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Faut-il laisser une place à l'irrationnel dans la conduite de la vie ?

Publié le 07/01/2004

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Injustifiable par la théologie rationnelle, car toute tentative de justification fait de Dieu un donneur de leçon soumettant la foi à l'épreuve, et d'Abraham un ratiocineur spéculant sur les intentions divines. Le sens de la foi est d'être une obéissance sans condition, envers et contre les certitudes de l'homme éthique et au-delà de toute supputation. L'Absolu est étranger à tout compromis entre foi et raison, foi et monde : Dieu est étranger à tout ce qui est mondain. D'un point de vue objectif, sous l'angle du général et de la morale du stade éthique, fidèle au devoir, la conduite d'Abraham paraît celle d'un meurtrier, même si le meurtre n'est pas accompli (cf. formalisme kantien). D'un point de vue moral, on dira d'Abraham qu'il a voulu tuer Isaac. D'un point de vue religieux, qu'il a voulu le sacrifier. Morale et foi ne se superposent pas : la foi est passion de l'infini et la morale est raison du fini. Cette exigence du devoir absolu envers Dieu prime sur la morale et en suspend la validité, ce que Kierkegaard appelle la « suspension téléologique de la morale ». L'homme qui, comme Abraham, opte pour la foi, par le rapport absolu avec l'Absolu répond à l'ordre divin au risque d'entrer en rupture avec les autres hommes et avec la morale.

L'existence humaine ne se réduit pas à l'exercice planifié de nos activités journalières. L'irrationnel n'est pas seulement la folie, mais aussi l'affectivité et la    contemplation esthétique. A ce concept négatif et presque péjoratif, il faudrait substituer l'authenticité d'une existence pleinement vécue.

« « Faut-il » est, dans l'intitulé de sujet, susceptible de recevoir une double signification.

« Il faut » peut, en effet, signifier « il convient de », mais aussi, « il est nécessaire ».

Il y a, par conséquent, déjà une ambiguïté dansce verbe.

Mais l'expression laisser une place n'est pas moins équivoque : laisser une place, c'est accorder une portion d'espace, une position, un rang.

Cette expression est assez indéterminée.

Il s'agira, précisément, de laspécifier. Le concept d'irrationnel est, quant à lui, un concept philosophique.

Or, force est de constater également son ambiguïté et ses équivoques.

Ce terme peut, soit désigner ce qui n'est pas encore connu ni assimilé par la raison,mais, également, l'Autre que la raison et ce, de manière absolue.

Il signifie alors, soit la limite permanente àl'intelligibilité que nous trouvons dans le réel, soit ce qui n'est pas vraiment guidé par la raison et par les aspectsconscients de notre moi. Avec le terme de conduite, nous retrouvons un mot et une notion du langage courant.

La conduite désigne une direction, un commandement, un gouvernement.

Il y a, dans ce terme, une idée d'autonomie, la notion d'uneprise en charge et d'une action libre, émanant d'un moi-tout puissant.

Enfin, la vie signifie, ici, l'existence humaine, et non point le fait de vivre, comme propriété des êtres organisés.

Le sens du sujet est donc le suivant : convient-il d'accorder un rang, une position bien délimitée à ce qui dépasse la raison ou n 'est pas assimilable par elle ? Le problème posé par le sujet est celui de la valeur de l'irrationnel.

L'homme doit-il le considérer comme un élément spécifique, fondamental et décisif de l'existence, de manière à l'intégrer à la conduite du vécu ? Quand la raison prédomine, la place de l'irrationnel est réduite à la portion congrue.

Est irrationnel ce qui échappe aux puissances de la raison ou ce qui lui est étranger, ce qui ne participe pas de son essence ou de sespouvoirs médiateurs, ce qui est contraire à la raison et à ses normes.

Cette sphère de l 'irrationnel paraît englober tant de dimensions de notre vécu que la question même peut sembler étrange.

L 'irrationnel correspond à l'énigme de notre existence, mais aussi au mouvement infini du désir, qui dépasse la raison et ne résulte pas de son exercice, audynamisme des passions, au rêve, à l 'inconscient, à toute une sphère désignant, dans le monde et en nous, une limite permanente à l 'intelligibilité.

Cette sphère est si vaste que le penseur semble destiné à se rendre aux vastes puissances de l 'irrationnel et à s'y soumettre. Mais cette analyse correspond davantage à un sentiment qu'à une évidence philosophique.

En fait, la plupart des entreprises philosophiques ont pour tâche de n'accorder nulle place, où la plus réduite possible, dans la conduitede l 'existence, à l'irrationnel conçu comme limite permanente à l 'intelligibilité.

Dans la conduite de la vie, en effet, l'irrationnel a été généralement évacué, par les grandes doctrines rationalistes.

Tout ce qui est contraire à la raisonet à ses normes, tout ce qui lui est étranger et ne peut être appréhendé par elle, désir, passions, limites del'inconscient, de la mort, de l 'existence, est ainsi absorbé par l 'esprit humain désireux de tout se soumettre et de tout s 'assujettir.

Tout doit être rationnellement intégré, compris, soumis aux puissances spirituelles.

L 'irrationnel est ainsi ordonné selon la raison.

Dans les grands systèmes philosophiques, la raison ne laisse nulle place à l 'irrationnel dans la conduite de la vie.

Loin d'être arrêtée par le mystère de l 'existence et de l'esprit, elle l 'intègre à ses pouvoirs. De cet assujettissement de l'irrationnel par la raison, nous pouvons développer quelques exemples.

Ainsi, chez Platon, la sphère irrationnelle des passions et des désirs est complètement niée en tant que telle et soumise aucontrôle de la raison.

Loin d'accorder une place au fond sauvage et irrationnel de notre être, Platon tente de lemaîtriser grâce aux pensées raisonnables et il le nie donc en tant que tel.

Ainsi, dans la République , est posée la question « Que faire de nos désirs bestiaux, irrationnels et anormaux ? ».

Le fond irrationnel, loin de se voir accorderune place, un rang, dans la conduite et la direction de la vie, est dissous en tant que tel.

En effet, qui dit conduitede la vie, dit précisément rationalité, hégémonie de la partie rationnelle.

Tout en notant la présence d'uneirrationalité profonde, Platon veut la dompter et finalement la nier. II y a en chacun de nous une espèce de désir terrible, sauvage, sans frein, qu'on trouve même dans le petit nombre de gens qui paraissent être tout à fait réglés.

A la raison d'intégrer et de nier cet irrationnel, de maîtriser ledésir sauvage. Dans le Stoïcisme, l'irrationnel se voit également accorder une place très limitée.

Il y a, en effet, nous dit Epictète, les choses qui dépendent de nous, nos opinions, nos jugements, nos vouloirs, nos aversions.

II y aégalement les choses qui n'en dépendent pas : ce sont les corps, les biens, les réputations, les dignités.

Il estévident que les choses qui ne dépendent pas de nous semblent renvoyer à l'irrationnel de notre existence.

Le corpssignifie la temporalité, la mort, et par conséquent, ce qui est autre que la raison.

Mais aux yeux d'Epictète, cetAutre que la raison exprime, finalement, le Principe rationnel universel partout présent.

En réalité, la raison estimmanente à tout le réel.

Le monde est une totalité rationnelle.

Le mal et l'irrationnel ne peuvent trouver une placedans cet univers parfait.

Dès lors, les choses qui ne dépendent pas de nous, comme la mort ou les biens, sontsoumises à l'ordre du jugement rationnel et ne se voient accorder nulle place dans la conduite de l 'existence, Le Sage est précisément celui qui est en mesure de dissoudre l'irrationnel grâce à l'efficacité d'un jugement toutpuissant accordé à la raison. Ainsi en est-il de toutes les grandes pensées rationalistes : Le sage est celui qui vit sous la conduite de la raison et qui pulvérise, grâce à elle, l 'irrationalité illusoire liée à l 'imagination et aux sens. Néanmoins, cette attitude n'est pas sans poser problème : en effet, pour un penseur rationaliste, l 'irrationnel n'a pas d 'existence réelle.

Il représente seulement ce qui n'est pas encore dépendant de la raison ou, plus exactement, compris par elle.

Mais, en réalité, l 'irrationnel ne désigne-t-il pas autre chose, une dimension vraiment existante du réel, que la conduite de la vie doit prendre effectivement en compte, de manière à lui assigner un ranget une place ? Telle est la question que nous allons maintenant poser. Quand la raison prédomine, la place de l'irrationnel est réduite à la portion congrue.

Est irrationnel ce qui échappe aux puissances de la raison ou ce qui lui est étranger, ce qui ne participe pas de son essence ou de sespouvoirs médiateurs, ce qui est contraire à la raison et à ses normes.

Cette sphère de l 'irrationnel paraît englober. »

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