun accès barré à notre être propre, une aliénation de soi, au profit de l'anonyme. Les us et coutumes m'obligent à porter un masqueEn groupe, il faut toujours plaire, être conforme à une certaine image sociale.

Le jeu social m'empêche d'êtremoi-même.

Je suis toujours tenu de masquer ce qui fait de moi un individu unique et spécifique.

Que l'onsonge par exemple au mimétisme de la mode.

La vie en société me prive de la liberté de dévoiler messentiments et mes pensées les plus sincères.

Si tous les hommes se disaient toujours la vérité, le mondedégénérerait dans le chaos le plus total. La vie sociale n'est qu'un jeu de rôlesDénonçant la comédie humaine, Pascal distinguera les grandeurs d'établissement et les grandeurs naturelles. " Il y a dans le monde deux sortes de grandeurs ; car il y a desgrandeurs d'établissement et des grandeurs naturelles.

Lesgrandeurs d'établissement dépendent de la volonté des hommes,qui ont cru avec raison devoir honorer certains états et y attachercertains respects.

Les dignités et la noblesse sont de ce genre.

Enun pays on honore les nobles, en l'autre les roturiers ; en celui-ciles aînés, en cet autre les cadets.

Pourquoi cela ? Parce qu'il a pluaux hommes.

La chose était indifférente avant l'établissement :après l'établissement elle devient juste, parce qu'il est injuste dela troubler.Les grandeurs naturelles sont celles qui sont indépendantes de lafantaisie des hommes, parce qu'elles consistent dans les qualitésréelles et effectives de l'âme et du corps, qui rendent l'une oul'autre plus estimable, comme les sciences, la lumière de l'esprit,la vertu, la santé, la force.Nous devons quelque chose à l'une et à l'autre de ces grandeurs ;mais, comme elles sont d'une nature différente, nous leur devonsaussi différents respects.

Aux grandeurs d'établissement, nousleur devons les respects d'établissement, c'est-à-dire certainescérémonies extérieures qui doivent être néanmoinsaccompagnées, selon la raison, d'une reconnaissance intérieurede la justice de cet ordre, mais qui ne nous font pas concevoir quelque qualité réelle en ceux quenous honorons de cette sorte.

Il faut parler aux rois à genoux ; il faut se tenir debout dans lachambre des princes.

C'est une sottise et une bassesse d'esprit que de leur refuser ces devoirs.Mais pour les respects naturels qui consistent dans l'estime, nous ne les devons qu'aux grandeursnaturelles ; et nous devons au contraire le mépris et l'aversion aux qualités contraires à ces. »

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